« Goodbye, Colombus »
ROTH Philip
(Folio)
Le Lecteur n’avait guère plus de vingt ans lorsqu’il découvrit Philip Roth. Ce roman-ci. Le premier qui ait été traduit puis publié par la (presque) honorable maison Gallimard. Son enthousiasme, crut-il alors, fut à son comble.
En son âge de vieillesse et de déraison, il entreprend une relecture chronologique de l’œuvre de ce Romancier qui est l’un de ceux qui ont le plus marqué ses errances littéraires. Puisque Philip Roth a pris la décision de ne plus écrire. Et que lui, le Lecteur, a désormais atteint un âge où des échéances que d’autres qualifient de fatales se précisent. Retrouver l’œuvre dans sa globalité, roman après roman, s’en imprégner, peut-être comprendre le pourquoi de la fascination qu’elle exerce sur lui (voire même de ce qui est assimilable à une certaine complicité). Malgré tout ce qui différencie : la langue, la culture, les origines, l’espace, le temps, les territoires. Dans une (vaine ?) tentative de rendre hommage à ce juif américain qui transgressa les tabous, qui usa d’une liberté dont il lui fut fait reproche, non seulement au sein des communautés juives, mais aussi chez les « bien pensant » de chez nous.
Donc « Goodbye, Colombus » (mais aussi les cinq récits/nouvelles qui accompagnent le roman). Cinquante ans plus tard, l’enthousiasme ne s’est pas édulcoré. Mieux même : parce qu’il a vécu, traversé des épreuves, parce qu’il s’est confronté aux tragédies, celles des temps qui succédèrent à la barbare épopée nazie, le Lecteur en vient à considérer ce roman-là comme un chef d’œuvre. Un roman qui atteint à l’exception. Un roman dont le « matériau » de base est la communauté juive américaine. Avec ses différences, ses contradictions. Scrutée, décortiquée par le regard acerbe de l’Ecrivain. Dont l’humour corrosif transparaît déjà. Mais qui s’interdit le vil plaisir de la « gratuité », de la facilité, qui se refuse les infantiles traits d’esprit, les clins d’œil appuyés. Philip Roth dépeint un monde aux dysfonctionnements qui préludent à ce qu’il adviendra plus tard. S’il fait de la société juive américaine le sujet central de son roman, c’est pour une seule, une unique raison : il naquit en son sein et c’est elle qui lui transfusa l’essentiel de ce qu’il est devenu. Mais réduire le roman (et ses cinq annexes) à cette seule perception-là reviendrait à l’observer par le petit bout de la lorgnette, à s’éviter de se confronter à soi-même, à s’interdire de reconnaître l’humanité dans ce qu’elle a d’universel. Avec le recul, le Lecteur mesure ce que fut l’impact de « Goodbye, Colombus » sur le jeune homme d’à peine plus de vingt ans. Tant il lui est aujourd’hui impossible de se faire à l’idée qu’un tel bouquin n’ait plus d’autre avenir que de vieilli sur les rayonnages de sa bibliothèque.