Le diable s’en mêle

Hélas ! ma chère bonne petite,

Entraînée par une rumeur extrêmement élogieuse envers un certain Monsieur Feydeau qui, tel notre bon Molière se plairait à nous faire rire des travers de la bourgeoisie, je fus hier soir à la comédie en votre château de Grignan.

Est-il possible que le monde trouve admirable un tel chef d'œuvre de platitude et de vulgarité ? Oui, le monde se pressait sur les gradins pour voir un méchant diable, comble de l'indécence et de la vulgarité, se jouer des contre-temps et de la vie de trois couples de bourgeois tout empêtrés de leur nullité.

Je passai là trois heures d'ennui profond et d'indignation. Où est, me le direz-vous, l'intérêt d'un tel déballage ? N'y a t-il pas d'autres sujets de réflexion, d'admiration, d'amusement, de plaisir même plus dignes de notre attention, plus dignes également d'un tel lieu, de cet espace magnifique qu'est votre cour d'honneur, devant cette façade Renaissance baignée de la nuit la plus sublime toute ponctuée d'étoiles et imprégnée des parfums de fin d'été alors que le mistral, cet autre diable, s'est enfin assoupi.

Les répertoires de Messieurs Racine, Corneille et de notre ami Molière bien sûr, siéraient de toute évidence infiniment mieux. Alors pourquoi se satisfaire de tant de médiocrité rehaussée par une noire mise en scène qui accentue le malaise de cette descente aux enfers ? N'est-ce pas aussi trahir l'auteur car il me semble bien que, maladroitement peut-être, ce Monsieur Feydeau tentait de nous amuser ? Est-ce pour cela que le public se force à rire quand bien même tout comique a disparu, englouti dans de sinistres farces ?

Non, ma chère, ma très bonne, je vous en conjure, s'il est encore possible à mon gendre bien-aimé de faire cesser cette mascarade, d'où qu'il soit présentement, qu'il intervienne afin qu'intelligence et beauté règnent à nouveau dans votre château.

Madame de Sévigné,

par la plume de Françoise Autin