Je m'aventure peu au rayon jeunesse. Je m'y suis rarement aventuré, même quand j'avais l'âge. Une fois n'est pas coutume, c'est justement vers un roman pour la jeunesse, pour les 9-12 ans, même, précise la fiche technique de notre livre du jour. Et, si j'ai choisi d'en parler, c'est parce que j'ai aimé son propos et le thème qu'il développe : apprendre à aimer lire, y compris dans des groooos livres écrits il y a longtemps. Oui, des classiques. Avec "Adèle et les noces de la Reine Margot", publié aux éditions Castelmore, Silène Edgar plonge sa jeune héroïne dans l'oeuvre du Dumas, au propre comme au figuré. Et, si la vie de l'adolescent va jouer sur son voyage dans le passé, elle en retirera également beaucoup de choses sur le plan personnel. Mais, avant cela, que d'aventures et d'émotions, et pas seulement pour Adèle !
Adèle a 14 ans, c'est une élève de quatrième dans la moyenne, ni vraiment fascinée par les études, ni vraiment décrochée... Mais bon, elle s'ennuie un peu à l'école et préfère largement passer du temps avec ses copines et essaye d'oublier le récent décès de sa grand-mère, dont le souvenir reste douloureux. Et ses résultats s'en ressentent forcément.
Les copines d'Adèle, ce sont Juliette, Maëva et Anila, quatre inséparables, ou presque, qui, si elles ne sont pas toutes dans la même classe cette année, ne manquent jamais l'occasion de se retrouver. Une bande de copines comme il y en a tant qui entrent dans cette période jamais simple (et pas plus pour les garçons) de l'adolescence.
Adèle a aussi un ami qui s'appelle Guillaume. Elle est très proche de lui, ils sont voisins et se connaissent depuis toujours. Mais les autres filles, en grandissant, ont pris de la distance avec lui. Oh, disons-le, il a été prié d'aller voir ailleurs, au grand dam d'Adèle, qui ne l'a pourtant pas vraiment défendu. Un peu solitaire, Guillaume ne voit plus Adèle que quand elle n'est pas avec ses copines.
Ce sont les vacances de la Toussaint. La dernière heure de cours s'achève et le prof de français fait une annonce qui ravit sa classe : il ne donnera pas de devoir à faire pour la rentrée ! Joie dans les rangs, jusqu'à ce que l'enseignant précise tout de même que les élèves devront lire un roman d'un certain Alexandre Dumas.
"La reine Margot", un pavé de 450 pages ! Et il dit qu'il ne donne pas devoir, et ça, c'est quoi ? "Ce n'est pas un devoir, c'est de la lecture", rétorque le prof, plein de pédagogie, sans pour autant convaincre la majorité des gamins, que la perspective de peiner sur ce bouquin vieillot qui parle d'un temps bien lointain n'enchante guère.
Adèle n'est pas plus enthousiaste que la moyenne, mais elle fait contre mauvaise fortune, bon coeur. A la maison, elle s'ennuie. Le courant passe mal avec ses parents. Ils ne sont pas assez présents, accaparés par leur travail ou ne la comprennent pas, dit-elle, et les accrochages se font réguliers. Alors, pourquoi ne pas essayer... Adèle s'y met, sans s'attendre à des miracles, mais avec application.
La preuve, elle a bien pensé à prendre son dictionnaire avec elle. Et elle a bien fait, dès les premières pages, elle doit l'ouvrir, car le sens de certains mots lui échappe. Pourtant, surprise, Adèle ne s'ennuie pas autant qu'elle pensait à la lecture de ces premières lignes. Au contraire, cette plongée au coeur des Guerres de Religions va la captiver... A son rythme, elle va entrer dans cette histoire et...
... Une fois endormie, ô, surprise, elle va se retrouver projetée directement au coeur des événements terribles de cet été 1572 : le mariage de Marguerite de Valois avec Henri de Navarre, le jeune et ambitieux chef du parti protestant. Une semaine plus tard, ce sera l'effroyable massacre des protestants par le clan catholique lors de la nuit de la Saint-Barthélémy...
Propulsée dans ce monde dont elle ne sait rien ou presque, si ce n'est ce qu'elle a lu du livre de Dumas, voilà Adèle comme personnage à part entière de cet effroyable épisode historique. Au point d'y faire la rencontre d'un certain nombre de protagonistes, dont un jeune et beau huguenot, Samuel, avec lequel elle va nouer une relation.
