Strange Fruit #1

Mark Waid se joint au trop rare J.G. Jones pour nous raconter une histoire sur la ségrégation des noirs aux États-Unis au début du siècle dernier. La critique du premier épisode de la mini-série Strange Fruit qui suit a des airs de " Grumpy Post" puisque la démarche des deux auteurs est vivement critiquée par certains blogueurs américains sans réelle justification.

Le 20 février dernier, jour de l'anniversaire de Dwayne McDuffie, scénariste afro-américain militant décédé il y a 4 ans, BOOM! Studios a annoncé Strange Fruit. Cela pourrait ressembler à un hommage de la part de Mark Waid à son ami. Surtout qu'on retrouve dans Strange Fruit du Milestone, le label créé par McDuffie en 1993.

Strange Fruit se déroule en 1927 dans le Mississippi. À l'époque, cet état du sud des États-Unis avait une politique de ségrégation qui faisait qu'un homme noir n'avait pas les mêmes droits qu'un homme blanc. Ce dernier se sentant supérieur pensait avoir droir de vie et de mort sur les gens de couleurs. Le titre Strange Fruit vient d'une chanson populaire - reprise par la suite par Billie Holiday - qui parlait de ces "Fruits étranges" qui pensaient aux arbres, métaphores du trop grand nombre de dépouilles trouvés pendus aux arbres.

♪ Southern trees bear strange fruit,
Blood on the leaves and blood at the root,
Black bodies swinging in the southern breeze,
Strange fruit hanging from the poplar trees.

Pastoral scene of the gallant south,
The bulging eyes and the twisted mouth,
Scent of magnolias, sweet and fresh,
Then the sudden smell of burning flesh.

Here is fruit for the crows to pluck,
For the rain to gather, for the wind to suck,
For the sun to rot, for the trees to drop,
Here is a strange and bitter crop. ♫

L'oeuvre de Mark Waid et J.G. Jones est une uchronie super-héroïque. À la vielle d'une inondation, des hommes blancs décident de rejeter la faute sur les hommes noirs et leur mettent la pression pour empêcher l'inévitable. Ainsi, des membres du Ku Klux Klan veulent s'en prendre à des innocents afin de contraindre le reste de la communauté à réparer tout cela. C'est en poursuivant l'un de ces innocents pour le pendre qu'ils tombent nez à nez avec un mystérieux surhomme. Pour le moment, nous n'avons pas plus d'information sur le personnage puisque l'idée de cet épisode de mise en place est d'avoir un œil extérieur, sans aucun jugement. Le lecteur est donc dans une place peu confortable pendant toute la première partie de l'épisode puisqu'il voit des hommes stupides insulter d'autres hommes sans que ceux-ci ne rétorquent comme s'ils avaient accepter la situation, capituler devant la haine. Mais ont-ils le choix ? La deuxième partie nous prouve que non. quant à la dernière met en place le dernier élément de l'histoire, une lueur d'espoir pour le jeune homme poursuivit mais aussi pour le lecteur qui espère bien que le surhomme va casser la gueule aux hommes cagoulés.

Ce premier épisode est autant captivant que dérangeant. Personnellement, je tournais vite les pages afin d'éviter de voir l'horreur - et ce, malgré les dessins somptueux de Jones - mais aussi dans l'espoir de voir une échappatoire.

Oui, à ce stade, Strange Fruit est dérangeant parce qu'il montre une facette de l'être humain qu'on aimerait oublier. Mais, apparemment, au nom de la lutte contre le racisme, deux auteurs blancs ne sont pas en droit de nous raconter ce genre d'histoire. Ecrit comme cela, vous pourriez penser qu'il s'agit d'une blague. Il n'en est rien. Certains blogueurs - suivis par une horde de gens qui vraisemblablement n'ont pas lu le comicbook en question - estiment que la vision de l'histoire est faussé puisqu'il est raconté par des "blancs" et qu'il y a forcément un parti pris. Les deux exemples donnés sont le moment où un homme insulte les ouvriers de "nègres" et qu'aucun d'eux ne réagit, et le moment où un homme blanc s'interpose entre le Ku Klux Klan et son personnel de maison pour prendre leur défense. En effet, dans le premier cas, il n'y a aucune réponse à l'insulte - le "problème" avait déjà été souligné dans Django Unchained - et, dans le second cas, selon les blogueurs, il s'agit de mettre des blancs "en héros". Alors qu'il s'agit un fait d'un portrait de ce qui se passait réellement au Mississippi à l'époque.

C'est un peu comme si les gens avaient oublié l'histoire - mais est-ce si étonnant - et oublient ce qui se passe en ce moment aux Etats-Unis avec les émeutes de Baltimore, le massacre de Charleston et le retour récent du drapeau de la confédération. Le racisme est omniprésent, jour après jour, nous nous en rendons compte. Mais, il ne faut pas oublier que le racisme est quelque chose que tout le monde doit combattre ensemble. Il ne s'agit pas d'une lutte cloisonnée réservée à ceux qui la subissent. Comme le dit Nina Simone dans la vidéo ci-dessous (âmes sensibles s'abstenir), qui a repris la chanson "Strange Fruit", la thématique de la chanson est un problème pour l'Amérique entière, des personnes noires et blanches.

Nous sommes arrivés à un stade où les luttes contre la discrimination semble inversée. Nous cloisons chacune de ses luttes. Encore récemment, j'ai lu un article parlant de gayphobie et lesbophobie dans la même phrase plutôt que d'homophobie. Les propos changent mais la discrimination est identique. De même, y a-t-il une différence entre le racisme, l'islamophobie, l'homophobie, l'antisémitisme, le machisme à part de véhiculer la haine et rabaisser des gens différents ? Absolument pas. Le fait de vouloir conserver sa lutte et rétorquer en disant "tu n'es pas noir" ou "tu n'es pas trans" comme je l'ai pu voir récemment dans des articles récents sur les comics est, selon moi, de la discrimination positive. Ces gens veulent lutter contre ces maux de notre société mais le font mal.

Je pense que voir deux auteurs blancs parler de racisme, tout comme deux hétérosexuels parler d'homophobie, est une chose importante et que leur point de vue est important. C'est un peu comme si on attaquait Amistad de Steven Spielberg, Danse avec les Loups de Kevin Costner et, plus proche de la thématique de Strange Fruit, Mississippi Burning d'Alan Parker de racisme. D'une certaine manière, ils formulent leurs excuses à la communauté minoritaire pour la discrimination émise par leurs paires et ils font la promesse de tout faire pour cela s'arrête. À mon sens, c'est autant important que ce que Dwayne McDuffie a fait en 1993 en créant le label Milestone. Moins symbolique mais important.

Strange Fruit #1Strange Fruit #1

BOOM! Studios * Par Mark Waid & J.G. Jones * $3.99
Très bon départ pour la mini-série en 4 épisodes de Waid et Jones. Les dessins sont somptueux et Waid crée une ambiance juste pour un récit compliqué à mettre en place à cause du thème abordé. Cela donne vraiment envie de lire la suite qui risque d'apporter ce qu'on attend maintenant le plus : du cassage de Ku Klux Klan.