Journal 1938/1939

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« Journal 1938/1939 »

GIONO Jean

(Gallimard/La Pléiade)

Le monde court à sa perte. La République espagnole se meurt. Jean Giono se tient au-dessus de la mêlée. Non qu’il soit dupe : Hitler et Staline sont des monstres. Mais ce qui lui importe plus que tout, c’est d’œuvrer contre une nouvelle guerre, de s’en tenir à une ligne pacifiste, de tenter de mobiliser la seule force qui lui paraisse en mesure d’empêcher le pire, la paysannerie. Jean Giono s’aveugle. Il a définitivement rompu avec les communistes. Aragon ne le harcèle plus. Jean Giono continue à réunir au Contadour une cour d’amis fidèles. Mais surtout, Jean Giono continue à écrire. Il en a fini avec « Bataille dans la montagne ». Il entreprend « Les Grands Chemins ». Il rédige des manifestes dont « Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix ». Mais il n’entend pas. Ou si peu et si mal. Il n’entend pas que se rapproche le fracas de la guerre.

Un épisode révèle la grande naïveté de l’Homme de Manosque. Le 23 novembre 1938, Yves Farge lui transmet de Lyon un courrier, courrier qui contient une proposition pour le moins étonnante : « Veux-tu avoir une entrevue avec Adolf Hitler ? » Yves Farge, futur héros de la Résistance, mais alors familier du Contadour ! Courrier « complottiste », avec tout ce qu’il faut d’allusions, de références à « mon envoyé spécial à Berchtesgaden », de suppliques pour que la démarche soit tenue secrète, d’illusions sur la nature même du régime nazi. Giono, qui n’est pas tombé de la dernière pluie, mais qui se sent flatté par la mission dans laquelle il pourrait peut-être s’investir, Giono répond le lendemain même à son ami Yves Farge : « Je ne veux pas y aller (en Allemagne)  pour qu’on me parle ; je veux y aller pour parler. Je n’ai pas d’autre proposition à lui (Hitler) faire que cette proposition : qu’il prenne l’initiative d’un désarmement universel et total. » Jean Giono ne rencontrera pas le Führer. Le journal ne revient jamais sur l’échange épistolaire entre l’écrivain et Yves Farge. La guerre est imminente. Jean Giono s’enclot dans son univers, s’arrime à ses certitudes dont le Lecteur a le sentiment qu’elles ne sont pas des convictions. Via ce Journal, il s’insinue dans la partie non visible, non révélée dans une œuvre que par ailleurs il admire. Mais ce Journal fait bien plus que le déranger.