Mais, où est Adèle, véritablement ? Projetée dans l'Histoire, dans le roman ? La puissance de la lecture influe-t-elle à ce point sur son imagination au point d'imprimer ses rêves ? Une chose est pourtant certaines, ces rêves deviennent une vraie addiction pour la jeune fille, qui se passionne pour le XVIe siècle et voit sa vie chamboulée par cette découverte de la lecture.
Mais, qui dit addiction ne dit-il pas aussi danger ? Adèle ne risque-t-elle pas de perdre pied avec la réalité et de voir remises en causes toutes ses relations de jeune fille vivant au XXIe siècle à force de s'absorber à ce point dans le livre de Dumas ? Ses parents, ses ami(e)s vont être le témoin de ce processus qui menace de l'emporter...
Silène Edgar est écrivain, nous avions déjà parlé d'un de ses romans sur ce blog, mais elle est aussi enseignante. Professeur de français et surtout, elle travaille beaucoup sur les questions pédagogiques en lien avec ses collègues. Dans ce roman, on sent d'ailleurs cette volonté, qui ne vise pas seulement les élèves ou les profs, mais sans doute aussi les parents.
A chacun un message, dont le coeur est l'initiation à la lecture. Et la certitude qu'on peut, même au collège, aimer cette activité et découvrir aussi des classiques. Certes, le choix de Dumas n'est pas anodin, il est certainement un des auteurs qui reviendra le plus souvent dans les lectures de jeunesse des uns et des autres et, depuis un siècle et demi, il a su captiver bien des lectorats différents.
L'effroi des enfants devant l'annonce de la lecture obligatoire d'un vieux bouquin qui "parle du Moyen-Âge" et possède l'épaisseur d'un bottin est d'un réalisme qui, sans tomber dans le cliché, l'exagération ou la stigmatisation, ne fait que présenter un fait. J'étais à la place d'Adèle il y a 30 ans, on me donnait à lire Balzac en 4e et je réagissais exactement de cette même façon. Sauf que je ne me suis pas réveillé sous des monceaux de cadavres à côté du Colonel Chabert. Fort heureusement !
J'aime bien dans ce roman la façon dont Silène Edgar décortique le processus d'apprivoisement du livre par le jeune lecteur. Bien sûr, on sent qu'il y a un terreau favorable, chez Adèle, qui ne rejette pas l'idée même de lecture, mais, tout de même, elle y entre petit à petit, comme on plonge un orteil dans l'eau pour s'assurer qu'elle n'est pas trop froide, avant de s'y immerger.
Oser ! Voilà le mot d'ordre ! Alors bien sûr, il y aura des ratages, des gamelles, des échecs... Tout le monde ne réagit pas de la même manière face à la lecture, nous le savons bien, nous, dévoreurs de livres impénitents, qui croisons souvent des personnes que l'idée même d'ouvrir un livre ne touche pas. En revanche, s'y essayer tôt est une garantie de faciliter le goût de la lecture...
Bien sûr, j'ai choisi cet angle-là avant tout le reste, parce qu'il est important à mes yeux, dans une époque où la lecture est l'objet de débats récurrents. Et aggravés si l'on ajoute les mots "jeunes" ou "jeunesse" dans la phrase. Pourtant, il serait réducteur de s'arrêter à la dimension pédagogique du livre de Silène Edgar. Car c'est aussi un court roman qui se dévore !
Je suis bien en peine de lui trouver une classification... Littérature jeunesse, oui, mais ensuite ? Roman historique ? Fantastique ? Rien de tout ça, peut-être, parce que, au final, la question n'est sans doute pas là et chaque lecteur aura son point de vue personnel sur ce qui arrive à Adèle. Rêve, voyage temporel ou autre...
Et peu importe. Ce qui est passionnant, ce n'est pas l'exploitation d'un quelconque paradoxe temporel, mais la manière dont Adèle devient une sorte de passerelle entre les deux époques, l'une influençant l'autre et réciproquement. Car Adèle agit en 1572 comme en 2015, et cela donne évidemment quelques scènes cocasses, malgré le contexte dramatique, comme cette improbable rencontre avec Ambroise Paré.
Et, dans l'autre sens, Adèle rapporte à son réveil tant de questionnement, d'interrogations et aussi de fougue et de passion qu'elle désarçonne tout le monde autour d'elle. Métamorphosée, le demoiselle, qui doit tout de même gérer ses relations parentales et amicales plus compliquées qu'elles ne le devraient. Au point de donner l'impression d'être entrée dans une magnifique crise d'adolescence.
