Je sais, je sais, ce titre paraît énigmatique au premier regard. Un bada, quèsaco ? Ne vous inquiétez pas, tout va rapidement s'éclairer et le bada en question, en tout cas la reproduction d'un de ses semblables trône fièrement sur la couverture de notre livre du jour. Un roman historique assez foutraque, qui couvre quasiment un siècle et demi d'Histoire, dans une période mouvementée, et qui nous parle de la religion, de ses dangers, mais aussi de la coexistence des différents courants, de manière très originale. Dans "Dix-mille guitares", en poche chez Points, Catherine Clément joue avec l'histoire, les légendes, la littérature, aussi, et nous permet de suivre les extraordinaires destins parallèles d'un roi excentrique et exalté et d'un rhinocéros (le voilà, notre fameux bada) qui lui fut offert en cadeau. Et nous emmène à la rencontre des souverains de la plupart des puissances européennes de l'époque, du roi d'Espagne Philippe II, jusqu'à la Reine Christine de Suède... Et, si la tonalité est souvent teintée d'ironie assez féroce, sous ce vernis, une vraie réflexion sur le glissement opéré à la Renaissance de la religion vers la science et les Lumières...
Le destin du roi du Portugal Sébastien Ier est loin d'être ordinaire. Lorsqu'il naît en 1554, son père est mort quelques mois plus tôt. Sa mère, elle, va vite quitter le pays et rentrer auprès de son frère, le roi d'Espagne Philippe II. C'est donc un souverain quasiment orphelin qui devient roi à 3 ans à peine. Il lui faudra attendre sa majorité, à 14 ans, pour régner.
Adoré de son peuple, qu'il préfère largement à son aristocratie, Sébastien Ier inquiète pourtant ses proches. La rumeur en fait un sodomite, mais il souffre plus certainement d'impuissance. Timide mais confit en dévotion, on ne lui connaît aucune relation sentimentale, pas plus féminine que masculine. Et, les années passant, on commence à s'inquiéter de la succession et de la survie de la dynastie des Aviz.
Mais, Dom Sébatien s'en moque, de ces inquiétudes. Fort de son règne de droit divin, il se voit soldat du Christ et envisage de lancer une Croisade. Oui, une Croisade, ce qu'on n'a plus vu depuis des siècles. Mais, le monarque n'envisage pas de conquérir la Terre Sainte, son idée est bien plus originale que cela : prendre le Maroc pour... y installer le Portugal.
Eh oui, son pays d'origine est tout petit, coincé entre l'océan et son encombrant voisin espagnol. En installant sa capitale, sa cour, son gouvernement et une bonne partie de son peuple sur ce territoire bien plus vaste, il se dit qu'enfin, le Portugal aura la stature qui sied à une puissance coloniale qui s'étend sur l'ensemble du globe.
Une folie, pour ses conseillers et pour son oncle, le roi d'Espagne, qui se dit qu'entre Sébastien d'un côté, Rodolphe II, qui règne sur le Saint Empire Romain Germanique et son propre fils, Charles, voilà trois jeunes monarques complètement cinglés, ce n'est guère rassurant... La famille Habsbourg, dont la tradition endogamique a fait la part belle à la consanguinité, commence à payer la note...
Rien ne va réussir à dissuader Sébastien de lancer sa croisade. Ni le peu d'empressement de Rome à la soutenir, ni la difficulté à rassembler les fonds et les troupes nécessaires, ni la tiédeur de sa famille, Philippe et Rodolphe, à lui prêter main forte, pas plus que la réticence d'une bonne partie des pairs Portugais, alors que les jeunes nobles, eux, s'imaginent déjà couverts de gloire.
Même un premier échec, quelques années plus tôt, une lamentable expédition qui a tourné court et a vu Sébastien rentrer au pays couvert de ridicule, ne le décourage pas. Dieu est avec lui, clame-t-il, il ne peut donc échouer... D'autant qu'il a noué une alliance avec Moulay Mohammed, sultan récemment déchu par son oncle, qui espère bien récupérer son trône, en profitant de la naïveté du Portugais.
