Je vous retrouve aujourd'hui pour vous proposer trois nouvelles anthologies de littérature brésilienne contemporaine. Ici encore, trois anthologies très différentes et éclectiques sont au programme !
Toutes plus originales les unes que les autres, les dix nouvelles de cette anthologie rivalisent chacune en créativité et en poésie. Souvent énigmatiques, parfois fantaisistes et extravagantes, on redécouvre à chaque nouvelle histoire un nouvel univers, une nouvelle approche de la vie et de la littérature. La nouvelle de Sérgio Sant'Anna est par exemple une des plus bizarres et poétiques du recueil selon moi, même si celles de Marcia Bechara (La Maison ds fauves) et de Joao Paulo Cuenca (La Pièce aux oiseaux) ne sont pas loin derrière. Figure de la littérature marginale, Marçal Aquino nous propose quant à lui avec Boeuf une nouvelle assez violente et tout aussi tragique que celles de Luis Fernando Verissimo (Conte d'été n°2) et de Godofredo De Oliveira Neto (Rien à enregistrer) -ces deux dernières nouvelles sont d'ailleurs mes préférées de cette anthologie. Rythmées, que ce soit par leur forme comme dans la nouvelle Eté d'Amilcar Bettega, ou par leur écriture comme la nouvelle Elan d'Evando Affonso Ferreira, les nouvelles de ce recueil nous proposent un voyage intéressant à travers le Brésil contemporain. Une anthologie très intéressante que je recommande à ceux qui aiment lire des textes travaillés, poétiques et énigmatiques, et qui aiment se laisser porter par l'imagination d'un auteur. Mille mercis aux éditions Envolume pour l'envoi de ce livre !
« Et, en fin de compte, nous ne pouvons pas savoir si on a vu ou non l'homme en train de tirer sa charrette, car nous ne nous occupons qu de ce qui se passe ici, dans cet espace, où rien ne se passe. Mais d'une chose nous sommes certains : cet homme, un jour, a aussi trouvé son heure. Et peut-être - parce qu'il n'avait ni mère, ni père, ni femme, ni enfants ou amis - à l'heure de sa mort, s'est-il rappelé son cheval. L'homme a pensé, peut-être, que maintenant il allait aller retrouver son cheval, de l'autre côté. Oui, de l'autre côté : d'où viennent les échos et le vent et où pour toujours, se retrouvent hommes et chevaux.
Vers cet autre côté, il y a une ligne ténue que parfois l'on traverse - une frontière. Cette ligne, vous la traversez, vous revenez ; vous la retraversez, vous revenez, vous reculez de peur. Et puis un jour, vous y allez et ne revenez plus. » Sérgio Sant'Anna dans Un conte (un non-conte), je vous le conte ?
Des nouvelles nerveuses et revendicatives, inquiètes et désabusées, poétiques et nostalgiques, fières et impolies… Des histoires qui montrent une favela libérée des préjugés, consommatrice, hyper active, amoureuse, débrouillarde, mais toujours violente, exclue. Je suis toujours favela et j’écris mes espoirs, mes déceptions, mes ambitions, mes joies. Un collectif d’auteurs : ils sont favelas mais pas muets. Engagés, dissidents, confirmés ou débutants : la parole leur est donnée. Je suis toujours favela est un mélange de genres, de styles, de talents et de regards.
7 articles et entretiens : Le Brésil a changé ces dix dernières années. Croissance du PIB, réduction des inégalités… Les avancées économiques ont eu des retombées sociales dans la favela. Cette société brésilienne émergente perdurera-t-elle ?