Enfin, il y a le séjour en 1572. Il sera forcément dépaysant pour un jeune lectorat à qui les histoires entre catholiques et protestants, les Valois, les Guise, les Navarre et tout le tremblement, ça ne dit pas forcément grand-chose. Sans être un pur roman historique qui retrace les événements, "Adèle et les noces de la Reine Margot" s'appuie sur le texte de Dumas et vient se glisser dans ses interstices.
Intéressant de voir que, pour qui ne connaîtrait pas bien les événements de cette période, il faudra sans doute apporter quelques compléments. Autrement dit, faire des recherches. Voilà encore un petit apprentissage à l'attention du jeune lecteur : on ne peut pas toujours se contenter du livre qu'on a entre les mains, la collecte d'informations nécessaires à sa compréhension doit aussi se faire en externe.
Mais, la partie "roman historique" du livre de Silène Edgar est vraiment intéressante parce qu'elle fait d'Adèle une actrice et pas une simple observatrice. Le jeu reste assez classique, l'anachronisme, l'irruption dans le passé d'éléments de notre présent... Mais la relation entre Adèle et Samuel change forcément un peu la donne et va pousser l'adolescente à déployer courage, ténacité et dévouement.
Inhibée dans sa vie quotidienne, la voilà totalement libérée dans ce passé qu'elle découvre au fil de sa lecture et de ses rêves. Rien n'est cucul, dans ce voyage dans le temps, bien au contraire, et c'est un vrai roman d'aventures que vit, sous nos yeux, Adèle. Loin du confort de 2015, elle expérimente la peur, le danger, l'urgence, mais aussi l'altruisme et, allez, lâchons le mot, un certain héroïsme.
Une vie idéale, en somme. En tout cas, bien plus excitante que sa vie réelle, si morne. Et l'on retombe alors sur nos pieds : la lecture, échappatoire parfaite à la routine du quotidien et à la difficulté de cette période de transition que constitue l'adolescence ? Et pourquoi pas, après tout ? L'aventure n'est peut-être pas au coin de la rue, mais on peut la trouver à chaque page d'un livre.
Voilà un roman qui m'a accroché dès les premières pages, alors que j'ai (un peu, oh, un rien) passé l'âge inscrit sur le livre. J'aurais plus l'âge d'être père et, plus j'avançais dans "Adèle et les noces de la Reine Margot", plus je me faisais la réflexion que ce roman serait parfait pour une lecture parents/enfants, sur bien des points.
Enfin, elle permettra de mettre en douceur le pied à l'étrier à de jeunes lecteurs en herbe qui entendront parler de Dumas et liront même quelques lignes de cet auguste romancier, citées au coeur de ce livre jeunesse. Et, dans quelques années, lorsque ce nom reviendra à leurs oreilles, à un âge où ils seront plus aptes à s'y attaquer, alors, ils ne réagiront sans doute pas comme Adèle et ses camarades de classe, mais seront prêts à se lancer dans l'aventure.
Adèle a 14 ans, c'est une élève de quatrième dans la moyenne, ni vraiment fascinée par les études, ni vraiment décrochée... Mais bon, elle s'ennuie un peu à l'école et préfère largement passer du temps avec ses copines et essaye d'oublier le récent décès de sa grand-mère, dont le souvenir reste douloureux. Et ses résultats s'en ressentent forcément.
Les copines d'Adèle, ce sont Juliette, Maëva et Anila, quatre inséparables, ou presque, qui, si elles ne sont pas toutes dans la même classe cette année, ne manquent jamais l'occasion de se retrouver. Une bande de copines comme il y en a tant qui entrent dans cette période jamais simple (et pas plus pour les garçons) de l'adolescence.
Adèle a aussi un ami qui s'appelle Guillaume. Elle est très proche de lui, ils sont voisins et se connaissent depuis toujours. Mais les autres filles, en grandissant, ont pris de la distance avec lui. Oh, disons-le, il a été prié d'aller voir ailleurs, au grand dam d'Adèle, qui ne l'a pourtant pas vraiment défendu. Un peu solitaire, Guillaume ne voit plus Adèle que quand elle n'est pas avec ses copines.
Ce sont les vacances de la Toussaint. La dernière heure de cours s'achève et le prof de français fait une annonce qui ravit sa classe : il ne donnera pas de devoir à faire pour la rentrée ! Joie dans les rangs, jusqu'à ce que l'enseignant précise tout de même que les élèves devront lire un roman d'un certain Alexandre Dumas.
"La reine Margot", un pavé de 450 pages ! Et il dit qu'il ne donne pas devoir, et ça, c'est quoi ? "Ce n'est pas un devoir, c'est de la lecture", rétorque le prof, plein de pédagogie, sans pour autant convaincre la majorité des gamins, que la perspective de peiner sur ce bouquin vieillot qui parle d'un temps bien lointain n'enchante guère.
