Les bannis de Laurent Carpentier aux éditions Stock (rentrée littéraire 2015)
"Debout ! Les damnés de la terre ! Debout ! Les forçats de la faim ! La raison tonne en son cratère, C'est l'éruption de la fin. Du passé faisons table rase. Foule esclave, debout ! Debout ! Le monde va changer de base : Nous ne sommes rien, soyons tout !"
L'internationale premier couplet.
Qu'il est difficile de faire table rase du passé. C'est ce que nous montre Laurent Carpentier dans Les bannis. Il revient sur l'histoire de sa famille au cours de ce XXème siècle hurlant, rugissant. L'histoire des siens n'est pas si singulière que cela, c'est l'histoire de beaucoup de familles terrassées par ce siècle de conflits tant militaires que politiques.
Laurent Carpentier nous parle de sa famille da manière brouillonne, pas de manière chronologique, ce sont des bribes de souvenirs qui lui reviennent en mémoire et qui conditionnent son enquête. Les personnages défilent, chapitre après chapitre. Fine, Maurice, Jacques, des communistes bannis du parti, des juifs déportés, des gens déclassées. Ils se succèdent à un tel rythme et de manière si désordonnée qu'on ne sait plus vraiment qui est qui. Mais est-ce-là l'essentiel ?
Ce qui ressort de ce roman c'est une espèce de tourbillon, de spirale du malheur qui touche cette famille et qui, bien qu'il veuille s'en libérer, enchaîne l'auteur depuis qu'il est petit garçon.
"Moi qui me suis toujours foutu des fadaises généalogiques qu'on vous serine dès le jeune âge, qui me suis toujours protégé du passé, pourquoi vois-je aujourd'hui défiler ces images troublées ? Quelles peurs ont-elles laissées en moi, toutes ces histoires de massacres, de haine, de violence, d'impossibilité à vivre que je ramasse comme le moissonneur récolte le blé qui le nourrira ? Le malheur serait-il une raison de vivre ? Et la famille un corps cannibale dans lequel je suis allé chercher à la fois ma force de vie et mon empêchement fondamental au bonheur."
Les bannis est un roman foisonnant, touffu, passionnant. On se perd dans ses bribes d'histoires de famille mais on est porté par cette vague d'événements, de drames. Une famille qui pourrait être la nôtre tant elle est marquée par l'histoire mondiale de ce XXème siècle. Oui, il est difficile de se détacher du passé familial, cette histoire qui nous a bercé dès l'enfance. Peut-on se libérer de ces fantômes du passé qui reviennent sans cesse dans les discussions ?
"Tous me veulent du bien. Aucun compte à régler. Ils m'ont légué leur sève, leur passé, leur vie, qui seule, s'est chargée de les pousser dans le vide. Ils m'ont juste généreusement offert de les accompagner. Qui suis-je, qui serais-je pour les juger ? Mes parents voulaient du passé faire table rase. Le peut-on jamais ? Le sang coule-t-il éternellement de la treille ? J'ai bu le jus de mort au calice."