Le 4 août 1578, se déroule à Ksar-el-Kébir une féroce bataille qui restera dans l'histoire sous le nom de la Bataille des Trois Rois. Trois souverains, le sultan, son neveu déchu et Sébastien, qui vont mourir lors de cet assaut terrible. Pourtant, longtemps, jusqu'à nos jours, même, la légende va circuler au Portugal : le roi Sébastien n'est pas mort et il reviendra pour la plus grande gloire du Portugal...
Outre son royaume, privé du fleuron de sa jeunesse, tombée au Maroc et qui va voir la dynastie des Aviz s'éteindre moins de deux ans plus tard, Sébastien laisse derrière lui un animal qui fait beaucoup jaser : un rhinocéros capturé aux Indes Orientales, territoire portugais, que les autochtones appellent un bada, et que Sébastien viendra voir régulièrement pendant l'année précédant son départ funeste.
L'admirable animal, qui impressionne par sa carrure et son anatomie mâle pour le moins vigoureuse, va devenir un enjeu entre Habsbourg : Philippe aimerait le récupérer au nez et à la barbe du Pape et Rodolphe, fou de sciences et collectionneur invétéré, voudrait l'ajouter à sa ménagerie... Mais, jamais Sébastien ne cédera et, une fois le roi Portugais disparu, rien ne se passera comme prévu.
C'est sa corne que l'on va alors suivre dans ses nombreuses pérégrinations à travers l'Europe. Elle sera le témoin muet de bien des événements marquants de cette époque, jusqu'à la fin du XVIIe siècle et côtoiera les puissants de ce monde, avec la réputation d'être un antidote contre les poisons, au point qu'on en fera un hanap.
"Dix-mille guitares", ce n'est pas que la rencontre de Sébastien et du rhinocéros, mais aussi leur histoire parallèle bien longtemps après leurs morts. Et si, en effet, Sébastien avait survécu, que serait-il devenu ? Quant au bada, puis à sa corne, ils vont s'improviser narrateurs de ce roman historique très particulier, souvent drôle, tournant en ridicule les puissants et jouant avec habileté et malice avec les faits historiques.
Mais, au coeur de cette histoire, ce sont les trois religions monothéistes qui occupent une grande place. Les XVIe et XVIIe siècle sont jalonnés de conflits à caractère religieux : la traque et les conversions forcées des juifs et des musulmans d'Espagne, les guerres entre catholiques et protestants un peu partout, la menace turque qui se fait pressante en Europe de l'Est, la Guerre de Trente Ans, etc.
Bien sûr, à commencer par la fantasque croisade de Sébastien, ces événements sont omniprésents dans le roman. Mais, en arrière-plan. En effet, que ce soit Sébastien, après la Bataille des Trois-Rois, Rodolphe, son cousin, qui croit à la science et prône le dialogue entre religions, car la science, elle, est la même pour tous, quel que soit son Dieu, et, plus tard, Christine de Suède, qui abandonnera le l'église luthérienne pour le catholicisme, tout en restant très libre par rapport à Rome.
Catherine Clément, philosophe avant d'être romancière, nous offre ici un magistral cours sur la tolérance religieuse. Ses personnages, qu'ils en soient convaincus, pour diverses raisons, ou que leurs yeux soient dessillés, vont tous dans ce sens : le respect de l'autre, sa découverte pour mieux le comprendre, la coexistence pacifique, malgré les réticences de leurs temps.
"Dix-mille guitares" (allusion aux instruments emportés par les troupes portugaises lors de la Croisade et abandonnées sur le champ de bataille après la débâcle) est une sorte de fable qui, sans négliger l'exactitude historique, dresse des portraits assez loufoques des personnages centraux, tous excentriques, pour employer un euphémisme, et défrayant la chronique.
L'ironie mordante de Catherine Clément fait mouche à chaque fois, et, de Sébastien à Catherine, en passant par Rodolphe, on a là des personnages qui valent le coup d'oeil. Mais qui, d'une certaines manières, sont des hommes et des femmes libres, parce qu'ils se sont affranchis d'une étiquette souvent pesante, et même des fonctions politiques majeures qui auraient dû être les leurs.
Un paragraphe sur Catherine de Suède. La vision de la souveraine suédoise, célèbre pour sa laideur (alors qu'elle fut interprétée au cinéma par Garbo !), sa relation avec Descartes et sa vie turbulente à travers l'Europe, est traitée de manière assez différente de celle utilisée par Yann Kerlau, dans un livre que je garde en mémoire et recommande, "l'échiquier de la Reine".