Adèle n'est pas plus enthousiaste que la moyenne, mais elle fait contre mauvaise fortune, bon coeur. A la maison, elle s'ennuie. Le courant passe mal avec ses parents. Ils ne sont pas assez présents, accaparés par leur travail ou ne la comprennent pas, dit-elle, et les accrochages se font réguliers. Alors, pourquoi ne pas essayer... Adèle s'y met, sans s'attendre à des miracles, mais avec application.
La preuve, elle a bien pensé à prendre son dictionnaire avec elle. Et elle a bien fait, dès les premières pages, elle doit l'ouvrir, car le sens de certains mots lui échappe. Pourtant, surprise, Adèle ne s'ennuie pas autant qu'elle pensait à la lecture de ces premières lignes. Au contraire, cette plongée au coeur des Guerres de Religions va la captiver... A son rythme, elle va entrer dans cette histoire et...
... Une fois endormie, ô, surprise, elle va se retrouver projetée directement au coeur des événements terribles de cet été 1572 : le mariage de Marguerite de Valois avec Henri de Navarre, le jeune et ambitieux chef du parti protestant. Une semaine plus tard, ce sera l'effroyable massacre des protestants par le clan catholique lors de la nuit de la Saint-Barthélémy...
Propulsée dans ce monde dont elle ne sait rien ou presque, si ce n'est ce qu'elle a lu du livre de Dumas, voilà Adèle comme personnage à part entière de cet effroyable épisode historique. Au point d'y faire la rencontre d'un certain nombre de protagonistes, dont un jeune et beau huguenot, Samuel, avec lequel elle va nouer une relation.
Mais, où est Adèle, véritablement ? Projetée dans l'Histoire, dans le roman ? La puissance de la lecture influe-t-elle à ce point sur son imagination au point d'imprimer ses rêves ? Une chose est pourtant certaines, ces rêves deviennent une vraie addiction pour la jeune fille, qui se passionne pour le XVIe siècle et voit sa vie chamboulée par cette découverte de la lecture.
Mais, qui dit addiction ne dit-il pas aussi danger ? Adèle ne risque-t-elle pas de perdre pied avec la réalité et de voir remises en causes toutes ses relations de jeune fille vivant au XXIe siècle à force de s'absorber à ce point dans le livre de Dumas ? Ses parents, ses ami(e)s vont être le témoin de ce processus qui menace de l'emporter...
Silène Edgar est écrivain, nous avions déjà parlé d'un de ses romans sur ce blog, mais elle est aussi enseignante. Professeur de français et surtout, elle travaille beaucoup sur les questions pédagogiques en lien avec ses collègues. Dans ce roman, on sent d'ailleurs cette volonté, qui ne vise pas seulement les élèves ou les profs, mais sans doute aussi les parents.
A chacun un message, dont le coeur est l'initiation à la lecture. Et la certitude qu'on peut, même au collège, aimer cette activité et découvrir aussi des classiques. Certes, le choix de Dumas n'est pas anodin, il est certainement un des auteurs qui reviendra le plus souvent dans les lectures de jeunesse des uns et des autres et, depuis un siècle et demi, il a su captiver bien des lectorats différents.
L'effroi des enfants devant l'annonce de la lecture obligatoire d'un vieux bouquin qui "parle du Moyen-Âge" et possède l'épaisseur d'un bottin est d'un réalisme qui, sans tomber dans le cliché, l'exagération ou la stigmatisation, ne fait que présenter un fait. J'étais à la place d'Adèle il y a 30 ans, on me donnait à lire Balzac en 4e et je réagissais exactement de cette même façon. Sauf que je ne me suis pas réveillé sous des monceaux de cadavres à côté du Colonel Chabert. Fort heureusement !
J'aime bien dans ce roman la façon dont Silène Edgar décortique le processus d'apprivoisement du livre par le jeune lecteur. Bien sûr, on sent qu'il y a un terreau favorable, chez Adèle, qui ne rejette pas l'idée même de lecture, mais, tout de même, elle y entre petit à petit, comme on plonge un orteil dans l'eau pour s'assurer qu'elle n'est pas trop froide, avant de s'y immerger.
Oser ! Voilà le mot d'ordre ! Alors bien sûr, il y aura des ratages, des gamelles, des échecs... Tout le monde ne réagit pas de la même manière face à la lecture, nous le savons bien, nous, dévoreurs de livres impénitents, qui croisons souvent des personnes que l'idée même d'ouvrir un livre ne touche pas. En revanche, s'y essayer tôt est une garantie de faciliter le goût de la lecture...
