Si on grandit - texte

Par Cécile Muller @attrapemots

Il y a quelques temps déjà, j'avais participé à un concours d'écriture, sur le thème "Grandir".
Alors voila, j'aimerais énormément que vous lisiez la nouvelle que j'ai écrite! Mais ce qui me ferais encore plus plaisir, c'est que vous me laissiez votre avis en commentaire. Les avis négatifs (comme positifs) seront grandement appréciés, du moment qu'ils sont un minimum constructif. Je vous en serais éternellement reconnaissant (rien que ça!)...
Bonne lecture, et n'oubliez pas de me laisser votre avis!
SI ON GRANDIT -Alice, arrête!La voix de ma mère claque dans le silence de ma chambre. Je m'obstine à me taire, et me blottis encore plus profondément sous ma couette. J'essaie de me fondre dans l'épais matelas.

- Alice, essaie au moins de comprendre.Je suis un matelas. Épais. Moelleux. Un peu râpeux sur les côtés. Mon souffle s'apaise. Ma mère continue de parler, mais son flot de paroles ne m'atteint plus, je crois que cette fois j'ai réussi, je suis vraiment devenue un matelas. Je souris et me laisse porter par la douce chaleur qu'il diffuse, insensible à la fureur de ma mère qui arpente ma chambre. C'est vraiment agréable d'être un matelas. Tout semble bien plus paisible.
 - Alice, regarde-moi!Ma mère me secoue l'épaule et vient briser ma douce torpeur. Sa voix fait voler tout mon monde de matelas en éclat. Je crois que si elle répète encore mon prénom avec cette pointe de déception et de colère, je vais vomir.
- Ça suffit Alice, il faut que tu grandisses une bonne fois pour toutes. Tu ne peux plus te réfugier dans tes livres pour fuir la réalité. Les contes de fées n'existent pas, tout comme la magie, les licornes multicolores, ou je ne sais quoi encore! Est-ce-que tu peux au moins comprendre ça ?

Je ravale une réplique exaspérée, car je crois que ma mère commence vraiment à s'énerver : sa voix monte dangereusement dans les aigus et sa tirade est digne d'un grand roman post-apocalyptique. À la voir, j'ai l'impression qu'une colonie de fourmis mutantes a envahi notre maison, et a dévoré papa, le chat et son tapis de yoga préféré. Je me contente donc de lever les yeux au ciel : je ne suis pas bête, je sais très bien que les licornes multicolores n'existent pas. Tout le monde le sait, les licornes sont blanches.
Devant mon air toujours aussi buté, ma mère perd définitivement patience et envoie valser d'un coup de pied plein de rage une pile de livres savamment ranger près de mon lit. Mon conte préféré « L'homme-papillon » vole dans ma chambre, et je crois un instant que - outré par tant de violence, il va s'enfuir par la fenêtre. Mais la gravité le rattrape vite et, avant qu'il n'ait eu le temps de mettre à exécution son plan diabolique, il vient s'écraser par terre dans un bruit déchirant. Je grimace, et observe ma mère. Elle sait où ça fait mal, la fourbe. À son tour, elle me fixe, et je vois ses yeux se glacer. À moins, que ce soit moi qui aie froid tout d'un coup. Elle attend toujours une réponse, alors je fais mine de capituler. Il ne faudrait pas qu'elle s'en prenne à mes autres livres. Je me redresse, et lève fièrement mon menton. Lorsque je lui réponds enfin, je la regarde dans les yeux et ma voix ne tremble plus.
- James Matthew Barrie a écrit que chaque fois que quelqu'un dit : « je ne crois pas aux contes de fées », il y a une petite fée quelque part qui tombe raide morte.Elle me fixe un instant, perplexe. Et toc. J'ai beau avoir 12 ans, j'ai de la répartie, et je connais mes classiques. Au bout d'un moment qui me semble durer tout un livre, elle soupire, et reprend :
- J'essaie juste de te faire comprendre que tu ne peux plus te cacher comme tu le faisais auparavant. Crois-tu que beaucoup de petites filles passent toutes leurs vacances le nez dans les livres ? Tu prends à peine le temps de nous regarder ton père et moi. Tu crois que cela ne nous rend pas triste de voir que tu préfères ton monde imaginaire au monde réel ? Tu sais, grandir n'est pas si terrible, il n'y a vraiment pas de quoi avoir peur...

