Silence ! On tourne ! Et du cinéma de qualité, qui plus est, pas encore en Technicolor, mais avec un trio de personnages qui vaut le déplacement. Des légendes, rien que ça, pour une rencontre qui va se terminer en choc des cultures, personnelles et cinématographiques, et donner un spectacle digne d'une comédie italienne haute en couleurs, avec cris, larmes, ruptures, réconciliations... Oui, avec ces trois-là, la vie, c'est du cinéma et le cinéma, c'est la vie ! Avec "l'année des volcans", François-Guillaume Lorrain nous emmène à Hollywood et à Rome, mais surtout en Sicile, pour une histoire incroyable, la terrible rivalité entre Anna Magnani, tout feu, tout flamme, Ingrid Bergman et sa réserve scandinave, pour l'amour d'un génie fou et machiavélique : Roberto Rossellini. Des noms qui parlent aux cinéphiles et que d'autres découvriront. Moteur ! Direction la fin des années 40 et l'âge d'or d'un cinéma qu'on oublie au profit d'histoires formatées et faisant la part belle à la technologie.
La IIe Guerre Mondiale vient de s'achever. A Hollywood, on continue à produire des films à gros budgets qu'on va de nouveau pouvoir exporter en Europe. Ingrid Bergman, qui tourne avec les plus grands réalisateurs de l'époque, Hitchcock en tête. La jeune femme est à l'apogée de sa carrière et s'apprête à incarner Jeanne d'Arc.
Pourtant, elle s'ennuie. La vie hollywoodienne lui pèse. C'est trop formaté pour elle, la Suédoise rêve d'un cinéma plus libre où on la laisserait s'exprimer autrement. Après avoir vu par hasard avec son mari, Petter Lindström, le film "Rome, ville ouverte", projeté dans un cinéma de Broadway, l'actrice a alors une curieuse idée.
Profondément émue par ce film et son actrice principale, qu'elle ne connaît pas du tout, Anna Magnani, elle décide d'envoyer au réalisateur, un certain Roberto Rossellini, un télégramme en forme de bouteille à la mer, dans lequel elle dit en substance à cet homme dont elle ne sait rien ou presque, qu'elle serait prête à tourner pour lui.
Rossellini incarne déjà le néoréalisme italien, un cinéma aux antipodes de ce que produit l'industrie hollywoodienne. Et, parmi les réalisateurs de ce mouvement, il est certainement l'un des plus extrêmes : il travaille sur une idée, sans écrire ni scénario, ni dialogue et cherchant à filmer les scènes avec la plus grande vérité possible.
Il est le premier surpris lorsqu'il reçoit l'offre d'Ingrid Bergman, mais voilà que cela lui donne des idées. Pourtant, il va devoir ruser, car Anna Magnani, qui n'est pas seulement son actrice fétiche, mais aussi sa maîtresse, et une maîtresse légèrement possessive, ne supporterait certainement pas qu'il puisse vouloir tourner avec une autre actrice qu'elle. Et une star si différente d'elle, en plus !
Mais Rossellini est un coquin, aussi va-t-il parvenir à emberlificoter Anna Magnani, tout en risquant une colère noire de cette dernière et des représailles forcément pénibles, pour rencontrer Ingrid Bergman. Ce sera la coup de foudre entre l'Italien et la Suédoise. Une histoire d'amour qui va aussi devenir une histoire professionnelle.
Dès le début, Rossellini a vu en Bergman l'actrice idéale pour une des nombreuses idées en gestation dans son esprit sans cesse en mouvement : l'histoire d'une jeune femme d'origine balte qui, à la fin de la guerre, est libérée d'un camp de prisonniers italiens et suit l'homme qu'elle doit épouser sur l'île où il est pécheur. L'île, c'est celle de Stromboli, qui sera le titre du film, où gronde le volcan en train de se réveiller.
Pendant que Rossellini part aux Etats-Unis en quête d'un financement, tâche complexe, tant son art est différent de celui des grands producteurs hollywoodiens, Anna Magnani comprend qu'elle a été jouée et que l'homme de sa vie file le parfait amour avec une autre, cette Ingrid Bergman, si froide, si prude, qu'il va faire tourner...
