"Tu ne peux pas arrêter le futur. Tout ce que tu peux faire, c'est choisir un camp".

Voici un thriller fantastique, premier volet d'une trilogie, qui dépote et bouscule le lecteur. Dans la forme, mais le savoir-faire américain en la matière n'est plus à prouver, et dans le fond, également, car, à l'instar du personnage principal, on perd petit à petit ses repères au fil des pages. Car rien n'est simple, dans cette affaire, et certainement pas l'habituelle définition du bien et du mal, et de ceux qui les incarnent... Avec "les Brillants", publié dans la Série Noire de Gallimard, Marcus Sakey confirme le talent déjà vu avec "Désaxé" ou "Des gens bien" et ajoute une corde à son arc en glissant donc cette facette fantastique qui, peu à peu, nous allons en reparler, prend une toute autre dimension que celle que l'on pensait trouver. A la fin de ce premier tome, il reste encore beaucoup à découvrir et plus encore à comprendre. Avec énormément d'incertitude quant à la tournure que prendra l'histoire du personnage principal, Cooper...
peux arrêter futur. Tout faire, c'est choisir camp
Au début des années 1980, est apparue une génération d'enfants dotés de capacités exceptionnelles. Oh, n'imaginez pas les X-Men ou n'importe quel super-héros créé par Marvel, non. Ces enfants auraient sans doute été catalogués autistes, auparavant, mais eux ont réussi à dépasser les limites de ce mal terrible pour contrôler leurs aptitudes. On les appelle "les Brillants".
Ils ne représentent qu'un faible pourcentage, à peine 1% de la population et celui-ci n'augmente pas au fil des ans. Même la génétique paraît impuissante, car un Brillant peut naître de parents qui ne le sont pas et les enfants de Brillants ne le sont pas tous obligatoirement. Pourtant, arrivés à l'âge adulte, le poids social des Brillants va devenir tel que la société va réagir. Et violemment.
Lorsque s'ouvre le roman, les Brillants sont traqués par une officine gouvernementale, le Département Analyses et Réactions, ou DAR, qui est dédié à la lutte contre cette catégorie de la population. Oh, tous les Brillants ne sont pas dangereux, mais lorsque l'Etat a voulu les écarter des sphères de pouvoir, certains ont réagi et ont refusé ce diktat. Au point de mener des actions qui sont qualifiées de terroristes.
Au sein du DAR, se trouvent les Services Equitables, dont les membres sont surnommés "les extincteurs de réverbères", puisque leur rôle est de faire disparaître les Brillants les plus dangereux. Ces agents sont remarquablement formés et disposent de moyens gigantesques, tant sur le plan humain que matériels, car les "anormaux", comme on appelle couramment les Brillants, sont redoutables.
Nick Cooper est certainement le meilleur des extincteurs de réverbères. Et cela ne fait pas que des heureux parmi ses collègues. Car, si Nick est si efficace dans sa traque des Brillants, c'est parce qu'il est capable d'anticiper leurs mouvements. Et pour cause : Nick Cooper, divorcé et père de deux enfants, est lui-même un Brillant.
Il a fait ce choix, si particulier, de ne pas suivre dans la dissidence et la sécession toutes celles et tous ceux nés comme lui avec ces petits trucs en plus. Encore une fois, ce ne sont pas des pouvoirs, de la magie ou je ne sais quoi d'autre. Non, ils fonctionnent simplement plus vite que vous et moi, dans différents domaines, chaque Brillant ayant une spécialité.
Mais cette fois, Nick Cooper et ses collègues du DAR sont lancés dans une enquête extrêmement risquée. Les Brillants qu'ils poursuivent et qui préfèrent mourir que de se laisser capturer, semblent préparer une opération de grande envergure. De quoi faire redouter le pire à Cooper et à son supérieur et mentor, Drew Peters.
Il est temps de mettre fin aux agissements du mystérieux John Smith, cet homme devenu la référence des Brillants, un personnage insaisissable qui a réussi, avec le soutien d'un milliardaire, Erik Epstein, à fonder sur un morceau du Wyoming un véritable petit Etat destiné aux Brillants. A eux deux, Smith et Epstein ont fait trembler les pouvoirs politiques et économiques américains. Ils sont les ennemis publics n°1...
Mais, avant de pouvoir mettre au point quelque stratégie que ce soit, l'événement dramatique tant redouté se produit. Cooper est aux premières loges mais n'a pu intervenir à temps. Le pays est frappé au coeur, le drame a un retentissement terrible et la mission du DAR devient une priorité absolue, afin de mettre la main sur Smith et ses alliés.
Peters et Cooper vont alors opter pour une tactique terriblement risquée : faire passer Cooper pour le véritable auteur de l'attentat, faire courir le bruit qu'il a trahi et espérer ainsi qu'il pourra s'infiltrer parmi les Brillants pour remonter jusqu'à John Smith et le tuer. Mais, en contrepartie, il sera considéré comme un traître et traqué par ses propres collègues, dont certains ne seront certainement pas mécontents de le laisser sur le carreau...
Cooper est parfaitement conscient qu'il a franchi un point de non-retour. Mais, il n'imagine pas que son enquête va tout bouleverser, à commencer par la perception du monde qu'il avait en tant que membre du DAR. Et bientôt, l'agent ne va plus du tout savoir à quel saint se vouer, ni dans quel camp il se trouve réellement...
Au premier abord, on attaque "les Brillants" comme un thriller assez classique, avec ce côté fantastique assez sympa. Parce qu'il offre des perspectives spectaculaires, d'une part, et parce qu'il y a ce mystère qui entoure les Brillants et leur action dans la société, qu'on peut, comme toujours, voir comme une forme de résistance ou une action terroriste, en changeant d'angle.
