Jours de Libération

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« Jours de Libération »

LINDON Mathieu

(P.O.L.)

Libération. Les nouveaux Maîtres ont pris le pouvoir. Mathieu Lindon commence le 7 novembre 2014 l’écriture d’un livre, sous la forme d’un journal, sur ce que pourrait être l’agonie d’un quotidien dont le Lecteur fut un familier. (La date est pratiquement celle à laquelle le Lecteur décida d’interrompre sa longue liaison avec cet organe de presse.) La nouvelle direction et les syndicats viennent de négocier une clause de cession « qui permet de quitter le journal avant le 28 novembre avec comme indemnités un mois de salaire brut par année de présence… » Dilemme pour Mathieu Lindon : rester ou partir ? Quand tant de ses amis et confrères quittent le navire. Pour des raisons que Mathieu Lindon n’explicite pas. Il n’est question que de lui, de ses hésitations, de ses états d’âme. « Mais je suis inquiet, je vois bien que les choses vont changer radicalement. » Lindon tergiverse.

Mathieu Lindon reste. Il écrit son livre, « sans agressivité ». Gentil, respectueux. A l’égard de Laurent (Joffrin). A l’égard des nouveaux maîtres sur le compte desquels il n’exprime rien, ne révèle rien. Mathieu Lindon n’est tout simplement pas « en état psychologique de partir ». Mieux encore (30 novembre): « Maintenant que j’ai commencé ce texte, j’ai besoin d’être encore au journal pour le continuer. » Quelques anecdotes. La lente, l’inexorable dégradation de la rédaction face à la belle obstination de Mathieu Lindon. Les problèmes d’ascenseurs et de monte-charge comme symboles de l’agonie. Un narcissisme à fleur de peau : « … y a-t-il un risque d’humiliation à rester, de se voir préférer des collègues pour le travail desquels je n’ai aucun respect, à me retrouver sous les ordres d’imbéciles ? » Les pots de départs. Pauvre Libération !

Et puis, patatras ! Mercredi 7 janvier 2015. Le carnage à Charlie Hebdo. Dont Philippe (Lançon) réchappe. Philippe Lançon. Personnage central des pages « Livres » de Libé, pages auxquelles Mathieu Lindon collabore via une chronique hebdomadaire. Le livre, lui, acquiert alors ce petit peu de profondeur, d’humanité que le Lecteur n’avait pas décelées dans la première partie. Philippe Lançon souffre et se bat. Mathieu Lindon survit dans la médiocrité qui afflige un journal où tout va de mal en pis. Ce qui s’inscrit tout naturellement dans la politique concoctée par les nouveaux actionnaires, qui n’ont pas acheté Libé pour lui rendre tout son lustre, qui ont acquis un titre nanti d’une évidente notoriété tout autant qu’un immeuble sis en plein cœur de Paris.

Et les lecteurs ? Bof. De l’accessoire. Du superflu. Mathieu Lindon les évoque dans les dernières pages. Avec de la condescendance. « Lorsqu’ils n’achètent plus le journal, c’est un indice fort que quelque chose ne va pas. » Tournons la page. Il n’y a rien à voir. Ou si peu. Tellement peu. Mathieu Lindon s’accroche. Mathieu Lindon « fera » les pages été. Celles de l’été 2015. Nous y sommes. Le Lecteur s’en indiffère.