Marc Dugain, né en 1957 au Sénégal, est un réalisateur et romancier français. Passé un diplôme de l'Institut d'études politiques de Grenoble et un diplôme d'expert-comptable, il travaille dans la finance au sein du réseau des Caisses d'Epargne et crée une société d'ingénierie financière spécialisée dans le financement des moyens de transport. Il devient un entrepreneur prospère dans l'aéronautique et dirige, notamment en 2000, les compagnies aériennes Proteus Airlines et Flandre Air. A trente-cinq ans, il s’engage en littérature. Le roman Avenue des Géants est paru en 2012.
L’été est le bon moment pour relire des bouquins, rattraper des retards de lectures ou bien tordre le cou à des préjugés. Sans jamais l’avoir lu, j’avais rayé Marc Dugain de mes listes de lectures depuis toujours, sans que je me souvienne pourquoi. Attitude détestable j’en conviens, à laquelle je me devais de réagir, favorablement ou non, mais objectivement.
Al Kenner serait un adolescent ordinaire s’il ne mesurait pas près de 2,20 mètres et si son QI n’était pas supérieur à celui d’Einstein. Sa vie bascule, le jour de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy qui coïncide avec celui où il assassine ses grands-parents.
Marc Dugain s’est inspiré librement d’un personnage réel, Edmund Emil Kemper, un tueur en série, pour camper son héros. Le roman aurait pu être un thriller haletant, relatant les meurtres les uns après les autres avec une armée de flics aux cents coups, aux trousses du serial-killer, ce n’est pas cet angle d’attaque que l’auteur a choisi. Il s’agit plutôt d’une tentative pour comprendre les actes du tueur, d’un voyage à l’intérieur du crâne et des pensées de Kenner, narrateur de sa propre aventure par le biais de ses mémoires écrits de sa prison. Cette proximité, voire cette intimité avec lui, n’est pas sans créer une sorte d’empathie avec le lecteur qui tout au long du roman et même jusqu’à l’épilogue (j’écris « et même », car ce ne sont que dans les toutes dernières lignes que l’horreur et l’épouvantable atteignent des sommets), nous incite à une certaine « compréhension », compréhension n’étant pas synonyme d’absolution pour autant.
Il est donc question ici de psychanalyse, enfance ravagée par des parents déficients, virilité blessée et sexualité bloquée, où la femme est synonyme de mal. Ces passages ne sont, le plus souvent, pas particulièrement pointus, voire convenus, au mieux on pense à la série Esprits criminels. Le roman aborde aussi la question de la responsabilité individuelle et du moment du passage à l’acte de tuer ; Al Kenner revendique sa responsabilité et nie toute folie, tuer étant pour lui, le moyen d’avoir le sentiment d’exister.
Al Kenner écrit ses mémoires, espérant se voir publier par un éditeur pas trop frileux, ce qui nous donne quelques réflexions intéressantes sur la littérature, sur le besoin d’écrire et sur les lecteurs, en une sorte de mise en abîme avec l’écrivain rédigeant ce roman, poussant celui-ci jusqu’à nommer le personnage du patron de la Criminelle de Santa Cruz : Duigan (Dugain ?), une private joke, j’imagine…
Le roman s’étale de l’assassinat de Kennedy en 1963 aux années Obama mais l’intrigue se déroule durant les années du Flower Power, les années hippies, ces jeunes que Kenner ne peut pas blairer car ils lui montrent un monde où il se sent complètement étranger ; sont aussi évoqués, la guerre du Vietnam, les Hell’s Angels, des gros ploucs avec lesquels il ne partage que l’amour des motos. Road-trip sur les routes de Californie, le long de l’océan ou dans les forêts de séquoias.
Les chapitres sont très courts, le roman se lit vite et plutôt bien et globalement je l’ai trouvé pas mal du tout. En tout cas, largement assez bien pour sortir Marc Dugain de ma liste noire des écrivains à éviter.
« - Oh non, P’pa, tu me connais assez, tu sais que je ne suis pas violent. Je vais me rendre sans faire d’histoires, mais je ne suis pas encore prêt. Dis-leur que c’est une question de jours, de quelques jours. C’est la première fois que j’arrive à respirer dans les grands espaces, alors tu comprends… Si je n’avais pas l’intention de me rendre, je t’aurais jamais appelé. En fait, ce qui me préoccupe c’est que les grands-parents soient enterrés. J’ai pas eu le courage. Ne les laisse pas comme ça au grand air. Le vieux ne le mérite pas. Je me sens carrément mieux de te l’avoir dit. De l’avoir fait et de te l’avoir dit, tu n’imagines pas le poids que ça m’enlève. »
Marc Dugain Avenue des Géants Gallimard – 361 pages –