Et puis, par petites touches successives, commence à se dessiner tout autre chose. Or, cela ne concerne pas les Brillants eux-mêmes, dont les aptitudes sont fixées d'emblée. Non, c'est autre chose, dans le décor. Oui, voilà, l'univers dans lequel se déroule l'histoire, ce n'est pas tout à fait le nôtre. En fait, on comprend qu'on est plus que dans un thriller fantastique : "les Brillants" sont une uchronie.
Et forcément, cela change complètement les repères du lecteur, qui doit s'habituer à ce monde si proche et pourtant si différent du nôtre. En tout cas, on peut le supposer. Et, à l'image de Cooper, on est embarqué dans une histoire totalement différente de ce que l'on pensait, sans plus aucun repère fiable, ni personne à qui faire confiance.
Pas même cette étrange jeune femme qui semble se trouver sans cesse sur le chemin de Cooper. "La fille qui passe à travers les murs", ainsi va-t-il la surnommer, et l'on comprend que leurs chemins vont être amenés à se recroiser bien des fois par la suite. Sans que l'on puisse dire avec certitude si elle est une alliée ou une adversaire...
Ah, bien sûr, j'aimerais vous raconter plein de choses, encore, peut-être même suis-je déjà allé trop loin. Mais, ce premier volet des "Brillants" ne ménage pas le lecteur en le bombardant de nombreuses surprises et de rebondissements qui viennent encore un peu plus brouiller les cartes. On ne s'y perd pas, rassurez-vous, simplement, bien malin celui qui pourrait dire de quoi sera fait le tome 2.
Cooper, c'est le héros typique à l'américaine, efficace, consciencieux, sans réel état d'âme, soumis à l'autorité et persuadé d'agir pour le bien commun. C'est aussi un homme qui dispose d'un pouvoir, et je ne parle pas du fait qu'il est lui-même un Brillant, mais de l'autorité dont il dispose. En clair, il a le permis de tuer, pour reprendre une expression chère aux fans de James Bond, et ne rechigne pas à utiliser les grands moyens.
En fait, plus que James Bond, c'est au Jack Bauer de la série "24 heures" que m'a fait penser Cooper. Ou quand la nécessité de l'action et du résultat fait peu de cas de la morale, en tout cas, telle qu'on la définit couramment. Pour autant, ce n'est pas un personnage monolithique. Sa famille est toute aussi importante que son job et les décisions qu'il va prendre sont aussi influencés par son amour de père.
Archétype du héros musclé et loyal, Cooper va pourtant devenir LE traître absolu, celui qui a trompé tout son monde, "on vous l'avait bien dit, qu'on ne pouvait pas faire confiance à un Brillant", vous voyez le genre... Une situation on ne peut plus déstabilisante pour un homme qui a toujours fait des choix de vie difficiles, les assumant parfaitement.
Ah, la trahison ! J'ai souvent l'impression de radoter, lorsque j'écris des billets en rafale. Eh oui, il y a des thématiques qui reviennent sans cesse, heureusement dans des situations et des contextes différents, et que l'on retrouve d'une lecture à une autre. Et cette question de la trahison est sans doute aussi vieille que la littérature elle-même.
Dans un univers plein de faux semblants où les repères de ce personnage sont non seulement chamboulés, mais aussi remis en cause, l'idée même de trahison devient sujette à caution. Et Cooper risque bien de se retrouver isolé au milieu de deux camps dont les motivations réelles sont bien difficiles à cerner...
Ce sera bien sûr tout l'intérêt, dans un premier temps de la dernière partie de ce premier volet, mais également des deux prochains tomes qui restent à publier en France. Et il est probable que l'on ne sera pas au bout de nos surprises. Mais Marcus Sakey a placé la barre à une hauteur très élevée, et il faut espérer que tout ne retombera pas ensuite comme un soufflé, que la suite des événements demeurera à ce niveau.
Pour le reste, "les Brillants" est aussi un thriller haletant, bourré d'action, y compris des scènes qui pourraient sortir droit de différents blockbusters hollywoodiens, de Matrix aux différentes franchises de super-héros. C'est par moment très visuel et on se dit qu'un réalisateur s'éclaterait bien à reproduire cette histoire dans un ou plusieurs films...
L'univers mais aussi l'histoire sont violents et le rythme soutenu dès le départ. Attention, certaines scènes sont même très dures, je préviens les lecteurs les plus sensibles. On est assez loin de la classique Série Noire telle qu'on la conçoit traditionnellement, mais pour les amateurs de thrillers, c'est vraiment une lecture à conseiller.
Qui plus est si vous avez déjà eu l'occasion de lire les précédents roman de Marcus Sakey. Ce romancier américain a l'art et la manière de mettre ses personnages dans l'inconfort, l'incertitude et le danger permanent. Avec une différence, tout de même : dans "Désaxé" ou "Des gens bien", pour parler de ceux que j'ai lus, les personnages principaux n'étaient pas du tout préparés à ce qui leur arrive.
Ici, Cooper est plus armé, à plus d'un titre, puisqu'il dispose aussi des aptitudes des Brillants et sait lire leurs réactions, puisqu'il les comprend. Pour autant, il est un peu naïf et, en cela, il rejoint les précédents protagonistes sakeyiens. D'autant que, pour les autres livres, l'adversité est puissante mais sans aucune commune mesure avec les forces en présence dans "les Brillants".
Rendez-vous, je l'espère, en 2016, pour retrouver Cooper et voir comment il va gérer la galère dans laquelle il s'est embarqué... Avec, également, de nouvelles révélations sur l'univers dans lequel se déroule "les Brillants", afin de redessiner une carte plus précise des forces en présence. Et des dangers qui guettent notre héros...