En ce début d'année 1463, François Villon, le poète le plus populaire de son temps, croupit en prison. Dénoncé comme coquillard par un notable agressé et dépouillé, il a été arrêté et condamné à mort, à finir comme ces pendus auxquels il a consacré une ballade, publiée bien des années plus tard. Mais, la Providence va encore venir en aide à ce fieffé coquin.
En haillons, crasseux, rongé de vermine, il se retrouve à table (et du genre bien garnie) face à un évêque, rien que ça ! Monseigneur Chartier, l'évêque de Paris en personne lui rend visite. Et pas une simple visite de courtoisie, mais pour affaires. Le prélat n'est pas en mission pour le Seigneur, mais pour Louis XI, le roi de France.
Avec, en mains, une proposition qui ne se refuse pas quand on attend de se voir passer au cou une superbe cravate de chanvre : la grâce. Evidemment, il y a une contrepartie à ce soudain revirement. Villon sortira de prison à condition de mener à bien une mission secrète commanditée par le monarque. Une mission d'émancipation du trône de France vis-à-vis de Rome et de l'Eglise...
Une mission qui doit débuter auprès d'un certain Johannes Fust, du côté de Mayence. L'objectif est de le convaincre de venir s'installer en France pour poursuivre le développement d'une toute nouvelle technologie qui commence à faire ses preuves : l'imprimerie. A l'origine, l'homme est orfèvre, mais depuis son association avec un certain Gutemberg, il a participé à la fabrication des premiers livres imprimés en Europe.
L'idée de Louis XI est assez simple : offrir la protection de la couronne de France aux imprimeurs et leur laisser toute liberté éditoriale. Autrement dit, pas de censure, comme l'Eglise en impose, elle qui a la mainmise, via les moines, sur les copies qui circulent. Avec l'imprimerie, on pourrait rendre les livres, tous les livres, accessibles à un plus grand nombre de gens et faire circuler la connaissance en dehors du strict giron ecclésiastique.
Evidemment, on se doute bien que l'Eglise aura à coeur de dénoncer cette politique libérale qui risque de rendre les idées progressistes, et donc contraire aux doctrines de la religion dominante, de se répandre. Mais, Villon n'est pas plus effrayé que ça à l'idée de défier le Vatican et sa puissance. Cela pourrait même l'amuser. Et puis, sa soif de liberté est la plus forte.
Alors, le poète accepte de disparaître et de se lancer dans l'aventure, accompagner d'un autre coquillard, un de ses vieux compères, Colin de Cayeux. Un sacré gaillard, celui-là, et bagarreur, en plus. La force associée à l'esprit de Villon, voilà le tandem de choc que le lecteur va suivre tout au long de ce roman.
Car Mayence ne sera que la première étape d'un long périple qui va emmener les deux hommes bien loin de leur pays d'origine, à la rencontre d'une société, plus secrète mais surtout plus recommandable que celle des coquillards : la confrérie des chasseurs de livres. Et, avec elle, le poète va découvrir certains des secrets les mieux gardés au monde...
Nous n'allons pas aller plus loin dans le résumé de ce roman, plein de surprises. Mais, rassurez-vous, il y a énormément à dire et nous n'allons pas manquer de sujets à aborder. A commencer par François Villon lui-même. Si vous ne connaissez sa vie qu'à travers le livre que lui a consacré Jean Teulé, vous serez surpris.
Ici, rien à voir avec le trublion auteurs de farces potaches dans le Quartier Latin. Non, c'est le voyou qui intéresse Jerusalmy. Le coquillard qui n'hésitait pas à dépouiller son prochain et à exercer une certaine violence pour cela. Un vrai gibier de potence, au sourire si particulier, mais doté d'un grand coeur. Reste qu'on a là un personnage libre et même libertaire qui ne roule que pour lui-même, y compris au cours de cette délicate mission.
Raphaël Jerusalmy a choisi d'utiliser le mystère qui entoure la fin de la vie du poète. En effet, tout est avéré : l'arrestation, la condamnation à mort et la grâce. Mais, ensuite, Villon a été banni de Paris et on a plus jamais entendu parler de lui. Seule la ballade des pendus, publiée 30 ans plus tard et prétendument écrite lors de sa détention, a fait reparler de lui.
Nul ne sait où et quand Villon est mort et c'est dans cette zone d'ombre que le romancier s'engouffre ici. La fameuse bonne idée jamais explorée dont je parlais en préambule. Imaginer la suite de l'existence du poète maudit. Alors, pourquoi ne pas en faire un aventurier découvrant de nouveaux horizons, parfaits pour refaire sa vie.
Mais, François Villon n'est pas le seul centre névralgique de ce roman. Il se trouve qu'il s'inscrit dans une époque qui commence à bouillonner de partout. Le Moyen-Âge est finissant et une nouvelle ère approche, qu'on baptisera Renaissance. On y est pas encore, mais, par petites touches, Raphaël Jerusalmy, avec une certaine habileté dans la narration, en montre les germes.
Cela commence d'ailleurs par un des personnages-clés du livre, même si on parle plus de lui qu'on ne le voit : Louis XI. On a souvent gardé pour seul souvenir de ce monarque une certaine cruauté (qu'on retrouve d'ailleurs dans le roman de Teulé) et une grande ingéniosité en matière de détention et de moyens de coercition.