Exubérante, jurant comme un charretier, imprévisible, consciente de sa laideur mais crasseuse au possible, intelligente, ayant fait ses humanités et philosophant, croquant la vie à pleines dents, renonçant au pouvoir mais pas à son statut de reine, complètement fofolle et pourtant redoutable, voilà une femme qui a pesé en Europe et qui devrait encore être un exemple pour beaucoup.
Mais, quand je parle de fable, c'est aussi parce que Catherine Clément s'amuse de différentes façons. La légende autour de la possible survie de Sébastien n'est pas une invention. Au contraire, elle a fleuri et donné bien des fruits, depuis : de faux Sébastien sont régulièrement apparus dans les années qui ont suivi la Bataille des Trois Rois et encore aujourd'hui, elle reste vivace.
La finesse avec laquelle elle imagine un destin alternatif à ce jeune souverain manquant de plomb dans la cervelle est une vraie réussite. Car, elle ne tisse pas seulement une belle histoire d'amour, mais elle fait progresser son personnage pour lui donner de l'épaisseur, de la sagesse et une stature digne du souverain qu'il n'aura jamais été.
Le rhinocéros, lui aussi, a réellement existé et connu le destin que lui fait suivre la romancière. Mais, en en faisant un narrateur et un témoin privilégié de son temps, elle donne à son livre une facette de conte philosophique. Le bada, dont l'histoire vient ajouter un nouvel élément en lien avec la religion, vous le verrez, joue le rôles des Persans de Montesquieu, en posant sur l'Europe et ses folies un regard d'une douce candeur.
Donnant la parole aux animaux, la romancière poursuit même dans le côté fable, faisant parler divers autres personnages surprenants, assez brièvement, c'est vrai, mais qui ajoutent un ressort comique à cette histoire. Avec une mention spéciale pour l'insupportable mandragore, qui ferait pâlir bien des personnages de l'univers de Disney.
"Dix-mille guitares" est un livre à conseiller aux amateurs de romans historiques, même si les plus tatillons auront peut-être un peu de mal avec les aspects que je viens de développer. Pourtant, si l'on veut aborder sérieusement l'histoire sans se prendre au sérieux, voilà une bien belle découverte à faire, car on s'amuse autant qu'on réfléchit.
Quant au sujet au coeur du livre, la coexistence des religions, les conflits qu'elles entraînent, la politique et le dogme, tout cela est traité avec acuité et humour, mais pas sans profondeur, bien au contraire. Et, comme souvent, le récit du passé vient nourrir la pensée sur les thématiques contemporaines, sans se montrer péremptoire ni condescendant.
Le destin du roi du Portugal Sébastien Ier est loin d'être ordinaire. Lorsqu'il naît en 1554, son père est mort quelques mois plus tôt. Sa mère, elle, va vite quitter le pays et rentrer auprès de son frère, le roi d'Espagne Philippe II. C'est donc un souverain quasiment orphelin qui devient roi à 3 ans à peine. Il lui faudra attendre sa majorité, à 14 ans, pour régner.
Adoré de son peuple, qu'il préfère largement à son aristocratie, Sébastien Ier inquiète pourtant ses proches. La rumeur en fait un sodomite, mais il souffre plus certainement d'impuissance. Timide mais confit en dévotion, on ne lui connaît aucune relation sentimentale, pas plus féminine que masculine. Et, les années passant, on commence à s'inquiéter de la succession et de la survie de la dynastie des Aviz.
Mais, Dom Sébatien s'en moque, de ces inquiétudes. Fort de son règne de droit divin, il se voit soldat du Christ et envisage de lancer une Croisade. Oui, une Croisade, ce qu'on n'a plus vu depuis des siècles. Mais, le monarque n'envisage pas de conquérir la Terre Sainte, son idée est bien plus originale que cela : prendre le Maroc pour... y installer le Portugal.
Eh oui, son pays d'origine est tout petit, coincé entre l'océan et son encombrant voisin espagnol. En installant sa capitale, sa cour, son gouvernement et une bonne partie de son peuple sur ce territoire bien plus vaste, il se dit qu'enfin, le Portugal aura la stature qui sied à une puissance coloniale qui s'étend sur l'ensemble du globe.
