Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre m'avait été conseillé il y a longtemps par une amis, mais j'ai attendu sa sortie poche pour enfin découvrir le Prix Goncourt 2013.
Albert et Edouard reviennent de la première guerre mondiale avec des souvenirs douloureux et des expériences traumatisantes : tandis qu'Albert a failli mourir enterré vivant dans un trou d'obus, Edouard a quant à lui perdu sa mâchoire inférieure en lui venant en aide. Lorsque la guerre s'arrête, le premier met sa vie entre parenthèses pour s'occuper du second : lui trouver de la morphine, lui administrer sa dose chaque jour et faire en sorte que sa famille ne le retrouve pas l'accaparent tout entier. Henri d'Aulney-Pradelle est quant à lui un lieutenant qui a profité de la guerre pour faire fortune et assouvir son ambition : « Il en était certain, cette guerre n'était pas destinée à le tuer, mais à lui offrir des opportunités » : voilà comment il voit la guerre de 14-18. Dirigeant de l'affront qui a failli tuer Albert, il voue une haine assez féroce à ce dernier et à Edouard.
Lorsqu'ils reviennent tous trois à Paris après l'armistice, on découvre avec eux ce qu'est devenue la France de l'après-guerre : un défilé de gueules cassées, de trafic de tombes et d'enterrements sauvages, un terrain de chasse pour les opportunistes. Alors qu'Albert et Edouard se démènent tant qu'ils peuvent de leur côté pour survivre, Pradelle mène de son côté sa petite ascension - si son chemin a pris une direction toute différente de celui des deux anciens soldats, on comprend petit à petit que leurs trois destins continuent d'être en fait étroitement liés.
« Ceux qui pensaient que cette guerre finirait bientôt étaient tous morts depuis longtemps. De la guerre, justement. Aussi, en octobre, Albert reçut-il avec pas mal de scepticisme les rumeurs annonçant un armistice. Il ne leur prêta pas plus de crédit qu'à la propagande du début qui soutenait, par exemple, que les balles boches étaient tellement molles qu'elles s'écrasaient comme des poires blettes sur les uniformes, faisant hurler de rire les régiments français. En quatre ans, Albert en avait vu un paquet, des types morts de rire en recevant une balle allemande. » incipit.Pierre Lemaitre nous raconte avec Au revoir là-haut une histoire étonnante dans un style que j'ai trouvé tout à fait inédit. Avec un humour décapant, cynique sans être amer, il nous décrit la réalité de la période d'après-guerre, les problématiques morales, humaines, matérielles et financières avec lesquelles doivent composer les gueules-cassés et anciens militaires, la mentalité de chacune des parties. Outre de nous procurer un bon moment de divertissement et de plaisir -ce qui est quand même selon moi un élément essentiel pendant la lecture-, Pierre Lemaitre parvient à nous interroger sur des sujets passionnants : l'enterrement des corps après la guerre, l'administration et la gestion des cimetières, les thèmes de la mémoire nationale, de la commémoration, du devoir et du sens patriotique. Autant d'éléments que j'ai eu plusieurs fois l'occasion d'étudier en cours et qui prennent ici une dimension beaucoup plus forte. Plus chargé d'émotion, ça en devient aussitôt beaucoup plus percutant.
Et pourtant, le style de Pierre Lemaitre contrebalance parfaitement le sérieux du sujet. De petites touches d'humour sont semées ici et là, elles s'insinuent dans la personnalité ridicule et grotesque des personnages, dans l'absurdité d'une situation. Omniscient, le lecteur voit toute l'histoire se dérouler devant ses yeux et les éléments s'assembler ensemble sans que les personnages n'en soient conscients. Mais si on jubile d'être dans la position de celui qui sait, on ne saisit aussi que plus le côté tragique d'un événement.
« Il n'y a pas si longtemps qu'on avait enfin permis à Edouard de se regarder dans une glace. Evidemment, pour les infirmières et les médecins qui avaient récupéré un blessé dont le visage n'était qu'une immense plaie de chairs sanglantes où ne subsistaient plus que la luette, l'entrée d'une trachée et, à l'avant, une rangée de dents miraculeusement indemnes, pour tous ceux-là, le spectacle qu'offrait maintenant Edouard était très réconfortant. Ils tenaient des propos très optimistes, mais leur satisfaction était balayée par le désespoir infini qui s'emparait des hommes quand, pour la première fois, ils se trouvaient confrontés à ce qu'ils étaient devenus. » p.116Au revoir là-haut s'impose ainsi, par son style et la façon dont il aborde la période d'après-guerre, comme un roman très surprenant et absolument génial à lire. C'est donc un excellent roman que je vous recommande sans hésiter, et quelque soit la période. Ne vous fiez pas à ses 600 pages, il se dévore à une vitesse incroyable ! Avez-vous lu ce livre ? Qu'en avez-vous pensé ?
Rescapés du chaos de la Grande Guerre, Albert et Edouard comprennent rapidement que le pays ne veut plus d'eux. Malheur aux vainqueurs ! La France glorifie ses morts et oublie les survivants. Albert, employé modeste et timoré, a tout perdu. Edouard, artiste flamboyant mais brisé, est écrasé par son histoire familiale. Désarmés et abandonnés après le carnage, tous deux sont condamnés à l'exclusion. Refusant de céder à l'amertume ou au découragement, ils vont, ensemble, imaginer une arnaque d'une audace inouïe qui mettra le pays tout entier en effervescence. Bien au-delà de la vengeance et de la revanche de deux hommes détruits par une guerre vaine et barbare, Au revoir là-haut est l'histoire caustique et tragique d’un défi à la société, à l'État, à la famille, à la morale patriotique responsables de leur enfer.