« Je viens »
BAYAMACK-TAM Emmanuelle
(P.O.L)
Charonne, fillette métisse adoptée, arrimée à une famille en voie de décomposition. Que faut-il retenir de ce tumultueux roman ? Le racisme omniprésent tout au long d’un récit à trois voix ? Le racisme à visage découvert ou bien dissimulé derrière les propos feutrés dont usent les gens de belle naissance ? Les turpitudes ordinaires qui prévalent au sein de la société bourgeoise dont la seule préoccupation vise à faire fructifier ses rentes ? Le Lecteur a tendance, le livre à peine refermé, à amalgamer les deux et à considérer que cette bourgeoisie-là n’a jamais cessé de nourrir en elle le racisme. Pour s’en prémunir, Charonne cherchera, dans une famille qui n’est pas la sienne, à nouer alliance avec celle qui lui concède, si ce n’est de l’affection vraie, du moins de la considération, qui lui offre un espace où s’accomplir et l’accompagne jusque dans ses aventures a priori les plus insensées. Nelly, la « grand-mère », autrefois actrice ayant connu son heure de gloire, mariée (puis veuve) puis remariée à des hommes dotés de fortunes conséquentes. Gladys, sa fille et mère adoptive de Charonne, se tient à l’écart, s’isole en la compagnie de Régis son même pas demi-frère mais tout de même devenu son époux. Trois femmes donc qui racontent, chacune à sa façon, les évolutions d’un étrange bouillon de culture où pullulent tous les germes de la décadence, celle-là même qui prélude à la putréfaction.
A travers ces trois voix de femmes (Charonne, puis Nelly, puis Gladys), Emmanuelle Bayack-Tam brosse un tableau hyperréaliste de la société franchouillarde. Celle qui n’a toujours pas fait son deuil de la pourtant si peu glorieuse histoire coloniale. Celle qui s’illusionne encore sur sa puissance. Celle qui exhibe ce qu’il lui reste de richesses. Celle qui couve les haines familiales avec une évidente jubilation. Celle qu’angoisse un devenir qui lui échappe mais qu’elle feint d’accueillir comme s’il pouvait encore dépendre de son bon vouloir. Celle qui se donne en spectacle afin de donner aux autres l’illusion sur sa capacité à dominer le monde. Charonne, l’intruse, n’est pas dupe. Incarne-t-elle dans ce métissage qu’un soudard imposa à sa vraie mère les bouleversements en cours, l’humanité de demain ? Ou bien n’aura-t-elle d’autre alternative que de se fondre dans le moule et d’atteindre à la ressemblance des autres, ses « adoptants » ? Et si ces trois femmes-là symbolisaient l’affrontement entre le vieux monde qui agonise et celui qui s’essaie à naître hors des contraintes que l’agonisant voudrait lui imposer ?