Vaterland

Par Lecteur34000

" Vaterland "

" Peut-être que la montagne disparaîtrait si je ressuscitais un contemporain de mon arrière-grand-père et lui passais commande de ce livre. Mais tant que ce sera moi qui en serai l'auteur, il y a aura quelque chose qui se dressera entre nous deux, et qui nous dominera de toute son effrayante hauteur. Appelle-le comme tu veux, moi, je l'appelle Pologne. "

Pologne. Allemagne. Tant il existe au cours du siècle passé d'interférences entre les deux pays. Et que cet arrière-grand-père qu'évoque ici Anne Weber, Sanderling (dans la réalité le philosophe et théologien Florens Christian Rang), prussien bon teint, fut pasteur dans un village proche de Poznan (Posen, durant les occupations allemandes).

Anne Weber a entraîné le Lecteur via d'incessants allers et retours dans la vie de cet homme, laquelle vie est indissociable de ce que fut l'histoire de l'Allemagne. D'indispensables allers et retours pour le Lecteur toujours à la recherche de ce qui pourrait lui expliquer le basculement de cette Allemagne vers le nazisme. Anne Weber lui indique des pistes susceptibles de l'éclairer.

Le propre fils de Sanderling devint un nazi, un vrai de vrai. D'où la recherche obstinée de l'écrivaine. Existait-il dans les écrits laissés par son arrière-grand-père ce qui aurait pu constituer l'aliment de l'engagement de son rejeton ? Sa pensée ne contiendrait-elle pas quelques-uns des germes de ceux que diffusèrent à l'échelle d'un pays tout entier les hitlériens ? De Pologne en Allemagne, elle tente de retrouver ce qui n'est peut-être pas une part de vérité, mais les indices de la présence du mal bien avant l'arrivée au pouvoir du Führer.

Elle se rend par exemple à Hadamar, petite ville proche de Braunfels, où il exista une " maison de soins ", ce que nous appellerions aujourd'hui un hôpital psychiatrique. " ... entre janvier et août 1941, plus de dix mille personnes (y furent assassinées) qu'on avait cessé de considérer comme des êtres humains. " Anne Weber découvre que le crime vient de loin. Les mots du théologien et philosophe la " transpercent " : " Pourquoi n'utilisez-vous pas votre or, vos services, votre travail afin d'élever la vie qui peut être élevée, plutôt qu'afin de conserver une vie qui ne peut rien accomplir. " Plutôt de conserver une vie qui ne peut rien accomplir... Le mal vient de loin. Atterrée, Anne Weber le constate. Le nazisme ne résulte pas d'une génération spontanée qui s'expliquerait seulement par les conséquences de la crise économique de la fin des années vingt de l'autre siècle.

Ce livre n'a jamais laissé le Lecteur en paix. Il ne lui a concédé aucun moment de répit. Il l'a contraint en permanence à se confronter aussi bien à ce temps qui fut celui de l'abomination qu'aux problèmes du temps présent. Puisqu'il sait lui, le Lecteur, que certaines idéologies françaises contiennent des germes destructeurs analogues à ceux grâce auquel proliféra le mal nazi. Ce texte, traduit en français par Anne Weber elle-même, tranche avec la tentation qui se fait jour de classer ce moment de l'Histoire dans les rayons réservés aux anomalies et à le banaliser. (En cet instant de son écriture, le Lecteur pense au gentillet " Le goût des pépins de pomme " de Katharina Hagena). Il rappelle avec une force, une vigueur, une âpreté étonnantes que la fin du nazisme n'a pas signifié la mort des idéologies auxquelles celui-ci s'est nourri.

" La conscience : quelle est cette belle et étrange chose ? Dans la conscience habite le savoir - ressenti -de ce qui est juste ou injuste. Mais ce savoir, d'où vient-il ? Qui nous en a doté ? Est-ce un des nombreux phénomènes qui nous séparent de ceux qui ont vécu avant nous ? Est-ce lié à Dieu de façon aussi insoluble que Sanderling l'éprouve ? Pourquoi continuons-nous donc à avoir une conscience ? Car nous continuons à en avoir une, même si nous ne l'écoutons pas souvent. "