Alors, l'actrice italienne va tout faire pour monter son propre projet afin de concurrencer celui de Rossellini. Une histoire quasi identique, qui sera tournée sur une autre des îles éoliennes, avec un volcan, des pêcheurs, etc. En cette fin des années 40, dans une région austère et peu habitué aux grondements autres que ceux des volcans, va se jouer une incroyable tragi-comédie à l'italienne, à quelques encablures de distance.
François-Guillaume Lorrain, journaliste, écrivain et certainement cinéphile, a choisi de raconter cette étonnante anecdote, qui, on s'en rendra bientôt compte, est bien plus que cela. D'abord, parce que les destins des trois principaux acteurs, personnels et professionnels, vont en être profondément modifiés. Ensuite, parce que c'est la confrontation technique et culturelle de deux visions du 7e art, l'américaine et l'européenne.
Lorsque débute "l'année des volcans", Roberto Rossellini est un réalisateur couvert de dettes, tournant avec des bouts de ficelles, dans des conditions bien délicates. Mais surtout, sa renommée se limite encore aux frontières de la botte italienne et guère plus loin. De même, la Magnani est déjà une idole en Italie, mais Ingrid Bergman, elle, est une star mondiale.
Cependant, la carrière d'Ingrid Bergman est décidée par les studios et les producteurs, elle n'a guère son mot à dire dans les choix de ce qu'elle tourne. Au contraire, Rossellini ne rend de compte à personne, s'emploie à tourner avec une liberté totale et règne en maître sur ses plateaux où il dirige, très souvent, une majorité d'amateurs faisant l'acteur.
En tous points, il n'y a rien de commun entre le cinéma tel que le pratique Ingrid Bergman depuis des années et celui de Roberto Rossellini. Le cinéma américain est déjà une industrie, dans laquelle la question artistique passe déjà bien après la rentabilité économique. Les Selznick ou les Goldwyn, que l'on croise dans la première partie du livre, ne sont pas des philanthropes...
Le cinéma italien, qui essaye de renaître après la parenthèse fasciste, s'émancipe des questions financières, puisqu'il n'y a pas une lire disponible pour ça dans un pays en reconstruction, et propose une vision artistique qu'on va appeler le néoréalisme, car il s'évertue à reproduire la vie telle qu'elle est au quotidien.
Une scène en particulier dans ce livre résume cet écart profond entre ces conceptions : lors du tournage de "Stromboli", Ingrid Bergman doit être giflée par son époux. Contrairement à ce qui se serait passé dans un studio à Los Angeles, Rossellini demande à l'acteur jouant le mari de l'actrice... de la gifler pour de bon !
Bien sûr, l'exemple est extrême, mais il est révélateur, jusque dans la réaction outrée d'Ingrid Bergman, de ce choc culturel que va révéler l'histoire d'amour entre le réalisateur et l'actrice. Et cette manière de filmer, quasi documentaire, ne sera pas non plus sans conséquence au moment de tourner les scènes sur fond d'éruption volcanique...
Et puis, il y a les personnages eux-mêmes. Je vais être bref sur Rossellini, qui est celui qui, finalement, va sans doute le moins souffrir de la situation. On peut même penser qu'il l'a parfaitement orchestrée, en bon individualiste et débrouillard qu'il était. Comme il s'est toujours sorti des histoires avec ses créanciers, il va toujours trouver le moyen de se sortir des ornières sentimentales.
Entre la Magnani, folle de douleur, ivre de colère et préparant sa vengeance par tous les moyens possibles, sauf si Rossellini décidait de lui revenir, et Bergman, bien plus calme de caractère, mais avec qui il va provoquer un incroyable scandale qui agitera l'Italie, le microcosme hollywoodien, mais aussi tous les Etats-Unis et une partie de l'Europe, le réalisateur est le pivot de cette histoire.
Mais ce sont bien les deux actrices qui sont les plus intéressantes dans ce roman. D'un côté, la flamboyante Anna Magnani et son caractère latin, qui hurle, pleure, déprime, rue dans les brancards, s'agite, multiplie les caprices et les déclarations tapageuses, et de l'autre, Ingrid Bergman, très réservée et qui essaye de régler ses problèmes avec discrétion.
