Il y a longtemps, je jugeais durement ces artistes que le feu consumait intérieurement. Je pensais que les tragédies n’appartenaient qu’à ces poètes maudits dont les mots s’enflammaient devant la seule présence de l’amour. Mais lorsqu’à mon tour, je faillis être consumée par l’amour, j’ai appris à me méfier de la lumière, si belle soit-elle…
Les papillons de nuit sur l’ampoule de verre brûlent leurs rêves sur la paroi ardente. Leurs battements d’ailes frénétiques les font tressauter et soudain, leurs pattes refroidies, ils reviennent se coller au plancher de verre comme si c’était leur seule raison d’être. Comme s’ils voulaient s’enfuir avec une partie de cette boule de soleil miniature. Faut-il à ce point vénérer la lumière pour en être soudainement aveuglé et croire que c’est une façon de vivre convenable. Ce soir, ils font des jeux d’ombre sur ma galerie et certains, tombés sur les lattes, sont complètement grillés. Je les balaierai demain, avec les morceaux de peinture séchée, dénudant encore plus le vieux bois. Cette maison est vieille et son âme est la mienne. Elle vit là depuis toujours, exclue du village et entourée des lucioles en plein bal qui n’ont rien à envier aux papillons de nuit. Elles sont la lumière.
Le fond de l’air est doux et l’alcool est fort. Je pense à lui. Lui qui est cette lumière pour laquelle je brûle. J’ai une vision chaotique de l’amour et il sait comment la peindre. Il dessine des nus de moi sur des toiles blanches et peint en couleur la vie telle qu’il la voit. Les cafés deviennent froids lorsqu’il est inspiré et je ne bouge plus. Tandis qu’il frotte les pinceaux sur le tableau, je rêve les yeux ouverts. Il perçoit des sensations que je ne saurais relater. J’ai en moi des réminiscences lointaines qui s’évadent par les miroirs de mon âme. Lorsque je le regarde, il en est submergé. Et parfois, dans la position de mon choix, je lui raconte une histoire sans utiliser les mots. La mienne, toujours, mais différemment. Je suis un peu comme ces papillons pour qui la brillance est si attirante. Elle reste un mystère et elle s’écoule de ses sourires en coin. S’écoule de cette bouche qui parle de passion. Baignés dans les nuages de fumée des cigarettes qu’il n’éteint jamais, nous flottons en pleine énigme, ne dissociant plus le réel de ce qui ne l’est pas. Je ne vois que ses yeux qui étudient, même encore à ce jour, les expressions de mon visage et de mon corps. Qui dessine toujours avec cette même ardeur le pourtour de mes seins et le galbe d’une hanche. La sueur qui perle sur son front n’est pas due qu’aux chaudes journées d’été, j’aime à le penser.
Mes semaines ne comprennent qu’un jour depuis lui : le samedi. Le reste du temps, je suis comme ces papillons de nuit à confondre la lumière du jour avec cette ampoule. Tel un rituel, chaque fois, il apporte son attirail de peintre. Du papier et des sanguines pour esquisser brièvement, ainsi que des pinceaux dont je ne saurais me servir pour teinter de couleurs les grandes toiles qu’il apporte. Les odeurs de l’huile et des diluants me font tourner la tête, mais c’est si bon de le savoir là. Je ne sais pas ce qu’il me trouve, mais il a dû chercher longtemps quelqu’un comme moi pour ainsi nous perdre des heures dans des moments de silence.
Au tout début, je lui ai demandé ce qui l’avait poussé à devenir peintre. Il m’a souri et m’a répondu que c’était parce qu’il cherchait à comprendre. Il ne m’a jamais dit quoi. Et je ne lui ai jamais demandé. Je n’ai pas besoin de savoir, ou qu’il me réponde quelque idiotie déjà réfléchie. Ce soir, il est venu peindre une histoire de moi que je n’ai pas osé raconter à personne, ni même à mes filles. J’ai pleuré, et il a, je crois, immortalisé cette larme sur ma bouche. Je ne regarde jamais le portrait lorsqu’il n’a pas terminé alors, je suppose, simplement. Si j’étais peintre, c’est ce que j’aurais fait.
Et cette nuit, le temps est doux et l’alcool est fort. Sous ce croissant de lune qui me regarde d’un seul œil, les grillons chantent dans les hautes herbes qui remuent au gré du vent. Accoudée sur le garde en fer forgé du balcon, j’observe les lucioles qui scintillent comme les étoiles dans le ciel. Il ne me manque que les ailes pour les rejoindre. Être la muse de cet homme a fait de moi plus qu’un papillon de nuit. Je deviens cette lumière qui éclaire et qui brûle. Même si j’ai appris à me méfier des lumières trop magnifiques, je veux continuer à poser pour lui sur ce balcon parmi les lucioles qui dansent.
Notice biographique
En 2012, Francesca Tremblay quittait son poste à la Police militaire pour se consacrer à temps plein à la création– poésie, littérature populaire et illustration de ses ouvrages. Dans la même année, elle fonde Publications Saguenay et devient la présidente de ce service d’aide à l’autoédition, qui a comme mission de conseiller les gens qui désirent autopublier leur livre. À ce titre, elle remporte le premier prix du concours québécois en Entrepreneuriat du Saguenay–Lac-Saint-Jean, volet Création d’entreprises. Elle participe à des lectures publiques et anime des rencontres littéraires.
Cette jeune femme a à son actif un recueil de poésie intitulé Dans un cadeau (2011), ainsi que deux romans jeunesse : Le médaillon ensorcelé et La quête d’Éléanore qui constituent les tomes 1 et 2 d’une trilogie : Le secret du livre enchanté. Au printemps 2013, paraîtra le troisième tome, La statue de pierre. Plusieurs autres projets d’écriture sont en chantier, dont un recueil de poèmes et de nouvelles.