Ballon-chasseur, un texte de Denis Ramsay…

Par Chatquilouche @chatquilouche

Midi de ma première journée d’école. Je trouve deux tranches de pain, du lait et du sucre, tout ce qu’il faut pour notre recette la plus banale. Tu mets du lait dans une soucoupe, tu imbibes généreusement une tranche de pain des deux cotés et tu saupoudres d’une cuillerée de sucre. Tu plies la tranche en deux et tu la manges telle quelle. C’est tout gluant dans les mains et c’est mou dans la bouche… Mais c’était la seule chose qu’on me permettait de me faire moi-même. Il n’était surtout pas question d’allumer un rond du poêle ! J’aurais pu l’oublier.

Bizarre comme un stress, pour un gamin, peut devenir un plaisir pour un autre. J’ai toujours adoré les débuts d’année scolaire. Nouveau prof, nouveaux élèves, nouvelles connaissances scolaires. J’aimais toutes les matières et je les maîtrisais toutes. Mais là, j’en étais à ma première rentrée scolaire à vie !

Il fallait que je retourne à l’école pour l’après-midi. J’ai mis du linge sec et propre et je suis retourné à l’école avec mon cahier et mon crayon dans un sac de papier. En arrivant en classe, j’en ai profité pour aiguiser mon crayon au gros aiguisoir rotatif en métal à côté du tableau. Le cours commença. J’étais une éponge qui absorbait la connaissance distillée par ma maîtresse… d’école. Récréation. La cloche sonna et les élèves se lancèrent dans la cour, comme si entendre la voix du savoir était une activité pénible. Moi, la cour d’école… Je pris le temps de ranger mon cahier et mon crayon dans mon bureau. Puis je me dirigeai où les autres élèves de ma classe s’étaient réunis sur un terrain de ballon-chasseur. Il y avait deux capitaines, les deux plus grands, dont Tonio, le plus jeune des Rodriguez, qui avait un peu la responsabilité de me protéger. L’autre capitaine était moins grand, mais avait l’air plus méchant. Les autres élèves l’appelaient Tarzan, car il avait le teint foncé. Il était en fait un Huron-Wendat, un Amérindien de la ville. Il allait devenir mon deuxième meilleur ami et, à l’adolescence, il allait faire un enfant à une de mes cousines…

On allait nous choisir à tour de rôle, surtout selon notre gabarit et notre capacité à aider notre équipe à gagner. Étant petit, je fus choisi en dernier chez les gars, juste avant les filles qui ne faisaient pas long feu. Elles étaient de la chair à ballon, étant éliminées rapidement. Est-il besoin d’expliquer le ballon-chasseur ? À Sherbrooke, on appelait ce sport « ballon prisonnier ». Deux groupes, dans des carrés clairement dessinés au sol, se faisaient face. Il fallait toucher un adversaire en lançant le ballon sans qu’il ne l’attrape. En général, les joueurs visaient les jambes, les fesses et le dos, loin des mains. Quand un joueur était touché, il s’en allait derrière l’équipe adverse et pouvait faire « combine », faire une passe par-dessus les autres joueurs, ou lancer directement sur l’adversaire. Il y avait aussi plein de stratégies… Au début du jeu on visait dans le tas en espérant que le ballon dévie et touche deux adversaires d’un coup. Puis quand il ne restait qu’un adversaire (souvent le plus fort), on s’organisait pour l’essouffler, avant de le prendre à revers.

Au début, je restais au milieu du groupe. À la fin, je restais au milieu du terrain. En cette première partie, je ne pus me déplacer rapidement parce que d’autres joueurs de mon équipe ne bougeaient pas assez vite. Je me suis retrouvé à un mètre à peine du capitaine de l’autre équipe, le plus fort, celui qui devait justement jouer mon protecteur. À ce moment, il n’était pas dans mon équipe.

Il lança le ballon de toutes ses forces. Je l’ai attrapé de peur, par réflexe. Je ne peux compter sur ma force ; je n’en ai pas, pas autant que ce colosse sympa. J’ai feinté vers le haut puis j’ai laissé tomber le ballon rouge sur un pied… tout doucement. Il était touché. On disait plutôt : « T’es mort ! » J’avais maintenant son respect. L’intelligence peut triompher de la force, même au ballon-chasseur. Les parties suivantes, j’étais choisi plus tôt, car on me connaissait maintenant. J’étais le bolé de l’école, mais j’étais également très physique, malgré ma petite taille. Et comme j’expliquais à un adolescent brillant, beaucoup plus tard dans ma vie : « Même dans le sport, sers-toi de ton intelligence, de ton sens de la stratégie… » même pour courir, où j’excellais. Courir est naturel ; c’est le réflexe de fuite. Sauf, qu’il est possible d’appliquer de la méthode à ce mécanisme de survie.

« Y é pas grand ! Y é pas gros ! Mais y court vite ! »

Notice biographique :

L’auteur se présente ainsi :

« Né à Victoriaville dans un garage où sa famille habitait, l’école fut la seule constante de son enfance troublée.  Malgré ses origines modestes, où la culture était un luxe hors d’atteinte, Denis a obtenu un bac en sociologie.  Enchaînant les petits emplois d’agent de sécurité ou de caissier de dépanneur, il publia son premier ouvrage chez Louise Courteau en 1982 :La lumière différente, un conte fantastique pour enfants.  Il est un ardent militant d’Amnistie Internationale et un rédacteur régulier dans des journaux universitaires et communautaires.  Finalement, après plusieurs manuscrits non publiés, il publiera chez LÉR Les chroniques du jeune Houdini.  D’autres romans sont en chantier…  »

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)