"Peu importe que l'accomplissement de notre oeuvre exige mille années terrestres, ou que, pour parvenir à nos fins, des millions de vies humaines périssent et que des civilisations s'écroulent".

Par Christophe
Se faire remarquer dès son premier roman, beaucoup en rêvent. Je dois dire que, comme souvent lorsqu'on ne sait pas trop où on met les pieds, j'ai attaqué notre livre du jour avec enthousiasme, très excité par le sujet. Mais aussi en étant conscient que l'exercice était particulièrement casse-gueule. Exercice probant, après lecture et l'envie de partager avec vous le plaisir que j'ai eu à lire le premier volet (ce sera une tétralogie) d' "Origines : le château des millions d'années", de Stéphane Przybylski (disponible aux éditions du Bélial). Le même plaisir que, quand, gamin, je m'attaquais à belle dents à des romans ou des bandes dessinées d'aventures, des lectures qui dépaysent, bousculent, laissent pantelant, surprennent, esbaudissent, accrochent... Oui, je m'emporte, mais ce premier tome est vraiment prometteur et l'envie de découvrir la suite de ce cycle très forte. Parce que le cocktail roman d'aventures/histoire/science-fiction m'a semblé très réussi.

A la fin du printemps de l'année 1939, alors que l'Europe s'approche de plus en plus d'un conflit généralisé face à la montée de l'Allemagne hitlérienne, Friedrich Saxhäuser, récemment promu Sturmbannführer, est convoqué à Berlin. A peine a-t-il posé le pied sur le sol allemand, de retour de Rio, qu'il est directement emmené dans le bureau de Heydrich, l'un des têtes pensantes du régime nazi.
Saxhäuser est un espion, mais depuis quelques années, déjà, les missions qu'on lui confie sont assez particulières. Il est en effet chargé d'accompagner à travers le monde sur des sites bien particuliers les équipes archéologiques du Reich dont le rôle est de corroborer les théories aryennes en apportant les preuves diverses et variées qui permettront de montrer aux yeux du monde la supériorité de cette race.
Cette fois, ce n'est pas en Amérique du Sud qu'on l'envoie, mais en Irak. Il doit veiller sur Joachim Schmundt, personnage excentrique, riche industriel passionné d'archéologie qui mène des fouilles dans le pays. En sous-main, Saxhäuser a surtout pour mission de prendre contact avec un certain nombre de tribus locales et de les rallier à l'Allemagne, contre les Anglais, puissance coloniale locale.
Une mission qui ne ravit pas plus que cela Saxhäuser, mais dont il s'acquitte avec un certain savoir-faire. Jusqu'au jour où d'étranges événements et découvertes vont faire basculer son existence. Alors qu'ils sont basés à Hatra, site archéologique remarquable, les Allemands vont mener des recherches dans la vallée du Nahr-al-Zab-al-Saghir.
Mais que s'est-il réellement passé dans ces majestueux paysages qui furent le berceau d'une immense civilisation ? Tout l'enjeu est là, la mémoire fait défaut à Saxhäuser et à ses acolytes, comme si on avait effacé les informations de leurs cerveaux... Curieux. D'autant que cela arrive après d'autres incidents qui ont coûté la vie à des membres de l'expédition.
Sans le savoir, Saxhäuser a mis au jour quelque chose qui dépasse l'entendement et va surtout bien au-delà des espérances de Hitler et de ses sbires. Sans vraiment prendre la mesure de ce qui se passe, l'espion comprend que ce qu'il a découvert, enfin, ce qu'il pense avoir découvert, représente une puissance inouïe. Et le mystérieux bracelet qu'il a désormais en sa possession ne fait que renforcer ce sentiment.
Mais que faire de cette découverte, qui pourrait s'avérer capitale alors que la guerre semble désormais inévitable ? Faut-il confier les découvertes parcellaires faites en Irak aux fous furieux qui mènent le monde à la catastrophe ? Tout au long du retour, par des chemins détournés, Saxhäuser s'interroge. Et obtient bien peu de réponses...
