DTPE 2: reconversion pro avec van Cauwelaert

Par Lucie Cauwe @LucieCauwe
De tout pour l'été, DTPE.
L'été, le temps de lire, du lourd et du léger, du français et de l'étranger, des romans et des récits. L'été, le temps de relire aussi.
Autant le dire tout de suite, le chien qui figure en couverture du nouveau roman de Didier van Cauwelaert n'est pas un labrador comme l'est "Jules" (Albin Michel, 278 pages), héros de ce roman positif qui est titré de son nom. Jules est le chien d'Alice, devenue aveugle par accident à la fin de son adolescence. Il sera le trait d'union entre elle et Zibal, ingénieur biochimiste et astrophysicien sans emploi, provisoirement reconverti dans la vente de macarons Ladurée à l'aéroport d'Orly.
Car si Alice se trouve à Orly ce matin-là, c'est qu'elle y prend l'avion pour Nice afin d'y subir une opération qui devrait lui rendre la vue. Avant d'embarquer, elle choisit quelques macarons pour elle et son chien. Entend la voix du vendeur, sent la tension de son chien, lui pose quelques questions. Ils ne savent pas encore qu'ils vont se revoir quelques minutes plus tard, lors d'un incident à l'embarquement.
Ils se reverront plus tard évidemment, après le succès de l'opération aux yeux d'Alice. Tout va alors changer dans sa sphère. Privé de son aveugle, Jules va devoir se reconvertir professionnellement. Mais chez qui? Alice, elle, rouvre les yeux sur un monde qui a changé pendant les douze ans qu'elle a passés dans le noir. Tout comme elle-même a évolué, mûri. Quant à Zibal, même viré de son poste de vendeur, il va être appelé à revoir Jules d'abord, Alice ensuite, et à s'interroger sur ses propres choix de vie.
Didier van Cauwelaert signe un bon roman, agréablement écrit, plein de péripéties et de rebondissements, soigné jusque dans les moindres détails. Une comédie romantique qui fait du bien et se pose sur deux sujets méconnus, les chiens d'aveugle et le champ de recherches de Zibal. Bien sûr, plein d'autres personnages vont entrer dans cette danse à trois (lui, elle, le chien) entre Paris et Paris-Plage, attachants et bien décrits. Avec ses trois voix qui se répondent ou se complètent, "Jules" a plus de finesse et de profondeur que son résumé ne pourrait laisser imaginer. On prend vraiment du bon temps à le lire. Les histoires d'amour qui se terminent bien, on y a droit aussi, non? Comme aux histoires de chiens d'aveugle à la reconversion réussie.
7 questions à Didier van Cauwelaert,
passé récemment à Bruxelles
Vous dites porter ce roman depuis longtemps. Qu'est-ce qui vous a décidé à l'écrire maintenant?

Didier van Cauwelaert. (c) A. di Crollalanza.

Vers 12-13 ans, j'ai découvert les chiens d'aveugle et j'ai été fasciné par le binôme humain-chien. Je n'avais pas de chien alors à la maison mais je suis devenu ami avec des aveugles pour être proche de leurs chiens.
Pendant des années, j'ai su qu’il y aurait elle et son chien dans ce livre. J'ignorais qu'il y aurait un homme. Je ne planifie jamais une écriture. J'écris quand les personnages sont là. Quelle urgence va-t-elle alors s'emparer de moi? Quels personnages vont me rapter?
Avez-vous tout de suite opté pour une narration à deux voix alternées, Alice et Zibal?
Cette narration à deux voix s'est imposée tout de suite. C'est un double regard pour le lecteur, le regard de celle qui a vécu de manière fusionnelle avec son chien et le regard de celui qui découvre cela. Comme je ne voulais pas faire parler le chien, j'ai ajouté des passages en italiques.
"Jules" est-il une comédie romantique?
Rien de plus important que les beaux sentiments s'ils ne sont pas mièvres mais s'ils sont une lumière intérieure qu'on porte, à diffuser ou à chercher chez d’autres.
Le roman est sur des blessures complémentaires que mes personnages vont découvrir. J'ai mis beaucoup de temps pour l'écrire car je n'avais pas ma situation. Pour bien parler d'un lien, ici celui entre la jeune aveugle et son chien, il faut le briser. Il me fallait qu'Alice retrouve la vue. J'ai fait le point des références actuelles avec les opérations de cornée. J'avais aussi besoin pour l'histoire qu'elle ait vu avant.
En même temps vous ménagez pas mal de suspense, dramatique sur l'accident d’Alice, plus anecdotique à d'autres moments.
J'écris pour dialoguer avec mon lecteur. Je joue pour le plaisir de mon lecteur et le mien. Alice a besoin de douze ans dans le noir pour devenir ce qu'elle est.
Certaines scène sont même dramatiques.
Quand l'opération réussit, tout s'écroule. Elle se trouve face à une somme d'informations. La scène où le chien ne la reconnaît plus et recule devant elle était bouleversante à écrire. J'aime placer de la détresse dans une situation de bonheur et inversement. Comme dans la vie: des lumières dans le noir et des tuiles dans le bonheur.
Votre livre a aussi une forme de réalisme du présent, notamment votre personnage Zibal, né de parents inconnus en Syrie et adopté par un couple de Français. Un génie qui se retrouve vendeur de macarons.
Zibal s'est fait escroquer dans une précédente vie. Il a 40 ans et est d'un réalisme total.Il sait que pour un recruteur, il est trop âgé, trop diplômé. Que peut-il faire? Vendre des macarons Ladurée. Sa rencontre avec Alice va bousculer sa résignation. Je crois beaucoup en la perturbation, d'abord le labrador, elle ensuite.
Une autre de mes passions, ce sont les découvertes scientifiques. Celles du roman sont vraies, prouvées même si elles ont l'air inventées, comme les bactéries du yaourt ou les plantes à traire. Il n'y a pas que le concours Lépine ! La situation de Zibal est réelle.
On ne ment pas à un chien, écrivez-vous. En avez-vous un ?
Je n'ai jamais acheté d’animal mais j'ai des chiens, toujours des chiens qui m'ont choisi.