Stephanie Harker part pour des vacances bien méritées. Elle est accompagné par son jeune fils, Jimmy, et doit se plier aux interminables contrôles de sécurité. Il faut dire que, à l'aéroport de Chicago, comme dans tous les autres aéroports d'Amérique du Nord, on est particulièrement pointilleux depuis les attentats du 11 septembre.
Ce n'est pas que Stephanie redoute particulièrement ces contrôles, mais, suite à un accident, quelques années plus tôt, elle a une plaque de métal dans la jambe qui fait sonner les portiques à chaque passage. Elle sait donc qu'elle va devoir se plier aux désagréables fouilles au corps qui n'ont rien d'une partie de plaisir...
Et ça ne manque pas. La voilà qui déclenche les alarmes et doit se rendre dans une cabine afin qu'on vérifie qu'elle ne transporte rien de dangereux sur elle. Pendant le temps de ce contrôle, elle va devoir laisser Jimmy à l'extérieur de la cabine, avec leurs bagages. Le règlement, c'est le règlement, aucune entorse n'est tolérée par un personnel certes zélé, mais pas franchement empressé.
Stephanie doit attendre qu'arrive l'agent féminin qui se chargera de la fouille. Elle garde un oeil sur Jimmy et, soudain, le voit partir avec un homme vêtu de l'uniforme du personnel de sécurité de l'aéroport. L'affolement gagne aussitôt la jeune femme qui essaye de le rattraper. Mais, les membres de la sécurité s'interposent : elle ne quittera pas la zone tant qu'elle n'aura pas été fouillée.
Malgré ses hurlements, malgré sa colère et les coups qu'elle distribue, rien n'y fait. On l'entrave, la met en état d'arrestation et on n'écoute pas une seconde les plaintes de cette femme au bord de la crise de nerf. Et, pendant ce temps, Jimmy a bel et bien disparu, au nez et à la barbe de tous les agents de sécurité que seul le risque terroriste obsède...
Stephanie va se retrouver dans une salle d'interrogatoire, avec, devant elle, l'agent du FBI Vivian McKuras. Ambitieuse mais persuadée d'avoir été aiguillé sur une voie de garage avec ce poste à l'aéroport, elle flaire la bonne occasion : une histoire qui pourrait bien lui permettre de montrer ce qu'elle vaut et de retrouver un poste plus conforme à ses aspirations.
Alors, pour la première fois, quelqu'un va écouter Stephanie Harper. Bien trop tard pour espérer retrouver la piste du kidnappeur de Jimmy, sans doute déjà loin. Et la hantise de retrouver un petit corps dans les heures qui suivront... Mais Vivian veut d'abord en savoir plus sur la jeune femme et l'enfant, au cas où le mobile du rapt serait lié à leur vie.
Stephanie se met alors à parler. Et ce qu'elle raconte n'a pas grand-chose à voir avec les apparences...
Et fin du résumé de ce roman... Eh oui, la construction du livre est bien faite : la limite où s'arrêter est parfaitement délimitée. La suite du roman, c'est le témoignage de Stephanie, qui va permettre de planter un décor très différent de ce qu'on pouvait imaginer. Cette frontière, je vais aussi l'utiliser pour vous dire que, à partir de maintenant, je vais aborder quelques thèmes forts du livres, sans entrer dans le contexte, mais au cas où vous ne voulez rien savoir de plus...
Au coeur de "Lignes de fuite", il y a une critique virulente des médias britanniques. La pression des tabloïds et un arsenal législatif bien moins répressif qu'en France sur les questions relatives à la vie privée ne sont pas des nouveautés. Ce qui a changé depuis le début de ce siècle, c'est l'irruption de la télé-réalité.
Les stars de cinéma, de la musique ou du sport, les hommes politiques, aussi, restent des cibles prisées par ces feuilles de chou avides de scoop et de rumeurs, si possible bien sordides. Mais, avec la télé-réalité, c'est une génération de stars météoriques que ces journaux peuvent façonner à l'envi, les transformer en marionnettes, avoir droit de vie et de mort (médiatique) sur eux...
Que ce soit par des émissions du type Loft ou Koh-Lanta, l'imagination des producteurs de télévision est inépuisable quand il s'agit de mettre à l'antenne ces "pouponnières" pour célébrités éphémères, scandaleuses, souvent ridicules, un filon publicitaire inépuisable qu'on va alimenter à coups de livres sterling et de quarts d'heure wahroliens.
Versions modernes des hommes-sandwiches d'antan, assurant eux-mêmes leur publicité, nouvelle race de jet-setters auto-alimentant en circuit fermé une célébrité reposant sur des qualités et des capacités épaisses comme des feuilles de cigarettes, ces êtres sont entraînés dans un tourbillon bling-bling très souvent aux antipodes de leurs milieux sociaux d'origine...
Comment retrouver ensuite une vie plus stable, s'installer, construire une famille quand chacun de vos gestes, chacune de vos sorties est épiée, en attendant la faute, l'erreur ou tout simplement le truc insignifiant qui, monté habilement en épingle pour remplir jusqu'à la gueule l'espace des cerveaux disponibles ?
Comment retrouver une certaine indépendance et ne pas se faire aspirer par ce vortex de folie qui peut, du jour au lendemain, s'arrêter et vous laisser sur le bord de la route, avec juste quelques souvenirs, ou vous pousser directement dans la tombe ? Comment redevenir humain quand on a été transformé en produit dérivé vivant ?
