L'étrangère - Valérie Toranian

L'étrangère " Elle tricote. Je sors mon carnet. - Raconte-moi précisément ce qui s'est passé dans les convois... - Plus tard... Je rêve de recueillir cette histoire qui est aussi la mienne et elle s'y oppose comme une gamine butée. - Quand plus tard ? - Quand tu auras eu ton bébé. "
Aravni garde farouchement le silence sur son passé. Sa petite-fille, Valérie, aimerait pourtant qu'elle lui raconte son histoire, l'Arménie, Alep, Constantinople et Marseille.
Dans ce récit qui traverse le siècle, elle écrit le roman de la vie, ou plutôt des vies d'Aravni : de la toute jeune fille fuyant le génocide arménien en 1915 jusqu'à la grand-mère aussi aimante qu'intransigeante qu'elle est devenue, elle donne à son existence percutée par l'Histoire une dimension universelle et rend hommage à cette grand-mère " étrangère " de la plus belle façon qui soit.

Aujourd'hui, le quinzième jour, à Tokat, leur convoi a rejoint l'axe principal de déportation des Arméniens venant de Trébizonde. L'état-major a donné des consignes claires. Les enfants de moins de cinq ans, facilement assimilables, et les jeunes femmes en âge de se marier et de procréer peuvent être donnés ou vendus aux Turcs.

Avis

Ce livre retrace avec beaucoup d'amour le destin de la grand-mère de l'auteure, d'origine arménienne c'est une rescapée du génocide de 1915. Aravni de son prénom, a 17 ans lorsqu'elle est jetée sur les routes avec sa mère, sa petite sœur Maral et sa tante Méliné, son père et son mari ont été arrêté et exécuté quelques jours plus tôt par les Turcs. Elles quittent Amassia, tout comme plus de 10000 habitant de cette ville, dans des convois de la mort qui s'étioleront tout au long du chemin, la faim, la soif mais aussi les ventes d'enfants ou de jeune fille, la mort de nourrissons ou leur abandon terrible, en est la cause. Sa mère et sa jeune sœur ne résisteront pas longtemps au calvaire.
Seule avec sa tante dorénavant, Aravni va suivre les conseils avisés de son aînée, rejoindre Alep et survivre sans oublier ceux qui sont restés derrière. Un mariage avec un intellectuel proche du parti communiste la conduira à Marseille puis à Paris.

Le récit alterne entre le passé de la grand-mère et le passé de l'auteure dans les années 1970, les parents, l'école, les amies et cette grand-mère orientale encombrante et adorée aux antipodes de sa grand-mère maternelle. On se rend compte de l'occultation de ce génocide à cette époque et l'envie de cette jeune enfant d'en savoir plus, interrogeant sa grand-mère malgré la barrière de la langue.

Difficile de se reconstruire lorsque on est une rescapée d'un génocide toujours pas reconnu par la Turquie, rescapée d'une horreur oubliée de l'Histoire ; et par cet héritage douloureux l'auteure veut rendre hommage à une femme forte, enfermée dans sa culture et son éducation, tantôt tendre tantôt mélancolique ou têtue.

Un bel hommage à l'identité arménienne, à un peuple, le récit n'entre pas dans des détails scabreux préférant montrer la force et l'espoir, l'amour et la réconciliation. Un témoignage émouvant.

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