Et, comme entre les visions du cinéma que l'on voit se dessiner, entre les deux actrices aussi, les enjeux sont tout à fait contraires. Anna Magnani ne vit que par et pour le cinéma. D'une certaine manière, dans sa manière de vivre sa vie d'actrice, elle est plus star que Bergman, plus m'as-tu-vue, plus extravagante.
Bergman, elle, tout en étant une actrice admirée dans le monde entier, est aussi une mère de famille et une épouse, pas forcément d'une grande fidélité (sa liaison avec le photographe Robert Capa en témoigne), mais sachant préserver son image sans tache. D'ailleurs, le choix de Bergman pour incarner Jeanne d'Arc fera l'unanimité, tant elle semble coller au rôle, même si elle est plus âgée que la Pucelle.
Sa liaison avec Rossellini va déclencher un scandale et un incroyable imbroglio judiciaire qui ne cessera de rebondir. Mais l'actrice et le réalisateur resteront des années ensemble, fonderont une famille et tourneront plusieurs fois, malgré toutes leurs différences... Reste que l'image de Bergman en ressortira durablement écornée, au point de lui valoir les foudres des ligues de vertu américaines.
Voilà la différence entre la Magnani et Bergman : la rupture de la première avec Rossellini risque de lui coûter ce qui compte le plus pour elle, sa carrière, tandis que la liaison de Bergman avec le réalisateur va lui coûter sa famille... Entre les deux femmes, un cratère, si je puis dire, impossible à combler. Des différences si profondes que jamais elles ne s'adresseront la parole !
A peine se croiseront-elles lors des fameux tournages dans les Eoliennes, sur un port, attendant le tournage d'une scène-clé de pêche au thon, présente dans les deux films... Mais, aucune d'elle ne fera le premier pas, la tension étant alors à son comble et le moment peu propice. Ensuite, elles n'auront plus jamais l'occasion, ne la cherchant pas vraiment non plus...
François-Guillaume Lorrain, dans "l'année des volcans", ne s'arrête pas au point d'orgue que constituent les tournages parallèles de "Stromboli" et de "Vulcano". Il nous raconte ce triangle amoureux depuis sa naissance jusqu'à la fin, la Magnani, Bergman et Rossellini ayant vu leurs existences véritablement bouleversées par ses événements, jusqu'à leurs disparitions, à quelques années d'intervalle.
Une mention particulière à Anna Magnani, magnifique actrice tragique, qui, dans sa propre existence, va montrer ce don. Elle est expansive, excessive et pourtant, incroyablement touchante en femme abandonnée et revancharde. Parfois, on est dans la caricature, mais pour qui est allé en Italie, on se rend vite compte que c'est ainsi... Une énième expression néoréaliste, en fait.
Bergman apparaît plus en retrait, moins attachante, c'est mon point de vue, mais c'est sans doute dû à un caractère bien plus introverti. Elle n'est pas moins amoureuse que la Magnani, les soucis qui s'abattent sur elle pour avoir choisi de tout quitter pour Rossellini ne sont pas moindres que ceux que son homologue italienne rencontre du fait de la rupture. Mais différents. Et affrontés différemment.
Reste que François-Guillaume Lorrain sait aussi nous raconter cela comme on regarderait un film italien, une de ces comédies douces amères dans lesquelles les figures de proue du cinéma italien de l'après-guerre brilleront tous. Oui, sur fond de cinéma, c'est un vrai scénario qui ne demanderait qu'à être fixé sur pellicule auquel assiste le lecteur.
Et, plus largement encore, c'est un moment très important de l'histoire du cinéma qui se déroule sous nos yeux. Celui où, définitivement, les cinémas européen et américain vont choisir des voies différentes. Celui où l'on comprend que, bientôt, Hollywood fera déferler ses productions à travers le Vieux Continent, inondant un marché où les cinémas nationaux auront du mal à survivre.
Le cinéma italien fera partie de ceux qui souffriront le plus de l'hégémonie américaine, malgré la profusion de talents qu'inspireront par la suite les Rossellini, Visconti ou De Sica, fers de lance du néorélaisme italien... En cela, "l'année des volcans" n'est pas seulement le récit d'une histoire d'amour entrée dans la mythologie du cinéma, mais aussi un hymne à cet art, complexe, contrasté, divers...