Une folie, pour ses conseillers et pour son oncle, le roi d'Espagne, qui se dit qu'entre Sébastien d'un côté, Rodolphe II, qui règne sur le Saint Empire Romain Germanique et son propre fils, Charles, voilà trois jeunes monarques complètement cinglés, ce n'est guère rassurant... La famille Habsbourg, dont la tradition endogamique a fait la part belle à la consanguinité, commence à payer la note...
Rien ne va réussir à dissuader Sébastien de lancer sa croisade. Ni le peu d'empressement de Rome à la soutenir, ni la difficulté à rassembler les fonds et les troupes nécessaires, ni la tiédeur de sa famille, Philippe et Rodolphe, à lui prêter main forte, pas plus que la réticence d'une bonne partie des pairs Portugais, alors que les jeunes nobles, eux, s'imaginent déjà couverts de gloire.
Même un premier échec, quelques années plus tôt, une lamentable expédition qui a tourné court et a vu Sébastien rentrer au pays couvert de ridicule, ne le décourage pas. Dieu est avec lui, clame-t-il, il ne peut donc échouer... D'autant qu'il a noué une alliance avec Moulay Mohammed, sultan récemment déchu par son oncle, qui espère bien récupérer son trône, en profitant de la naïveté du Portugais.
Le 4 août 1578, se déroule à Ksar-el-Kébir une féroce bataille qui restera dans l'histoire sous le nom de la Bataille des Trois Rois. Trois souverains, le sultan, son neveu déchu et Sébastien, qui vont mourir lors de cet assaut terrible. Pourtant, longtemps, jusqu'à nos jours, même, la légende va circuler au Portugal : le roi Sébastien n'est pas mort et il reviendra pour la plus grande gloire du Portugal...
Outre son royaume, privé du fleuron de sa jeunesse, tombée au Maroc et qui va voir la dynastie des Aviz s'éteindre moins de deux ans plus tard, Sébastien laisse derrière lui un animal qui fait beaucoup jaser : un rhinocéros capturé aux Indes Orientales, territoire portugais, que les autochtones appellent un bada, et que Sébastien viendra voir régulièrement pendant l'année précédant son départ funeste.
L'admirable animal, qui impressionne par sa carrure et son anatomie mâle pour le moins vigoureuse, va devenir un enjeu entre Habsbourg : Philippe aimerait le récupérer au nez et à la barbe du Pape et Rodolphe, fou de sciences et collectionneur invétéré, voudrait l'ajouter à sa ménagerie... Mais, jamais Sébastien ne cédera et, une fois le roi Portugais disparu, rien ne se passera comme prévu.
C'est sa corne que l'on va alors suivre dans ses nombreuses pérégrinations à travers l'Europe. Elle sera le témoin muet de bien des événements marquants de cette époque, jusqu'à la fin du XVIIe siècle et côtoiera les puissants de ce monde, avec la réputation d'être un antidote contre les poisons, au point qu'on en fera un hanap.
"Dix-mille guitares", ce n'est pas que la rencontre de Sébastien et du rhinocéros, mais aussi leur histoire parallèle bien longtemps après leurs morts. Et si, en effet, Sébastien avait survécu, que serait-il devenu ? Quant au bada, puis à sa corne, ils vont s'improviser narrateurs de ce roman historique très particulier, souvent drôle, tournant en ridicule les puissants et jouant avec habileté et malice avec les faits historiques.
Mais, au coeur de cette histoire, ce sont les trois religions monothéistes qui occupent une grande place. Les XVIe et XVIIe siècle sont jalonnés de conflits à caractère religieux : la traque et les conversions forcées des juifs et des musulmans d'Espagne, les guerres entre catholiques et protestants un peu partout, la menace turque qui se fait pressante en Europe de l'Est, la Guerre de Trente Ans, etc.
Bien sûr, à commencer par la fantasque croisade de Sébastien, ces événements sont omniprésents dans le roman. Mais, en arrière-plan. En effet, que ce soit Sébastien, après la Bataille des Trois-Rois, Rodolphe, son cousin, qui croit à la science et prône le dialogue entre religions, car la science, elle, est la même pour tous, quel que soit son Dieu, et, plus tard, Christine de Suède, qui abandonnera le l'église luthérienne pour le catholicisme, tout en restant très libre par rapport à Rome.