Je reste volontairement évasif, parce que, évidemment, le lecteur lui aussi se pose énormément de questions sur ce qui s'est passé en Irak. Et comme on a plus de réponses que n'en ont les protagonistes eux-mêmes, il faut évidemment être très prudents dans ce que l'on raconte... Ce premier tome est vraiment une prise de contact avec le personnage central de cette tétralogie, Saxhäuser, et sur ce destin nouveau et un tantinet lourd à porter qui va s'abattre sur lui.
Il est temps de vous parler un peu plus de ce personnage. Car, dès ce premier tome, le regard qu'on porte sur lui change radicalement. Ancien de Verdun, Saxhäuser, rendu à la vie civile après la première guerre mondiale, a connu la misère. C'est presque par hasard qu'il devient un des premiers compagnons de route du NSDAP, le parti fondé par un autre ancien combattant, Adolf Hitler.
La relation entre les deux hommes est au coeur de ce premier tome. Parce que, si Saxhäuser est étroitement lié à l'homme, il s'est, au fil des années, éloigné de ses idées. Et surtout, il n'a pas du tout la même admiration pour le Führer et pour l'aréopage de cinglés dont il s'est entouré. Alors, oui, sur le papier, Saxhäuser est un SS et un fidèle de Hitler, mais les choses sont bien plus compliquées que cela.
Ce parcours hors norme, cette vie étonnante, Stéphane Przybyslki n'a pas choisi de nous la raconter d'un bloc, mais il la distille, éléments par éléments, à travers tout un système de flash-back rudement bien pensé. Ces retours en arrière n'ont rien de hasardeux ou de gratuit, ils viennent à chaque fois éclairer la situation dans laquelle se trouve Saxhäuser en 1939, dans l'intrigue centrale du roman.
On mesure alors à quel point l'aventurier du Reich a pris ses distances avec le régime pour lequel il oeuvre. Et cela a une immense importance : il n'est pas une espèce de robot au cerveau fanatisé ; il conserve tout son libre arbitre. Et sans véritablement jouer un double jeu, il est prudent et sait qu'il a des ennemis haut placés, il mène sa barque en solitaire...
Alors, on comprend vite que la découverte faite en Irak va lui poser un cas de conscience. Et pas des moindres. Seul contre tous, ou presque, Saxhäuser pense mener sa barque comme il le peut, faire les choix qui lui semblent juste. Il n'imagine pas à quel point il se trompe et à quel point il est devenu le jouet, certes encore récalcitrant, de forces qui le dépassent.
Mais n'allons pas trop vite en besogne : le Sturmbannführer Saxhäuser ne va pas devenir du jour au lendemain, au détour d'une page, le mec le plus sympathique de la création, le héros ultra-positif qui va sauver le monde. Non, ce serait une métamorphose trop franche pour être crédible. On a là un dur à cuire, un homme dangereux et qui reste loyal à sa patrie, à son maître...
Oui, Saxhäuser est une brute, un tueur. C'est le métier qui veut ça, remarquez... Si tout cela pèse sur sa conscience, il n'en fait pas du tout cas. Dans les situations d'urgence, pas de doute de quelque sorte que ce soit, les réflexes reviennent aussitôt et il ne fait pas bon se retrouver face à lui, car il ne fait pas de quartier.
Saxhäuser est un guerrier, un homme de main, ce n'est pas parce qu'il accompagne des hommes de l'art, en tout cas des personnes censés être plus raffinées que la clique au pouvoir à Berlin qu'il laisse derrière lui ce costume qui lui sied parfaitement. Reste à savoir comment cette force brute va être utilisée au fil des événements et des changements qui ne manqueront pas de se produire autour de lui.
