COLLETTE, Sandrine. Des noeuds d'acier. Le Livre de Poche, 2014, 261 pages, 6,90 €.
L'histoire :
Théo est en fuite. Il se réfugie dans une maison d'hôtes isolée dans la campagne. Au gré de ses randonnées, il découvre une région où il n'y a que peu d'âmes qui vivent.
Jusqu'au jour où, l'enfer le frappe de plein fouet : deux vieillards le kidnappent et font de lui leur esclave. Un piège terrible.
Ce que j'en ai pensé :
" Des noeuds d'acier " est le premier livre de Sandrine Collette, et c'est par celui-ci que j'ai donc entamé ma découverte de cette auteure française, dont le magazine Lire a dit " les réussites successives Des nœuds d'acier et d' Un vent de cendres n'étaient donc pas un coup du hasard : Sandrine Collette est bel et bien devenue l'un des grands noms du thriller français ".
Une auteure très sympathique au demeurant, que j'ai eu la chance de rencontrer au festival du livre policier Les Pontons Flingueurs, à Annecy, cette année 2015.
Théo, notre protagoniste et narrateur , est un mec pas sympa . Il sort tout juste de prison pour avoir salement amoché son frère qui avait eu la mauvaise idée de coucher avec Lil, la femme de Théo. Et en disant " salement amoché ", j'entends qu'il l'a carrément rendu à l'état de légume, incapable de bouger par lui-même, condamné à être prisonnier de son corps à vie. Et pire, Théo est loin de regretter son geste, au contraire, il se délecte du sort tragique, mais néanmoins mérité selon lui, de son aîné.
Aussi, lorsqu'il se retrouve littéralement séquestré par deux frères au fin fond de la campagne, les rôles bourreau/victime s'inversent . D'une part, Théo, que le lecteur avait déjà pris en grippe, devient un véritable souffre-douleur ; d'autre part, les bourreaux sont ceux que l'on ne soupçonnerait pas , à savoir deux vieillards de soixante-quinze ans.
Théo est stupéfait lui-même de devenir un esclave, un chien . Comment a-t-il pu tomber dans ce piège ? Mais surtout, au fil du temps, il s'aperçoit que lorsque le corps est soumis, l'esprit le devient ; et inversement. Sa pitance, il ne la doit qu'à ses bourreaux. Lorsque Joshua, l'un des vieux, lui donne du rab en cachette de Basile, Théo le bénirait presque. Il se déteste pour cela mais que faire d'autre ? Comment lutter contre les besoins vitaux qui, lorsqu'ils sont assouvis, nous font adorer notre geôlier. Geôlier que, par ailleurs, il hait bien sûr de son être.
Le personnage secondaire de Gilles est particulièrement bien trouvé. Gilles, c'est l'esclave actuel de Joshua et Basile. Mais au bout de huit ans de captivité , huit ans de travaux forcés, huit ans de rationnement de nourriture et huit ans de mauvais traitements, il est à bout de souffle, en fin de course. Théo est terrifié car, en Gilles, il se voit plus tard ; ou plutôt il voit exactement ce à quoi il se refuse de ressembler. Mais surtout il est partagé entre qu'il apporte à ce compagnon d'infortune, et forcé de garder les petites attentions auxquelles il a parfois le droit.
Ce qu'il m'a manqué dans ce livre, c'est assurément du suspense et surtout de la torture psychologique plus intense . Sans passer pour la fille psychopathe qui est à la recherche de sang et de malheur (non, non), j'ai eu l'impression que l'auteur n'allait pas au bout des choses à ce niveau-là.
Et pourtant, il est indéniable que Sandrine Collette réussit magistralement le pari de raconter la déchéance et la soumission physique et psychique d'un être humain face à la domination d'un autre être humain. Le choix d'un homme tel que Théo, très violent, presque sadique, pour qui le pardon ne semble pas exister, est très judicieux. Car forte tête ou pas, violent ou pas, tout individu réduit à l'esclavage devient physiquement et moralement dépendant de ses agresseurs, avide d'attentions malgré la haine qu'il ressent pour eux. Il est détruit à petit feu, une destruction particulièrement bien décrite d'ailleurs.
Et le rapport entre Max (le frère laissé handicapé à vie) et Théo est terrible : une destruction inéluctable, physique pour l'un, psychologique pour l'autre . La fin est sobre mais très représentative du message qu'a voulu faire passer Sandrine Collette.
En bref, si ce polar n'a pas été une grosse claque pour moi, je reconnais l'intérêt des réflexions menées par l'auteure. Réflexions très intéressantes sur les rapports de domination sur une longue durée (presque un an et demi pour Théo), sur la destruction physique et mentale d'un individu.
Vous aimerez si...
- les histoires dont le narrateur est la victime ou le tueur vous plaisent.
- les frontières entre le bien et le mal sont ténues, presque effacées.
- vous aimez les polars sans trop d'hémoglobine.
- les thrillers qui vous font réfléchir vous passionne.