L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans et des récits. L'été, le temps de relire aussi.
Yaël Neeman raconte l'histoire du kibboutz Yehi'am, où elle est née en 1960 et où elle a grandi. Venus de Hongrie, ses parents ont participé à sa fondation. L'écrivaine évoque de très belle manière le quotidien, depuis son enfance jusqu'à la fin de son adolescence, en ce lieu pensé pour le mieux mais dont le projet ne s'est pas concrétisé comme imaginé. Une utopie israélienne en dit-elle, en se remémorant sa vie au jour le jour. Un système où le "je" est gommé au profit du "nous" (dès le titre, identique en hébreu) et dans l'intimité duquel, paradoxe, elle nous entraîne naturellement. "Nous parlions au pluriel", écrit-elle dès les premières lignes qui concernent sa naissance. On va voir évoluer tous ces enfants, regroupés dans une maison pour eux par "expérience de vie socialiste", afin qu'ils soient tous égaux et aient tous les mêmes chances dans la vie, qui ne voient leurs parents que quelques heures par jour - c'est en 1990 qu'une réforme des kibboutz renverra les enfants dormir dans la maison de leurs parents. "Nous habitions des univers parallèles, nous dans la société des enfants, nos parents dans celle des adultes", poursuit l'auteur.
Yaël Neeman restitue un à un ses souvenirs comme autant de perles d'un collier. On est avec elle dans le kibboutz, dans la chambre des enfants, à l'école, dans les champs, chez le coiffeur ou en déplacement en ville. Elle a un art incroyable pour nous convier auprès d'elle durant cette vingtaine d'années passées à Yehi'am. Petits faits de la vie et grands débats illuminent les pages où s'épanouit sa belle écriture, neutre mais précise. Elle raconte et on est avec elle, lectrice vorace. On grandit avec elle, enfance, adolescence, début de l'âge adulte. On va à l'école puis au lycée. On discute presque avec tout ce petit monde. On découvre ses frères et ses amies. On apprend l'itinéraire de vie de ceux qui croient à cette manière de vivre, proche de la nature et respectueuse des autres. On lit de la poésie à tout moment, comme les habitants du lieu. Je dis "on" comme elle dit "nous" car aucun d'entre eux ne peut dire "je". Le système montre ses avantages, le respect du développement de l'enfant sans le brutaliser, les encouragements permanents devant ce qu'il fait, dit ou rêve, une large liberté (suivre les cours ou non par exemple). On apprend que l'auteure a toujours voulu écrire et qu'elle a même tenu une brève correspondance avec une romancière israélienne.
Le système a aussi des limites, comme celles du collectif et de l'obligation pour les adultes de servir à tout moment la communauté. L'auteure pose des faits, attachants, curieux, mal connus et fume comme tout le monde telle un pompier - en couverture, c'est elle, à 21 ans -, elle donne à connaître une manière de vivre qui ne s'est pas développée comme espéré. Elle montre comment elle a dû apprendre péniblement à dire "je" après une crise existentielle. Son ton est toujours juste, ses propos touchants, drôles ou sérieux selon les moments. On y perçoit certes une douce mélancolie mais aucune nostalgie ni regret. "Nous étions l'avenir" est un livre magnifique, bruissant de vie, qui touche au cœur et ravit l'esprit par la beauté douce de ses phrases évocatrices. Il est bien sûr à lire en ces temps d'égos surdimensionnés.
7 questions à Yaël Neeman, de passage à Bruxelles
Vous avez écrit d'autres livres, non traduits. Pourquoi avoir choisi la forme du récit pour celui-ci, écrit 50 ans après les faits, un ton neutre où les événements parlent d'eux-mêmes?
Vous aviez toujours voulu être écrivain?
Yaël Neeman. (c) Kaska-Sikora.