C'est lui qui a fait de la Bastille la prison que le peuple de Paris détruira le 14 juillet 1789. On y installera les fameuses "fillettes", ces cellules minuscules dans lesquelles le prisonnier ne peut ni tenir debout, ni s'allonger... Pourtant, sur le plan politique, il ne faut pas oublier la volonté réformatrice de ce souverain.
Menacé par son frère, le Duc de Berry, qui a longtemps cherché à renverser son aîné pour prendre sa place sur le trône, il étend les frontières du royaume, guerroyant pour cela. Mais, il va aussi instaurer le système de transport du courrier qui deviendra la Poste. Bon, c'est d'abord afin d'être au courant de tout ce qui se passe dans le royaume avant tout le monde qu'il l'instaure, mais son système perdurera.
Et puis, et l'on revient à notre roman, il permettra effectivement, même si c'est un peu plus tard que ne le dit Jerusalmy, l'essor de l'imprimerie, qu'il placera sous sa protection, permettant à d'autres qu'à l'Eglise ou la Sorbonne de faire circuler des écrits. Je ne vous donne pas un cours d'histoire, tout ça, je suis allé le chercher, aiguillonné par la lecture du roman de Raphaël Jerusalmy.
Mais Louis XI ne fera que préparer l'entrée de la France dans la Renaissance, qui interviendra quelques décennies plus tard. Au fil des pages, on note d'autres éléments qui portent les germes des changements radicaux qui interviendront bientôt, sur le plan politique, religieux, culturel, artistique, scientifiques, etc.
On croise ainsi les Médicis, Côme auquel va bien vite succéder Laurent, ou encore un certain Christophe Colomb, qui rêve de voyages autour du monde... On commence à voir poindre, en Allemagne, les idées réformistes de Luther... Et, même Villon, à sa façon, en s'émancipant des sujets traditionnels, en s'adressant au peuple et en brisant bien des règles établies concourt à ce changement.
Toutes ces tendances, mises bout à bout, vont ébranler la mainmise totale de l'Eglise sur la vie intellectuelle de l'Europe. Et, au-delà de ce pouvoir terrestre, la mission confiée à Villon par Louis XI est de nature à briser aussi le monopole et la puissance du dogme catholique en Europe. Au profit d'esprit plus libres, avides de connaissances qui ne soient pas imposées par un pouvoir quelconque.
Jerusalmy entremêle les complots au cours de son récit, fait courir mille dangers à son héros, lui fait faire des rencontres cruciales, tant sur un plan professionnel que personnel, et lui met en main des documents au combien fascinant. Je me suis demandé ce qu'un auteur plus porté sur l'imaginaire aurait pu faire de cette histoire.
La tentation est grande d'imaginer un récit uchronique dans lequel Villon jouerait un rôle capital et renversant, lançant une fabuleuse révolution qui changerait la face du monde pour longtemps. Jerusalmy n'a pas été jusque-là. Les libertés, légères, qu'il prend avec l'histoire, servent son propos mais ne sortent pas du cadre d'un roman historique et d'aventures.
En quatrième de couverture, on évoque Don Quichotte et c'est vrai qu'il y a un peu de ça, dans le Villon de Jerusalmy : ce qu'il accomplit est encore plus beau parce qu'inutile, voué à l'échec... Mais cela n'empêche pas l'écrivain facétieux de glisser ça-et-là quelques épisodes savoureux qui changent nos perspectives de lecteurs du XXIe siècle.
Il joue aussi parfaitement avec les oppositions larvées des trois religions monothéistes. Mais, malgré les origines et les appartenances des différents personnages que l'on croise, leurs fois, certainement sincères, tous s'affranchissent de cela pur des objectifs plus grand qu'un simple pouvoir terrestre. Avec une arme d'une puissance folle : les livres.
C'est aussi cela, "la Confrérie des chasseurs de livres", un hommage flamboyant à la puissance de l'écrit. L'imprimerie, c'est la fin, en Europe, en tout cas, de la prédominance de l'oral. Les écrits restent, contrairement aux paroles, et on peut surtout diffuser les textes bien plus aisément et largement encore par ce moyen (à condition de savoir lire, ce qui restera encore une question à régler).
Mais, de cette façon, les chasseurs de livres essayent simplement de prendre les puissances religieuses, et Rome plus encore que les autres, à leur propre jeu : les religions monothéistes sont des religions du livre, elles ont assis leur puissance sur l'écrit et, comme celui qui prendra par l'épée, périra par l'épée, l'écrit pourrait les abattre.
"La confrérie des chasseurs de livres" n'est pas un thriller historique, malgré le côté roman d'aventures, les questions ésotériques abordées et les divers complots et embûches que l'on rencontre de chapitre en chapitre. C'est plus une espèce de parabole sur la liberté, l'émancipation de ces dogmes qui nous entravent et la passion des livres et de la lecture.
On sent une certaine jubilation chez l'auteur à jouer avec l'Histoire et les histoires, à utiliser certains personnages historiques pour servir son récit. Il flotte sur ce roman une certaine impertinence, pour ne pas dire une certaine insolence, qui siéent parfaitement au personnage qu'a choisi Jerusalmy : ce diable de François Villon.