Et l'occasion est belle de découvrir ou redécouvrir ces cinémas du passé, entre les Hitchock mettant en scène la belle Ingrid Bergman et l'oeuvre de Rossellini, avec la Magnani, comme avec l'actrice suédoise. Et se rendre compte que les gros titres de la presse people actuelle sont consacrées à des affaires d'un tout autre calibre que cette furieuse rivalité au pied des volcans prêt à entrer en éruption...
La IIe Guerre Mondiale vient de s'achever. A Hollywood, on continue à produire des films à gros budgets qu'on va de nouveau pouvoir exporter en Europe. Ingrid Bergman, qui tourne avec les plus grands réalisateurs de l'époque, Hitchcock en tête. La jeune femme est à l'apogée de sa carrière et s'apprête à incarner Jeanne d'Arc.
Pourtant, elle s'ennuie. La vie hollywoodienne lui pèse. C'est trop formaté pour elle, la Suédoise rêve d'un cinéma plus libre où on la laisserait s'exprimer autrement. Après avoir vu par hasard avec son mari, Petter Lindström, le film "Rome, ville ouverte", projeté dans un cinéma de Broadway, l'actrice a alors une curieuse idée.
Profondément émue par ce film et son actrice principale, qu'elle ne connaît pas du tout, Anna Magnani, elle décide d'envoyer au réalisateur, un certain Roberto Rossellini, un télégramme en forme de bouteille à la mer, dans lequel elle dit en substance à cet homme dont elle ne sait rien ou presque, qu'elle serait prête à tourner pour lui.
Rossellini incarne déjà le néoréalisme italien, un cinéma aux antipodes de ce que produit l'industrie hollywoodienne. Et, parmi les réalisateurs de ce mouvement, il est certainement l'un des plus extrêmes : il travaille sur une idée, sans écrire ni scénario, ni dialogue et cherchant à filmer les scènes avec la plus grande vérité possible.
Il est le premier surpris lorsqu'il reçoit l'offre d'Ingrid Bergman, mais voilà que cela lui donne des idées. Pourtant, il va devoir ruser, car Anna Magnani, qui n'est pas seulement son actrice fétiche, mais aussi sa maîtresse, et une maîtresse légèrement possessive, ne supporterait certainement pas qu'il puisse vouloir tourner avec une autre actrice qu'elle. Et une star si différente d'elle, en plus !
Mais Rossellini est un coquin, aussi va-t-il parvenir à emberlificoter Anna Magnani, tout en risquant une colère noire de cette dernière et des représailles forcément pénibles, pour rencontrer Ingrid Bergman. Ce sera la coup de foudre entre l'Italien et la Suédoise. Une histoire d'amour qui va aussi devenir une histoire professionnelle.
Dès le début, Rossellini a vu en Bergman l'actrice idéale pour une des nombreuses idées en gestation dans son esprit sans cesse en mouvement : l'histoire d'une jeune femme d'origine balte qui, à la fin de la guerre, est libérée d'un camp de prisonniers italiens et suit l'homme qu'elle doit épouser sur l'île où il est pécheur. L'île, c'est celle de Stromboli, qui sera le titre du film, où gronde le volcan en train de se réveiller.
Pendant que Rossellini part aux Etats-Unis en quête d'un financement, tâche complexe, tant son art est différent de celui des grands producteurs hollywoodiens, Anna Magnani comprend qu'elle a été jouée et que l'homme de sa vie file le parfait amour avec une autre, cette Ingrid Bergman, si froide, si prude, qu'il va faire tourner...
Alors, l'actrice italienne va tout faire pour monter son propre projet afin de concurrencer celui de Rossellini. Une histoire quasi identique, qui sera tournée sur une autre des îles éoliennes, avec un volcan, des pêcheurs, etc. En cette fin des années 40, dans une région austère et peu habitué aux grondements autres que ceux des volcans, va se jouer une incroyable tragi-comédie à l'italienne, à quelques encablures de distance.