Ce parcours, ces failles, ces questionnements, tout cela donne de la force à ce premier tome et plante le décor sans pour autant laisser de temps morts, comme c'est parfois le cas. Au contraire, on est happé par le rythme qu'impose Stéphane Przybylski, qui nous offre là un véritable roman d'espionnage dont on n'a encore qu'un aperçu très incomplet.
Oh, je ne vais pas être très original, évidemment, on pense à Indiana Jones, même si celui-là n'appartient pas au même camp que le personnage incarné à l'écran par Harrison Ford. L'archéologie, les années 30, le nazisme, la témérité, la roublardise et même, parfois, quelques facéties, font inévitablement penser à Indy. Avec en plus, toutefois, ces ambiguïtés qui l'habitent et le font douter.
Et puis, l'autre référence qui revient, c'est X-Files. Je dois humblement reconnaître que je ne fais pas partie des aficionados de cette série, mais évidemment, je comprends tout à fait le lien, époque et contexte mis à part. J'ai fait le choix de ne pas en dire trop au sujet de la partie science-fictive de ce roman, on devrait en reparler plus en détail dans les tomes suivants, brisons donc là.
Sachez simplement qu'il y a bien cette dimension, assez discrète encore dans ce premier tome, malgré quelques scènes particulièrement spectaculaire. Mais, la "découverte" de Saxhäuser conserve encore la majeure partie de son mystère. En revanche, on devine quelques éléments qui n'ont rien de rassurant. Prenez la phrase (un peu longue, désolé) que j'ai retenue en guise de titre.
Si ce n'est pas une belle illustration du Reich de mille ans et des élucubrations de Hitler, franchement ! Et pourtant, pas du tout. Cette phrase vient d'ailleurs, si je puis dire, et elle laisse augurer que ce que Saxhäuser et Schmundt ont réveillé pourrait bien s'avérer être pire encore que le monstre lové au coeur de l'Europe et qui va bientôt déployer ses immondes tentacules.
Reste le contexte historique. On balaye, dans ce premier tome, près d'un quart de siècle, période fondamentale et dramatique de notre histoire. Des tranchées de Verdun et de cette boucherie qui devait être la Der des Ders, jusqu'à l'aube d'un autre abominable conflit. A travers le parcours "exemplaire" de Saxhäuser, on revit cette époque avec ses horreurs, ses signes avant-coureurs, cette folie qui gagne dans l'indifférence quasi générale.
Témoin direct de la montée du nazisme et de l'exercice du pouvoir par Adolf Hitler, Saxhäuser est un homme de confiance en plus d'un espion chevronné. D'une certaine façon, ces missions qui l'envoient aux quatre coins du monde sont une aubaine : il s'éloigne de Berlin et de la folie qu'il sent monter. Et il peut ainsi réfléchir à son avenir avec un peu plus de liberté d'esprit.
Cette partie historique est remarquablement documentée et surtout parfaitement rendue. L'atmosphère des brasseries bavaroises, dans lesquelles Hitler a répandu, au début des années 20, son idéologie naissante auprès d'un public désespéré et révolté, par exemple, est très bien décrite. La situation au Moyen-Orient, vraie poudrière, est aussi très intéressante.
Aventures dans le désert, sur les rails, sur l'eau et même dans les airs, courses poursuites et barbouzeries, on ne manque pas de rebondissements, indépendamment même de la découverte inouïe de Saxhäuser. Il y a là de quoi passer quelques moments de lecture haletants et addictifs. Et ce n'est encore qu'un début !
Ce tome 1 nous abandonne sur un cliffhanger de la mort qui tue, le genre qui vous fait hurler à la lune, seul sur votre canapé, parce que ce n'est pas possible de s'arrêter à ce moment-là, sans savoir quand on pourra s'attaquer à la suite. Il nous laisse surtout avec bien des questions qui attendent des réponses et l'impression qu'on  pourrait bien, peu à peu, voir s'installer un univers proche de l'uchronie... A confirmer.