La défection de A.J.Lewinter, Robert Littell - Duel au sommet de l'espionnage

La défection de A.J.Lewinter, Robert Littell - Duel au sommet de l'espionnage
"Si vous avez ce que vous prétendez avoir, dit-il, ce serait une grosse affaire pour nous. Et bien entendu, nous vous en serions très reconnaissants. Mais les gens ne surgissent pas comme ça pour vous offrir une information de cette taille." Première lecture de Littell (père), et plutôt une bonne surprise.
A.J. Lewinter, ingénieur américain travaillant dans le secteur de l'armement, vraisemblablement détenteur d'informations sensibles sur les missiles nucléaires des Etats-Unis, vient de passer à l'Est, via l'ambassade soviétique au Japon. Pour les Américains comme pour les Russes, cette défection est, à bien des niveaux, incompréhensible. De part et d'autre du Rideau de fer, les responsables des services secrets (Diamond d'un côté, Pogodine de l'autre) s'affrontent dans une joute psychologique extrêmement prenante.
Grand absent du récit, Lewinter est un personnage en creux, flou, insaisissable, paradoxal en diable - et cette trouvaille narrative fait clairement l'originalité du moment, en laissant constamment le lecteur balancer dans le doute. Alors, taupe ou pas taupe ? C'est justement tout le problème. "Mon métier n'est pas l'espionnage, c'est la maîtrise des jeux. C'est moi, ton pion agressif. J'essaie d'imaginer ce que les Américains sont en train de faire. Ils essaient d'imaginer ce que nous sommes en train de faire. Et puis j'essaye d'imaginer ce qu'ils pensent que nous faisons. Et ils essaient d'imaginer ce que je pense qu'ils pensent que nous faisons. Et ainsi de suite, ad infinitum."
Moins vertigineux qu'un Le Carré (voir sa brillantissime Taupe), mais nécessitant aussi moins la concentration ultime et l'attention extrême aux détails que son collègue exige, Robert Littelle offre ici, avec son grand classique, un divertissement d'une belle qualité, rondement mené, et non sans humour. Et vraisemblablement très bien traduit (les Manchette sont aux commandes), ce qui ne gâche rien. Avec quelque chose de Graham Greene (voir l'exceptionnellement drôle Notre agent à La Havane), construit avec la rigueur d'une partie d'échecs, La défection d'A.J. Lewinter se déroule comme un délicieux jeu du chat et de la souris, qui broie les individus au profit des stratégies et des ambitions. En bref : diabolique et joliment fichu !

"Nous avons toutes les raisons de nous faire du souci pour l'anodin M. Lewinter. Parce qu'ils l'ont pris chez eux."