« Monologue du nous »
NOËL Bernard
(P.O.L.)
« Nous avons perdu nos illusions, et chacun de nous se croit fortifié par cette perte, fortifié dans sa relation avec les autres. Nous savons cependant que nous y avons égaré quelque chose car la buée des illusions nous était plus utile que leur décomposition. » Bernard Noël formule ici terrible, un terrifiant constat. Un constat qui rejoint et éclaire celui qu’établit le Lecteur. Un constat qui induit immédiatement une interrogation : que faire ? Que faire, non pas sur le mode léniniste, mais dans un retour au « Nous » dans sa dimension humaine ? Sombrer dans le désespoir ? Se livrer à des actions symboliques, à l’instar des « Nous » qui après en avoir longuement délibéré, revolvérisent un banquier sur le trottoir d’une avenue parisienne ? « L’espoir ne peut changer le monde. Le désespoir peut tout risquer. Nous avons souri de ce complément imaginé par d’autres : L’avenir est un leurre qui énerve en vain le présent ! »
Bernard Noël écrit dans une prose dense, directe, abrupte la souffrance des « Nous » égarés, conscients qu’ils vivent ce temps infiniment redoutable du triomphe d’une idéologie, de l’idéologie qui est la négation des valeurs auxquelles il a cru, tout autant que le Lecteur. Il laisse entrapercevoir les errances, les tâtonnements de ceux qui osent affronter le système sans toutefois savoir vers quelle perspective se tourner. Bernard Noël sonne le tocsin, tente de réveiller les consciences. « Nous pensons que notre volonté fondamentale de détruire les illusions protège nos actions dans un monde où la dissolution de tous les repères sociaux se double du perfectionnement continuel des systèmes de surveillance et de répression. Nous regardons pourrir les restes de la gauche et fleurir les idées de droite tandis que devient populaire le seul parti de ce bord-là que tous les autres ont cru marginaliser. »
Pas la moindre concession dans le propos de Bernard Noël. Le monde en cours de « fabrication » est un monde de destruction, d’exclusion, d’anéantissement. Le pire des mondes. « … et d’ailleurs l’ancienne pensée unique des Soviétiques avait beaucoup moins d’emprise que l’occupation médiatique plus prenante que toute idéologie. Nous avons songé à faire un dossier sur la différence entre la vieille propagande politique, qui autrefois violait les foules, et la médiatisation qui se contente de vider les têtes pour fabriquer des cerveaux disponibles aux invites de la consommation. » Bernard Noël place le Lecteur face à l’abîme, sa façon à lui de suggérer l’urgence de reconstruire le « Nous » afin de mieux résister aux tentations suicidaires qui résultent inéluctablement du repli sur le « Je ». Ce monologue est à découvrir de toute urgence : le temps « Nous » est compté.