Catherine Clément, philosophe avant d'être romancière, nous offre ici un magistral cours sur la tolérance religieuse. Ses personnages, qu'ils en soient convaincus, pour diverses raisons, ou que leurs yeux soient dessillés, vont tous dans ce sens : le respect de l'autre, sa découverte pour mieux le comprendre, la coexistence pacifique, malgré les réticences de leurs temps.
"Dix-mille guitares" (allusion aux instruments emportés par les troupes portugaises lors de la Croisade et abandonnées sur le champ de bataille après la débâcle) est une sorte de fable qui, sans négliger l'exactitude historique, dresse des portraits assez loufoques des personnages centraux, tous excentriques, pour employer un euphémisme, et défrayant la chronique.
L'ironie mordante de Catherine Clément fait mouche à chaque fois, et, de Sébastien à Catherine, en passant par Rodolphe, on a là des personnages qui valent le coup d'oeil. Mais qui, d'une certaines manières, sont des hommes et des femmes libres, parce qu'ils se sont affranchis d'une étiquette souvent pesante, et même des fonctions politiques majeures qui auraient dû être les leurs.
Un paragraphe sur Catherine de Suède. La vision de la souveraine suédoise, célèbre pour sa laideur (alors qu'elle fut interprétée au cinéma par Garbo !), sa relation avec Descartes et sa vie turbulente à travers l'Europe, est traitée de manière assez différente de celle utilisée par Yann Kerlau, dans un livre que je garde en mémoire et recommande, "l'échiquier de la Reine".
Exubérante, jurant comme un charretier, imprévisible, consciente de sa laideur mais crasseuse au possible, intelligente, ayant fait ses humanités et philosophant, croquant la vie à pleines dents, renonçant au pouvoir mais pas à son statut de reine, complètement fofolle et pourtant redoutable, voilà une femme qui a pesé en Europe et qui devrait encore être un exemple pour beaucoup.
Mais, quand je parle de fable, c'est aussi parce que Catherine Clément s'amuse de différentes façons. La légende autour de la possible survie de Sébastien n'est pas une invention. Au contraire, elle a fleuri et donné bien des fruits, depuis : de faux Sébastien sont régulièrement apparus dans les années qui ont suivi la Bataille des Trois Rois et encore aujourd'hui, elle reste vivace.
La finesse avec laquelle elle imagine un destin alternatif à ce jeune souverain manquant de plomb dans la cervelle est une vraie réussite. Car, elle ne tisse pas seulement une belle histoire d'amour, mais elle fait progresser son personnage pour lui donner de l'épaisseur, de la sagesse et une stature digne du souverain qu'il n'aura jamais été.
Le rhinocéros, lui aussi, a réellement existé et connu le destin que lui fait suivre la romancière. Mais, en en faisant un narrateur et un témoin privilégié de son temps, elle donne à son livre une facette de conte philosophique. Le bada, dont l'histoire vient ajouter un nouvel élément en lien avec la religion, vous le verrez, joue le rôles des Persans de Montesquieu, en posant sur l'Europe et ses folies un regard d'une douce candeur.
Donnant la parole aux animaux, la romancière poursuit même dans le côté fable, faisant parler divers autres personnages surprenants, assez brièvement, c'est vrai, mais qui ajoutent un ressort comique à cette histoire. Avec une mention spéciale pour l'insupportable mandragore, qui ferait pâlir bien des personnages de l'univers de Disney.
"Dix-mille guitares" est un livre à conseiller aux amateurs de romans historiques, même si les plus tatillons auront peut-être un peu de mal avec les aspects que je viens de développer. Pourtant, si l'on veut aborder sérieusement l'histoire sans se prendre au sérieux, voilà une bien belle découverte à faire, car on s'amuse autant qu'on réfléchit.
Quant au sujet au coeur du livre, la coexistence des religions, les conflits qu'elles entraînent, la politique et le dogme, tout cela est traité avec acuité et humour, mais pas sans profondeur, bien au contraire. Et, comme souvent, le récit du passé vient nourrir la pensée sur les thématiques contemporaines, sans se montrer péremptoire ni condescendant.