- Je n'ai peur de rien! Je lui réplique d'une voix si déterminée que, du haut de mes 12 ans, j'arrive presque à y croire.Un sourire terni par le temps étire les lèvres de ma mère, tandis qu'elle m'attire dans ses bras. Tout le poids du monde semble alors peser sur ses frêles épaules, lorsqu'elle me chuchote dans le creux de l'oreille :
- Je t'ai appris à rêver mais je regrette seulement d'avoir oublié de t'apprendre à vivre. Tu n'es pas une fée, la vie ne t'attendra pas, mon cœur.

Tandis qu'elle me serre fort dans ses bras, j'ai l'impression de suffoquer. Mes yeux me piquent et des larmes ruissellent sur mes joues et je ne sais même pas comment elles sont arrivées là. Toutes mes pensées sont confuses, s'éparpillent et se mélangent dans ma tête comme les vermicelles de la soupe de mamie. Peut-être que c'est maman qui pleure sur moi. Je n'en sais trop rien. Au bout d'un moment, elle s'écarte de moi, et je respire enfin.
-Allez, dors maintenant, nous en reparlerons demain. Tomorrow is an other day!Maman dépose un baiser fugace sur mon front et me borde comme lorsque j'étais toute petite. Elle n'a toujours pas compris que je n'y comprenais rien en anglais, mais je ne lui en veux pas. Lorsqu'elle referme doucement la porte, je ne l'entends pas chuchoter un « je t'aime » étouffé, la nuit vorace engloutit trop vite son amour.
Lorsque je suis sûre que toute la maison s'est endormie, je repousse mes couvertures, et pose mes pieds glacés sur le sol encore plus glacé de ma chambre. Je m'assieds contre la fenêtre, et j'attends. Je colle mon visage contre la vitre et j'observe le monde se recouvrir de ma buée. Il va venir. C'est obligé. L'homme-papillon va venir, et il va m'annoncer, comme il le fait avec toutes les jeunes Élues de 12 ans, que je suis comme lui. Une femme-papillon. C'est impossible qu'il m'ait oublié. Impossible. Je serre mes poings avec rage, et ferme très fort les yeux, tandis que les heures, les minutes et les secondes s'écoulent en un battement de cils. Je me balance d'avant en arrière, doucement, et mon souffle se ralentit, et mon cœur s'apaise. Le monde s'efface, et je retrouve peu à peu le sourire. Lorsque j'ouvrirai les yeux, il sera là. Cet homme avec ses grandes ailes couleur de feu. Il m'emmènera dans son royaume de magie, et je ne reviendrai plus. Le temps se perd, et je me perds peu à peu en lui. Mais lorsque j'ouvre enfin les yeux, seul le silence répond à ma prière muette. Pas l'ombre d'un papillon. Alors, je me contente de regarder, impuissante, le vent emporter au loin tous mes rêves d'enfant.
Mais c'est lorsque tout semble perdu que je la vois. Non pas une ombre. Mais un éclat. Une étoile qui semble tournoyer dans le ciel. La plus petite étoile de la Voie Lactée. Je me redresse, et mon cœur bat si vite que je crois un instant m'être transformée en oiseau-mouche. J'ouvre la fenêtre pour voir d'un peu plus près, cette étincelle qui danse dans la nuit. L'air frais me mord le visage, mais je m'en contrefiche. Je tend le bras et je jure pouvoir la toucher. C'est alors que j'arrive enfin à la distinguer : une chevelure blonde comme les blés, une feuille lui recouvrant le corps, des ailes transparentes qui s'agitent au rythme de mon cœur affolé. Une fée. Mais pas n'importe laquelle. J'écarquille les yeux et je comprends enfin ce que cela signifie. Je ne suis pas une femme-papillon, je suis une enfant perdue. Alors, sans un regard en arrière, je saute. Je saute rejoindre la fée Clochette qui m'enveloppe de son rire lumineux et de sa poussière de fée. Je saute et je m'enfuis au loin, dans une contrée où les Hommes ne reviennent jamais. La seconde à droite, puis tout droit jusqu'au matin.
Rapport de police, le 07/08/15 à Toulouse : Le corps d'une jeune fille de 12 ans a été retrouvé, ce matin, par ses parents. Elle aurait sauté de la fenêtre de sa chambre située au premier étage, durant la nuit du 6 au 7 août.Hypothèse du suicide envisagée.