François-Guillaume Lorrain, journaliste, écrivain et certainement cinéphile, a choisi de raconter cette étonnante anecdote, qui, on s'en rendra bientôt compte, est bien plus que cela. D'abord, parce que les destins des trois principaux acteurs, personnels et professionnels, vont en être profondément modifiés. Ensuite, parce que c'est la confrontation technique et culturelle de deux visions du 7e art, l'américaine et l'européenne.
Lorsque débute "l'année des volcans", Roberto Rossellini est un réalisateur couvert de dettes, tournant avec des bouts de ficelles, dans des conditions bien délicates. Mais surtout, sa renommée se limite encore aux frontières de la botte italienne et guère plus loin. De même, la Magnani est déjà une idole en Italie, mais Ingrid Bergman, elle, est une star mondiale.
Cependant, la carrière d'Ingrid Bergman est décidée par les studios et les producteurs, elle n'a guère son mot à dire dans les choix de ce qu'elle tourne. Au contraire, Rossellini ne rend de compte à personne, s'emploie à tourner avec une liberté totale et règne en maître sur ses plateaux où il dirige, très souvent, une majorité d'amateurs faisant l'acteur.
En tous points, il n'y a rien de commun entre le cinéma tel que le pratique Ingrid Bergman depuis des années et celui de Roberto Rossellini. Le cinéma américain est déjà une industrie, dans laquelle la question artistique passe déjà bien après la rentabilité économique. Les Selznick ou les Goldwyn, que l'on croise dans la première partie du livre, ne sont pas des philanthropes...
Le cinéma italien, qui essaye de renaître après la parenthèse fasciste, s'émancipe des questions financières, puisqu'il n'y a pas une lire disponible pour ça dans un pays en reconstruction, et propose une vision artistique qu'on va appeler le néoréalisme, car il s'évertue à reproduire la vie telle qu'elle est au quotidien.
Une scène en particulier dans ce livre résume cet écart profond entre ces conceptions : lors du tournage de "Stromboli", Ingrid Bergman doit être giflée par son époux. Contrairement à ce qui se serait passé dans un studio à Los Angeles, Rossellini demande à l'acteur jouant le mari de l'actrice... de la gifler pour de bon !
Bien sûr, l'exemple est extrême, mais il est révélateur, jusque dans la réaction outrée d'Ingrid Bergman, de ce choc culturel que va révéler l'histoire d'amour entre le réalisateur et l'actrice. Et cette manière de filmer, quasi documentaire, ne sera pas non plus sans conséquence au moment de tourner les scènes sur fond d'éruption volcanique...
Et puis, il y a les personnages eux-mêmes. Je vais être bref sur Rossellini, qui est celui qui, finalement, va sans doute le moins souffrir de la situation. On peut même penser qu'il l'a parfaitement orchestrée, en bon individualiste et débrouillard qu'il était. Comme il s'est toujours sorti des histoires avec ses créanciers, il va toujours trouver le moyen de se sortir des ornières sentimentales.
Entre la Magnani, folle de douleur, ivre de colère et préparant sa vengeance par tous les moyens possibles, sauf si Rossellini décidait de lui revenir, et Bergman, bien plus calme de caractère, mais avec qui il va provoquer un incroyable scandale qui agitera l'Italie, le microcosme hollywoodien, mais aussi tous les Etats-Unis et une partie de l'Europe, le réalisateur est le pivot de cette histoire.
Mais ce sont bien les deux actrices qui sont les plus intéressantes dans ce roman. D'un côté, la flamboyante Anna Magnani et son caractère latin, qui hurle, pleure, déprime, rue dans les brancards, s'agite, multiplie les caprices et les déclarations tapageuses, et de l'autre, Ingrid Bergman, très réservée et qui essaye de régler ses problèmes avec discrétion.
Et, comme entre les visions du cinéma que l'on voit se dessiner, entre les deux actrices aussi, les enjeux sont tout à fait contraires. Anna Magnani ne vit que par et pour le cinéma. D'une certaine manière, dans sa manière de vivre sa vie d'actrice, elle est plus star que Bergman, plus m'as-tu-vue, plus extravagante.