C'est mon premier livre "sérieux". Les précédents étaient des livres courts, des exercices, des défis. J'ai commencé à écrire très tard. J'ai mis six ans et demi pour écrire ce livre dont le titre m'est venu en fin d'écriture. Je voulais écrire sur mon enfance et ma jeunesse jusqu'à 18-20 ans. Au début, j'avais aussi envie de raconter ma vie à Tel-Aviv, quand j'avais 23-24 ans, après le kibboutz. On est comme un immigré quand on vient de ce système. Mais j'ai décidé de couper le texte, même s'il est écrit: il deviendra un autre livre avec des histoires courtes après la vie au kibboutz, avec la vie de ma mère en Hongrie...
Etre écrivain était mon vœu quand j'étais enfant au kibboutz. Mais après, quand je suis arrivée en ville, plus personne ne m'a dit d'écrire, que ce que je faisais était bien. Je devais trouver ma propre voix. J'ai travaillé dans des journaux, pas dans des livres, comme si ma voix s'était bloquée à l'intérieur de moi. C'est une amie de mon âge, qui venait d'un autre kibboutz et que j'ai rencontrée en allant à l'université, qui m'a poussée à écrire ce livre même si elle n'y apparaît pas. Sa mort à cause d'assuétudes, à Tel-Aviv, dans la quarantaine seulement, m'a bouleversée. Penser à elle m'a fait réfléchir à nous et à la vie dans le kibboutz.Le livre a-t-il suscité des réactions en Israël où il est sorti en 2011?
J'ai choisi un ton neutre. Je voulais combiner les faits et les éléments philosophiques du kibboutz, ne pas écrire de haut, dire les choses simples, claires, comme si je racontais oralement.
J'ai eu beaucoup de réactions à ce livre en Israël où il est un best-seller. Il a suscité beaucoup de discussions. Beaucoup de personnes m'ont aussi dit qu'elles ignoraient le système d'organisation d'un kibboutz. J'ai aussi eu la réaction de personnes qui étaient nées dans un kibboutz.Qu'est-ce qui a été difficile pour vous, devenue adulte?
Je voulais montrer ce qui se passe dans un kibboutz et finir le livre quand je le quitte. Il est alors difficile de trouver la vraie vie. Je voulais montrer les rêves. Beaucoup d'enfants ont eu de gros problèmes après. A mon époque, 50 % des jeunes ont quitté le système du kibboutz. Après, les kibboutz ont changé. Depuis 1990, les enfants dorment avec leurs parents et non plus dans la maison des enfants. Et les salaires sont versés aux parents.
Il m'a fallu prendre du temps pour dire "je". D'abord, trouver ce "je", ensuite assumer la difficulté de le dire par rapport aux valeurs d'égalité qui sont enseignées.La poésie a toujours été présente dans le quotidien au kibboutz.
Par exemple, personnellement, j'ai toujours eu la crainte de ne pas pouvoir étudier la littérature pour la littérature, seulement dans l'idée d'être prof. C'était difficile d'avoir le droit d'étudier. Mon frère qui a onze ans de plus que moi avait l'impression de déserter en quittant le kibboutz. Moi pas. Toutes les familles ont eu des enfants qui se sont perdus. Les parents ne pouvaient pas aider leurs enfants. Ils n'avaient pas d’argent.
Une des particularités de notre éducation était qu'elle comportait de la poésie, de la musique, du théâtre. Toutes les nuits après le "bonne nuit", la personne qui nous gardait nous lisait un livre depuis le corridor. Les poèmes étaient comme des couvertures pour nous. Mais ils étaient similaires dans tous les kibboutz.Vous ne parlez pas de religion dans votre récit.
C'était une place laïque. En même temps, on pratiquait la circoncision, et le mariage avec un rabbin, mais en ville. C'était une combinaison unique, parfois très étrange, parfois étroite, parfois athéiste, mais il y avait du développement.Tenez-vous un journal?
Oui et non. Oui, pour signaler que je ne fume plus. Ou, avant, pour indiquer combien de cigarettes par jour quand je fumais. Pas pour raconter ma vie. Pour cela, il y a les livres.