Les nouvelles ont ici été rassemblées par auteur et non pas par thème, on repère ainsi plus facilement le style propre à chaque écrivain et on retient mieux les noms que l'on a appréciés - encore une fois, ma préférence va aux nouvelles de Rodrigo Ciriaco. Point positif, on ne perd pas en cohérence pour autant, au contraire : ce deuxième opus se concentre plus sur l'aspect social des favelas, leur évolution en termes de travail, d'embauche et d'argent et l'intégration de ses habitants dans la société. Aussi, les 25 nouvelles de cette anthologie parlent à leur manière de la « nouvelle classe moyenne » à laquelle appartiennent les favelados, et sont enrichies d'un dossier thématique encore une fois très complet et passionnant. Alors que le dossier du premier opus se concentrait plutôt sur les dimensions historiques et culturelles des favelas, le second rassemble des informations plus politiques et sociales en proposant par exemple des informations sur les mesures prises par Dilma Roussef, leurs conséquences, leurs réussites et leurs échecs. Enfin, Je suis toujours favela nous donne à voir une image moins sombre des favelas que celle véhiculée par le premier ouvrage. La criminalité y est moins présente, mais on constate toujours que les conditions de vie et la situation sociale des habitants restent très précaires et surestimées. Petit précision : il se lit sans problème indépendamment du premier ! Un très bon livre avec à nouveau de belles découvertes d'auteurs et des informations sociales et politiques très intéressantes et très complètes.
« Elle arrive avec son sujet prêt : "Communauté XXIe siècle". Elle veut une source fiable, pour témoigner et donner de la crédibilité à son article. Elle demande à droite et à gauche et finit par apprendre l'existence d'une certaine dona Benedita, la plus vieille habitante de la favela. Une femme respectée pour son histoire personnelle, son esprit critique, que l'on trouve devant sa porte en bois, assise sur sa chaise à bascule.
Elle -tout sourire. Dona Dite -sérieuse. Elle lui explique sa profession, présente son journal, raconte brièvement l'objectif de son sujet : parler des transformations dans la vie de la communauté :
- Communauté, non. Favela, l'interrompt dona Dita.
- J'ai l'impression qu'aujourd'hui les gens préfèrent dire communauté...
- Pas moi. Moi, je préfère parler de favela. Je vois encore la misère, l'occupation policière, la violence - et ça, c'est la favela. Vous, les chercheurs, les journalistes, vous aimez bien mettre des jolis noms pour masquer la réalité des choses. La favela, c'est la favela. Tant que je verrai autour de moi pauvreté, peur, insécurité, j'appellerai ça la favela. » Rodrigo Ciriaco dans Communauté XXIe siècle.
Drôles, émouvantes, tristes, ces nouvelles nous rappellent à chaque ligne à quel point le sport et le football en particulier peuvent être un vecteur d'émotion. Ces histoires sont racontées par des enfants (Faute de Toni Marques), des adultes, des arbitres ou de simples supporters, et racontent à leur façon de quelle manière le football a aidé ces enfants à grandir et ces hommes à se construire et à écrire leur histoire. La nouvelle Onze maillots de Tatiana Salem Levy illustre d'ailleurs particulièrement bien cela - et est sûrement ma préférée du recueil avec celle de Luiz Ruffato, Bonheur suprême. Toutes ces histoires ont en tout cas un point commun : elles racontent comment le football tisse le lien social au Brésil. Sans jamais mettre en scène des personnages solitaires ou isolés, les auteurs de ces nouvelles inventent au contraire des personnages sociables qui vivent le football en collectivité. A l'image de la fameuse citation d'Into the wild, Joao Anzanello Carrascoza résume ainsi dans sa nouvelle Défaite que « la joie d'une victoire est incomplète, lorsque l'on est seul ». Une très chouette anthologie que je vous recommande, que vous aimiez ou non le football.
« Je viens d'avoir quarante-cinq ans, Hugo et Arthur également. Nous sommes nés dans le même quartier, avons étudié dans la même école, avons joué au foot ensemble. Nous habitons aujourd'hui de l'autre côté de la ville, là où nos souvenirs d'enfance sont considérés comme exotiques. Nos femmes ne veulent pas les entendre, elles préfèrent nous poser des questions sur notre carrière, notre salaire, nos perspectives d'avenir... Je ne sais pas si c'est pareil pour tous les célibataires sans enfants. En tout cas, le futur est un putain de cercueil. » Mario Feijo dans Liberté, égalité, fraternité.
Avez vous lu des anthologies de littérature brésilienne depuis le dernier article ? Pensez-vous que celles-ci pourraient vous intéresser ?
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