Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…

Par Chatquilouche @chatquilouche

Le monde est plutôt fortiche pour élaborer des concepts publicitaires, pour nous vendre du rêve, de la peur, les deux à la fois, et nous montrer, l’air de rien, le sens de la visite. Mais, pas plus que le Prince charmant, le Père Fouettard, les à jamais pour toujours, les filles fragiles n’existent pas. Dans la vraie vie, les filles ont des poils aux pattes, de la moustache et des blessures de guerre. Elles disent des mots vulgaires, elles rotent, et se grattent parfois les couilles qu’elles ont trouvées sur le quai d’une gare où un mec couard les avait oubliées sans même dire au revoir. Dans la vraie vie, les filles ont des neurones qui s’excitent sous leur casque d’or, des muscles qu’il vaut mieux ne pas chercher sous leur peau de satin ; et derrière leurs yeux bleus, où le monde imagine qu’elles se noient, elles ne croient plus aux promesses dont les hommes robustes plient sous le poids. Et les filles n’en peuvent plus de suffoquer sous ce coton, dans ces boîtes en carton scellées d’un scotch brun et d’autocollants « attention fragile », alors que tout le monde sait que la Poste s’en fout. Les filles fragiles n’existent pas, et elles n’ont pas besoin d’une garde rapprochée.

Personne, au fond, ne mérite d’être protégé. Ni les mômes, ni les vieux, ni les filles qu’on espère fragiles. Personne ne devrait étouffer sous le sable, parce que la main qui les y maintient trouve que dehors c’est pas joli, joli. Personne ne devrait mettre des freins à ses rêves, parce que d’autres yeux ont peur de s’éclater la tête contre un mur. Personne ne devrait se tordre de douleur à cause de tous ces mots que personne n’a dits, de tous ces premiers pas que d’autres les ont empêchés de faire. Les sauveurs, c’est comme les hommes qui portent la moustache, ils ont tous quelque chose à cacher.
Des cadavres dans le placard de l’entrée, de l’argent sale qui dort sous le matelas, un bracelet électronique sous leur pantalon Desigual ; et ils collectionnent les mercis et les quittances, comme d’autres collectionnent les trophées et les filles fragiles.

Les filles fragiles n’existent pas et elles sont déjà dans nos rues. Pour se faire rembourser tout ce rêve qu’on leur a vendu, pour essayer de décoller de leurs semelles toutes nos peurs et leur colère. Les mômes et les vieux n’en peuvent plus, et faut pas s’étonner si, derrière la vitre du bus, ils nous montrent leur majeur et leur cul.

Les filles fragiles n’existent pas. Le Père Noël, la Petite Souris, le Grand méchant Loup non plus. Et ça fait bien longtemps que les mômes et les vieux font semblant d’écouter nos histoires et de dormir sur leurs deux oreilles pour nous rassurer. Mais pendant qu’on se vautre sur nos canapés Ikea, qu’on se gave de chips, de nos bonnes intentions et de programmes TV, eux, ont déjà fait le mur de notre monde d’où rien ne dépasse et où les rides ne se creusent jamais. Et ils sont déjà loin. Loin, où les mômes ont le droit de sauter dans les flaques d’eau, de jouer, de transpirer, de bouder un peu, et de se faire des bleus aux genoux. Loin, où les vieux ont le droit de parler de leurs vingt ans, de faire l’amour, de hurler trop fort, et de réveiller un autre vieux dans la chambre d’à côté. Loin, où les filles fragiles sèchent leurs larmes et laissent derrière elles les quais déserts d’où les héros ne reviennent jamais pareils qu’hier. Loin, où les hommes forts cessent de faire du mal, là où les hommes fragiles font tellement de bien, comme ils pansent ces plaies qui n’existent pas. Loin, où le monde écoute les fous parler de lui comme il ne se connaît pas ; et que ses yeux brillent pour la première fois.
Loin, « où ceux qui pensent que c’est impossible ne dérangent pas ceux qui essaient ».
Essayer, même un peu, c’est s’éviter bien des escarres.

Notice biographique

Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.  C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.  Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)