Bien sûr, j'ai choisi cet angle-là avant tout le reste, parce qu'il est important à mes yeux, dans une époque où la lecture est l'objet de débats récurrents. Et aggravés si l'on ajoute les mots "jeunes" ou "jeunesse" dans la phrase. Pourtant, il serait réducteur de s'arrêter à la dimension pédagogique du livre de Silène Edgar. Car c'est aussi un court roman qui se dévore !
Je suis bien en peine de lui trouver une classification... Littérature jeunesse, oui, mais ensuite ? Roman historique ? Fantastique ? Rien de tout ça, peut-être, parce que, au final, la question n'est sans doute pas là et chaque lecteur aura son point de vue personnel sur ce qui arrive à Adèle. Rêve, voyage temporel ou autre...
Et peu importe. Ce qui est passionnant, ce n'est pas l'exploitation d'un quelconque paradoxe temporel, mais la manière dont Adèle devient une sorte de passerelle entre les deux époques, l'une influençant l'autre et réciproquement. Car Adèle agit en 1572 comme en 2015, et cela donne évidemment quelques scènes cocasses, malgré le contexte dramatique, comme cette improbable rencontre avec Ambroise Paré.
Et, dans l'autre sens, Adèle rapporte à son réveil tant de questionnement, d'interrogations et aussi de fougue et de passion qu'elle désarçonne tout le monde autour d'elle. Métamorphosée, le demoiselle, qui doit tout de même gérer ses relations parentales et amicales plus compliquées qu'elles ne le devraient. Au point de donner l'impression d'être entrée dans une magnifique crise d'adolescence.
Enfin, il y a le séjour en 1572. Il sera forcément dépaysant pour un jeune lectorat à qui les histoires entre catholiques et protestants, les Valois, les Guise, les Navarre et tout le tremblement, ça ne dit pas forcément grand-chose. Sans être un pur roman historique qui retrace les événements, "Adèle et les noces de la Reine Margot" s'appuie sur le texte de Dumas et vient se glisser dans ses interstices.
Intéressant de voir que, pour qui ne connaîtrait pas bien les événements de cette période, il faudra sans doute apporter quelques compléments. Autrement dit, faire des recherches. Voilà encore un petit apprentissage à l'attention du jeune lecteur : on ne peut pas toujours se contenter du livre qu'on a entre les mains, la collecte d'informations nécessaires à sa compréhension doit aussi se faire en externe.
Mais, la partie "roman historique" du livre de Silène Edgar est vraiment intéressante parce qu'elle fait d'Adèle une actrice et pas une simple observatrice. Le jeu reste assez classique, l'anachronisme, l'irruption dans le passé d'éléments de notre présent... Mais la relation entre Adèle et Samuel change forcément un peu la donne et va pousser l'adolescente à déployer courage, ténacité et dévouement.
Inhibée dans sa vie quotidienne, la voilà totalement libérée dans ce passé qu'elle découvre au fil de sa lecture et de ses rêves. Rien n'est cucul, dans ce voyage dans le temps, bien au contraire, et c'est un vrai roman d'aventures que vit, sous nos yeux, Adèle. Loin du confort de 2015, elle expérimente la peur, le danger, l'urgence, mais aussi l'altruisme et, allez, lâchons le mot, un certain héroïsme.
Une vie idéale, en somme. En tout cas, bien plus excitante que sa vie réelle, si morne. Et l'on retombe alors sur nos pieds : la lecture, échappatoire parfaite à la routine du quotidien et à la difficulté de cette période de transition que constitue l'adolescence ? Et pourquoi pas, après tout ? L'aventure n'est peut-être pas au coin de la rue, mais on peut la trouver à chaque page d'un livre.
Voilà un roman qui m'a accroché dès les premières pages, alors que j'ai (un peu, oh, un rien) passé l'âge inscrit sur le livre. J'aurais plus l'âge d'être père et, plus j'avançais dans "Adèle et les noces de la Reine Margot", plus je me faisais la réflexion que ce roman serait parfait pour une lecture parents/enfants, sur bien des points.
Enfin, elle permettra de mettre en douceur le pied à l'étrier à de jeunes lecteurs en herbe qui entendront parler de Dumas et liront même quelques lignes de cet auguste romancier, citées au coeur de ce livre jeunesse. Et, dans quelques années, lorsque ce nom reviendra à leurs oreilles, à un âge où ils seront plus aptes à s'y attaquer, alors, ils ne réagiront sans doute pas comme Adèle et ses camarades de classe, mais seront prêts à se lancer dans l'aventure.