Le Quinjet des Avengers est abattu en plein vol par l'Armée Américaine. Des soldats s'exhibent avec le bouclier de Cap ou le marteau de Thor, tandis que ces derniers meurent dans les décombres... Warren Ellis nous fait découvrir un univers différent de celui qu'on lit chaque mois, et frappe fort.
Au départ, il y avait Marvels, la cultissime saga de Kurt Busiek et d' Alex Ross, où un journaliste suivait les premiers pas timides de l'univers Marvel, jusqu'à l'âge des héros. Warren Ellis décide ensuite d'écrire une saga qui s'en inspire, mais il se fait un malin plaisir à tordre, déformer, et massacrer la moindre possibilité de bonheur.
On retrouve le journaliste Phil Sheldon, personnage principal de Marvels, mais dans un univers complètement différent. Ici, les héros n'existent pas ou plus, sont au mieux vus comme des dissidents politiques, et chacun rencontrera une fin traumatisante. Sheldon "sent" qu'il y a quelque chose qui ne va pas, et décide d'enquêter pour découvrir ce qui a dérapé dans son monde.
La réponse est " absolument tout". Sans aucune exception, quand quelque chose pouvait mal se passer, ça s'est mal passé, et pire encore. Hulk ? L'explosion de la Bombe Gamma a transformé Bruce Banner en immonde créature difforme, sorte de champignon humain de muscles éclatés et sanguinolents, qui finira dans un bunker de l'armée. Les Avengers? Abattus par les soldats. Les mutants ? Horriblement mutilés pour qu'ils ne puissent plus utiliser leurs pouvoirs, et laissés à pourrir en prison. Et c'est très loin d'être tout.
Chaque page recèle une nouvelle atrocité, une nouvelle vision perverse et difforme de la mythologie qu'on aime. Ruins n'est pas une saga heureuse, et vise les plus sombres visions de son auteur, et finalement du genre humain. Ellis est un scénariste polyvalent, capable d'écrire des séries hilarantes ou sérieuses, mais ici, on se pose sérieusement des doutes sur ses pensées : on descend dans les plus sombres tréfonds de sa pensée, et la nausée est permanente. Chaque héros est une version horriblement déformée de l'univers classique, et l'auteur emmène son lecteur dans un voyage dégoûtant, qui veut refléter au mieux la vacuité de l'existence.
On pourrait avoir des réponses aux questions posées par Sheldon, mais il n'y en aura pas. On ne saura rien de plus sur cet univers, on n'aura pas le fin mot de l'histoire, parce qu'Ellis ne veut pas. Il veut juste taper sur son lecteur le plus fort possible, en espérant que ça marche. Certains ne seront pas sensibles à l'histoire, et trouveront ça gras et facile, ce que je comprendrais. Mais il y a une forme de fidélité dérangeante à l'univers Marvel, une reprise des codes sadiques, ce qui fait que cette réécriture vaut le coup, si on arrive à y adhérer.
Les fabuleuses peintures de Cliff et Terese Nielsen y sont pour beaucoup. C'est un style radicalement différent d'Alex Ross, qui visait à lisser sa narration. Là, c'est sale, les peintures puent la rage et sont remplies de détails immondes, et créent une impression de flou sur cet univers : Ellis et les Nielsen nous prennent par la main pour mieux nous la mordre, en insistant sur des détails sordides au détour d'une petite case. Les 20 dernières pages de la série sont malheureusement dessinées par un autre artiste, Chris Moeller, qui lui a un style beaucoup plus traditionnel, plus comic, et donc plus léger. C'est dommage de finir ainsi l'histoire, car même si c'est plutôt joli, ça manque de la folie et de la saleté des débuts de la série...
Mais dans l'ensemble, Ruins est une histoire terrible, qu'il peut être intéressant de lire. C'est une vision tordue de l'univers Marvel, à des années lumières de tout ce qu'on pourrait lire autrement, et c'est un sacré moment de lecture. Il est possible de rester de marbre, mais il y a de grandes chances que ça vous frappe. L'antithèse parfaite de Marvels.