Cette histoire arrivée il y a bien longtemps…
En ce temps-là, des caravanes de pionniers quittaient les côtes de l’Atlantique pour traverser le Mississippi et les grandes plaines de l’Amérique du Nord. Ils cheminaient dans des chariots couverts, traînés par des chevaux. Après bien des misères, ils parvenaient au sommet des montagnes Rocheuses et descendaient dans les vallées. Ils cheminaient encore longtemps et finissaient par atteindre une grande vallée. C’était en fait une plaine de sable blanc, où la pluie ne tombait presque jamais. Mais, des cimes, les neiges éternelles laissaient s’écouler de nombreux ruisseaux qui dévalaient les pentes et se jetaient dans un lac bleu, au milieu de la plaine – une petite mer intérieure, salée comme la grande mer.
Un jour, certains pionniers s’arrêtèrent à ce lac et y bâtirent des cabanes pour y passer l’hiver. Au cours de leur pénible voyage, la fatigue et le froid en avaient fait périr plusieurs. Une fois sur place, beaucoup d’autres allaient encore succomber. Leurs provisions étaient presque épuisées ; leur vie dépendait de la récolte qui allait mûrir.
À force de courage et de travail, ils avaient rendu le pays fertile. Entre autres, ils avaient creusé des canaux pour abreuver leur bétail et irriguer les semis de maïs, de blé et de légumes verts. Il ne leur restait plus qu’à attendre la moisson, les fruits de leur travail.
Le blé poussa, le maïs poussa aussi, et tous les légumes. La terre riche de la plaine se recouvrait de tiges vertes et tendres, qui grandissaient à vue d’œil. La joie était dans tous les cœurs ; les efforts des pionniers allaient être récompensés. Une vie nouvelle et prospère s’ouvrait devant eux. Quand, soudain, une chose terrible se produisit.
Un matin, les hommes, qui veillaient à l’irrigation, virent un immense nuage noir passer sur la colline et s’avancer vers la plaine. D’abord, ils craignirent que la grêle ne détruise leurs récoltes. Mais aussitôt, ils entendirent un fort grondement dans le ciel et ils réalisèrent qu’ils avaient affaire à des criquets. Ceux-ci s’abattirent sur les champs et se mirent à tout dévorer. Les hommes tentèrent de les exterminer, mais, plus ils en tuaient, plus il en venait ! Ils allumèrent des feux, creusèrent des fossés… Rien n’y faisait. De nouvelles armées de criquets arrivaient pour remplacer ceux qu’on avait éliminés ! Épuisés, malheureux, les gens tombèrent à genoux et prièrent pour leur salut.
C’est alors qu’on entendit au loin un bruit d’ailes et de petits cris sauvages. Et ce bruit devint de plus en plus fort… Les gens levèrent la tête. D’autres criquets ? Non. Un bataillon de mouettes arrivait. Rapides, battant l’air de leurs ailes blanches, les mouettes surgissaient par centaines, par milliers.
— Les mouettes ! Les mouettes ! crièrent les gens.
Les oiseaux marins planaient au-dessus des têtes et lançaient des cris aigus. Et, tout ensemble, comme un merveilleux nuage blanc, ils s’abattirent au sol.
— Malheur ! malheur ! crièrent les pionniers. Nous sommes perdus ! Tout ce que les criquets ont laissé, les mouettes vont le manger !
Mais quelqu’un s’écria :
— Regardez ! Les mouettes s’en prennent aux criquets !
Et c’était vrai. Les mouettes dévoraient les criquets par milliers. Elles s’en gorgeaient, puis s’envolaient, alourdies, vers le lac ; d’autres venaient les remplacer avec ardeur.
Lorsqu’elles repartirent, il ne restait plus un seul criquet dans les champs.
Depuis ce jour, au lac Salé, on apprend aux enfants à respecter ce palmipède. Lorsque les écoliers apprennent à dessiner, leur tout premier modèle est une mouette.