Bergman, elle, tout en étant une actrice admirée dans le monde entier, est aussi une mère de famille et une épouse, pas forcément d'une grande fidélité (sa liaison avec le photographe Robert Capa en témoigne), mais sachant préserver son image sans tache. D'ailleurs, le choix de Bergman pour incarner Jeanne d'Arc fera l'unanimité, tant elle semble coller au rôle, même si elle est plus âgée que la Pucelle.
Sa liaison avec Rossellini va déclencher un scandale et un incroyable imbroglio judiciaire qui ne cessera de rebondir. Mais l'actrice et le réalisateur resteront des années ensemble, fonderont une famille et tourneront plusieurs fois, malgré toutes leurs différences... Reste que l'image de Bergman en ressortira durablement écornée, au point de lui valoir les foudres des ligues de vertu américaines.
Voilà la différence entre la Magnani et Bergman : la rupture de la première avec Rossellini risque de lui coûter ce qui compte le plus pour elle, sa carrière, tandis que la liaison de Bergman avec le réalisateur va lui coûter sa famille... Entre les deux femmes, un cratère, si je puis dire, impossible à combler. Des différences si profondes que jamais elles ne s'adresseront la parole !
A peine se croiseront-elles lors des fameux tournages dans les Eoliennes, sur un port, attendant le tournage d'une scène-clé de pêche au thon, présente dans les deux films... Mais, aucune d'elle ne fera le premier pas, la tension étant alors à son comble et le moment peu propice. Ensuite, elles n'auront plus jamais l'occasion, ne la cherchant pas vraiment non plus...
François-Guillaume Lorrain, dans "l'année des volcans", ne s'arrête pas au point d'orgue que constituent les tournages parallèles de "Stromboli" et de "Vulcano". Il nous raconte ce triangle amoureux depuis sa naissance jusqu'à la fin, la Magnani, Bergman et Rossellini ayant vu leurs existences véritablement bouleversées par ses événements, jusqu'à leurs disparitions, à quelques années d'intervalle.
Une mention particulière à Anna Magnani, magnifique actrice tragique, qui, dans sa propre existence, va montrer ce don. Elle est expansive, excessive et pourtant, incroyablement touchante en femme abandonnée et revancharde. Parfois, on est dans la caricature, mais pour qui est allé en Italie, on se rend vite compte que c'est ainsi... Une énième expression néoréaliste, en fait.
Bergman apparaît plus en retrait, moins attachante, c'est mon point de vue, mais c'est sans doute dû à un caractère bien plus introverti. Elle n'est pas moins amoureuse que la Magnani, les soucis qui s'abattent sur elle pour avoir choisi de tout quitter pour Rossellini ne sont pas moindres que ceux que son homologue italienne rencontre du fait de la rupture. Mais différents. Et affrontés différemment.
Reste que François-Guillaume Lorrain sait aussi nous raconter cela comme on regarderait un film italien, une de ces comédies douces amères dans lesquelles les figures de proue du cinéma italien de l'après-guerre brilleront tous. Oui, sur fond de cinéma, c'est un vrai scénario qui ne demanderait qu'à être fixé sur pellicule auquel assiste le lecteur.
Et, plus largement encore, c'est un moment très important de l'histoire du cinéma qui se déroule sous nos yeux. Celui où, définitivement, les cinémas européen et américain vont choisir des voies différentes. Celui où l'on comprend que, bientôt, Hollywood fera déferler ses productions à travers le Vieux Continent, inondant un marché où les cinémas nationaux auront du mal à survivre.
Le cinéma italien fera partie de ceux qui souffriront le plus de l'hégémonie américaine, malgré la profusion de talents qu'inspireront par la suite les Rossellini, Visconti ou De Sica, fers de lance du néorélaisme italien... En cela, "l'année des volcans" n'est pas seulement le récit d'une histoire d'amour entrée dans la mythologie du cinéma, mais aussi un hymne à cet art, complexe, contrasté, divers...
Et l'occasion est belle de découvrir ou redécouvrir ces cinémas du passé, entre les Hitchock mettant en scène la belle Ingrid Bergman et l'oeuvre de Rossellini, avec la Magnani, comme avec l'actrice suédoise. Et se rendre compte que les gros titres de la presse people actuelle sont consacrées à des affaires d'un tout autre calibre que cette furieuse rivalité au pied des volcans prêt à entrer en éruption...