Oh, ne croyez pas que je force le trait. En l'occurrence, j'ai surtout posé quelques jalons que vous devriez aisément retrouver dans "Lignes de fuite". Stephanie Harper s'est retrouvée, malgré elle, témoin de cette folie nouvelle. Non, n'insistez pas, je ne vous dirai pas pourquoi ni comment. Mais c'est bel et bien ce gigantesque barnum dans lequel son récit va plonger le lecteur.
Val McDermid n'y va pas de main morte, manifestement, la télé-réalité n'est pas sa "cup of tea", mais elle décrit parfaitement l'univers sans queue ni tête qui entoure ces étoiles montantes. Pour autant, l'auteur de thriller n'oublie pas son objectif premier : tisser une intrigue. Elle instaure un climat étrange, plein de faux semblants.
Et là, le fait que Stephanie raconte cette histoire fait qu'on se pose des questions... Relate-t-elle les faits, rien que les faits, ou bien prend-elle quelques libertés avec la vérité ? Et surtout, quel rapport tout cela peut-il avoir avec la disparition de Jimmy ? Le temps passe, l'enfant est sans doute déjà loin et il n'y a pas grand-chose capable de fournir une piste...
Ce que Vivian McKuras, bien éloignée de toutes ces considérations, va devoir appréhender, c'est la curieuse amitié qui se trouve au centre du récit de Stephanie. Improbable, presque incompréhensible, cette histoire-là a, par moments, de quoi tirer les larmes. Les jolis rêves dorés nés sous les lumières aveuglantes de la télévision sont parfois rattrapés par la vérité, celle qu'on ne peut reformater au montage.
Mais cette amitié née à la surprise de la principale intéressée, pourtant habitué à compartimenter sérieusement son existence, est bien le noeud de notre thriller et l'on suit ses évolutions au gré des unes de tabloïds, des scandales plus ou moins orchestrés, des amourettes, des carnets roses... ou noirs... Bref, ces étapes de la vie qui, pour le commun des mortels, composent le quotidien, mais sont ici, poussées à l'extrême pour faire vendre papier et espace publicitaire.
On se demande où nous emmène Val McDermid. On se demande comment elle va retomber sur ses pieds et nous ramener dans cette étroite salle d'interrogatoire de l'aéroport de Chicago, étouffante à souhait. Le récit long et détaillé de Stephanie laisse une curieuse impression : sa résignation et sa patience soudaine contrastent tellement avec sa colère au moment du kidnapping...
Val McDermid y glisse pourtant tout un tas d'éléments troublants. Dans ce récit, infiniment plus passionnant que ces livres-produits qu'on fabrique autour des célébrités du moment, on n'a pas l'impression au premier abord de voir se dessiner une intrigue complexe. Mais, je l'ai dit, les apparences sont toujours trompeuses...
"Lignes de fuite" noie le poisson de manière très habile, brouille les pistes sans même qu'on s'en rende compte. On pressent qu'il y a anguille sous roche, à certains mots glissés ça et là par Stephanie. Mais quel rôle joue-t-elle réellement dans tout cela ? Peut-on lui faire confiance ou bien nous balade-t-elle depuis le début ?
On ne sait plus vraiment à quoi se raccrocher. Les éléments que nous avons à disposition ne s'assemblent pas comme on le voudrait... La dernière partie du roman est une succession de rebondissements qui vont modifier totalement la perception de l'histoire. Oh, je ne dis pas qu'on ne finit pas par voir où veut en venir Val McDermid, mais, dans un dernier coup de collier, elle remet une ultime couche pour nous laisser pantelants.
Et si le sujet de ce roman n'était rien d'autre que le destin ? Le destin qu'on se forge ou qu'on laisse nous façonner. Le destin qu'on refuse et contre lequel on se révolte ou le destin qui nous rattrape et nous écrase. Pour parvenir à couper les fils de ce destin et en reprendre les commandes, chacun trouve des armes qui s'adaptent le mieux à ses projets.
La gloire, la célébrité sont désormais devenues accessibles assez aisément. Un petit coup de pouce n'est jamais de trop, mais la télé-réalité banalise terriblement ces notions déjà très abstraites. Le mot "star" servi à toutes les sauces a été vidé de sa substance. Mais le statut qui correspond demeure et ce miroir aux alouettes possède toujours un puissant pouvoir d'attraction. Et les ego n'en sont que démultipliés.
Atypique dans sa construction, "Lignes de fuite" repose sur des personnages fort et des ressorts psychologiques fort intéressants. Certains tiennent les rênes, d'autres subissent les événements. Des rôles qui peuvent parfaitement changer en cours de route... Les feux de la rampe et l'ombre propice de l'arrière-plan sont complémentaires mais les personnalités de ceux qui se trouvent sous l'un ou sous l'autre sont très différentes.
Il y a dans ce thriller la quête d'un bonheur dont on se demande s'il n'est pas illusoire. Puis, ensuite, lorsqu'on mesure le prix pour l'atteindre, alors, cela fait frissonner. L'engrenage que met Val McDermid en place est imparable parce qu'il s'inscrit dans des tendances profondes de nos sociétés actuelles. Des tendances dont la morale est bien trop souvent exclue...