We3

On connaît Grant Morrison pour ses scénarios complexes et son amour de l'univers DC, mais il surprend parfois avec des histoires simples et touchantes. We3 est une des ces histoires.

En 2004, Morrison décide donc d'écrire une histoire relativement éloignée de ce qu'on attend habituellement de lui, sans pour autant aller vers une simplicité décevante. Aidé par son compère Frank Quitely, qui l'a suivi chez les Mutants de Marvel, puis chez DC, il décide d'écrire sur 3 animaux, transformés en machine de guerre par l'armée américaine, qui vont s'enfuir.

Les Trois, mentionnés dans le titre, sont un chien, un chat, et un lapin. Trois animaux domestiques enlevés à leurs maîtres, puis pris en charge par une unité spéciale qui fera d'eux des armes implacables. Protégés par une des scientifiques du programme qui s'est attachée aux animaux, ils vont entamer une fuite pour retrouver un foyer.

L'auteur s'attaque à un exercice de style assez périlleux avec cette série. Les animaux ne peuvent presque pas parler, s'expriment uniquement avec des mots qu'utilisaient leurs "dresseurs", et ne peuvent donc pas faire une phrase ou exprimer des idées claires et complexes. En plus de ça, une armée de soldats humains se dresse face à eux, ce qui aurait pu empêcher Morrison de développer une intrigue, tant l'histoire se prêtait aux scènes d'actions.

We3

Pourtant, il arrive à surprendre son lecteur, en ayant déjà un dessinateur fabuleux pour l'épauler, mais aussi un sens de la mise en scène et de la construction narrative bluffant. On l'a revu dernièrement sur Multiversity, mais Morrison ne laisse rien au hasard. Il écrit peu comparé à d'autres auteurs, mais chaque oeuvre peut être disséquée et révélera des trésors d'inventivité. Le découpage, par exemple, joue avec le lecteur, comme s'il l'emprisonnait. On pourra noter que le premier numéro est composé quasi-entièrement de pages découpées en deux avec énormément de symétrie en leurs seins, avant d'exploser dans deux doubles pages qui arrivent comme deux claques monstrueuses. La liberté des animaux est annoncée, puis montrée, et l'aventure commence. Avant, Morrison aura pris soin de faire 6 pages de vignettes tirées de caméra de surveillance, sans aucun dialogue, mais qui arriveront à faire avancer son histoire. Un challenge qui ne le rebute pas.

We3

Il y a un millier d'autres idées dans la construction narrative de la série à découvrir, mais plus qu'un exercice de style, We3 est une histoire terriblement humaine et touchante. A la violence crue et presque gore des dessins, Morrison répond par un aspect attendrissant des animaux. Ils reprennent sans surprise les traits classiques de nos animaux domestiques (la fidélité pour le chien, la méfiance naturelle pour le chat), mais sont mis dans des situations de conflits militaires, tout en gardant ce qui fait l'essence de ces animaux. Le lien qui les unit est fort, émouvant parfois, et le chien devient immédiatement un des animaux les plus adorables des comics. C'est normal, vu que les chiens sont les meilleurs animaux au monde. En attendant, les animaux arrivent à exprimer des émotions simplement avec des petits mots, des gestes (Quitely y est pour beaucoup), on les voit souffrir, espérer, avoir des remords, en impliquant le lecteur.

We3

Face à eux se tient l'Homme, et l'auteur y va franchement pour dénoncer son comportement militaire, pragmatique, et inhumain. Du coup, on ne peut que s'attacher aux animaux, devenus plus touchants que leurs ennemis. C'est là la grande réussite de cette série : Morrison crée des animaux presque normaux, mais on s'y attache. C'est paradoxalement une histoire humaine, pleine de bons sentiments, malgré la violence constante.

Frank Quitely a ici une occasion parfaite de montrer l'étendue de son talent, grâce au script de Morrison. Les deux travaillent parfaitement ensemble, mais ici, Quitely atteint là un niveau ahurissant. Outre les animaux qui ont une véritable "vie", ses scènes de guerre sont incroyables, jouant en permanence sur le mouvement et la rapidité des bêtes. Les doubles pages sont pleines de puissances, évocatrices et chargées en détails, et chaque numéro déborde de petites idées de narration, ce qui montre d'une part le talent du monsieur, mais aussi son lien avec Morrison. Comme son compère, Quitely produit peu de numéros par an, mais on comprend vite pourquoi.

Que vous aimiez ou non les animaux, ou même si vous aimez les chats, We3 est une lecture qui est je pense indispensable. C'est une histoire simple mais touchante, qui ne tombe jamais dans la mièvrerie, et sait garder une part de violence brutale. Le concept est simple, mais l'exécution est riche. C'est toujours disponible en VO, et Urban Comics l'a sorti en VF il y a quelques temps, donc vous n'avez aucune excuse.