Chronique « Bouffon »
Scénario de Zidrou, dessin de Francis Porcel,
Public conseillé : Adultes / grands adolescents
Style : Conte « réaliste »
Paru chez Dargaud, le 28 aout 2015, 64 pages couleurs, 14.99 euros
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L’histoire
Moyen âge, au fond d’une geôle puante, une ribaude donne naissance à un rejeton. Fruit du désir payé des soldats de passage et des abus du geôlier, l’enfant affreux, est donné en pâture à un énorme chien noir. Contre toute attente, l’animal se prend de pitié pour l’horrible rejeton et le nourrit.
A la mort du molosse, le marmot à la gueule cassée, se tourne naturellement vers le maître des lieux en ersatz de père. Une aubaine pour ce tourmenteur qui trouve en cette “progéniture” un esclave à tout faire…
Ce que j’en pense
Il y a des scénaristes qui vous marquent. Lupano et Zidrou sont de cette étoffe. Des gars capables de m’étonner souvent (je n’ai pas dit à chaque fois) en proposant des œuvres (et oui, j’ose !) personnelles, prégnantes et différentes. Avec « Bouffon », Zidrou marque une nouvelle étape dans son parcours atypique de scénariste et d’homme. Il fait de ce genre populaire (la bande dessinée dessinée) un média alternatif pour montrer la détresse et la bêtise humaine.
Après le fabuleux « Folies Bergères » avec Porcel au dessin, Zidrou recompose ce duo qui a fait ses preuves, dans un genre bien différent. Pas de grande guerre, mais le quotidien sordide et affreux de la condition humaine au moyen-âge.
Sans jugement de valeur, Zidrou nous raconte une histoire sombre, glauque, qui glisse dans le fantastique. Un vrai conte, avec tous les éléments, raconté dans un style réaliste et noir.
Au centre du conte, il développe le thème de la différence, un thème qui lui est cher (voir “Pendant que le roi de Prusse faisait la guerre qui donc lui reprisait ses chaussettes ?” et “Lydie”).
Désenchanté et sans espoir, « Bouffon » vous marquera à n’en pas douter. Loin des belles princesses et des charmants chevaliers au coeur pur, dans “Bouffon”, les hommes (et les femmes) sont moches ! Pas au sens littéral, bien sur. Cela est réservé au personnage principal, le seul, qui malgré son visage affreusement déformé, pose sur la vie un regard innocent et bon.
Défiguré jusqu’à l’os, n’inspirant que dégoût et effroi, “Bouffon” est un enfant qui n’attend rien des autres, excepté un peu d’amour… Tout ce que ces contemporains ne peuvent lui donner…
Zidrou s’était essayé au conte avec “Les 3 fruits”, mais il change son style narratif. S’autorisant beaucoup de voix off, il nous offre son « double de papier », un compteur à sa façon : un prisonnier qui interpelle le lecteur du fond de sa prison et raconte dans le désordre, le récit du gentil « Bouffon ».
Sans vous spoiler, sachez que la fin de l’album donne un éclairage vraiment original à l’ensemble.
Côté dessin, le jeune dessinateur espagnol Francis Porcel, dont j’avais apprécié les qualités sur « Folies bergères » renouvelle l’exploit. Son trait classique et expressif sert à merveille ce récit médiéval sombre et violent. Entre encrage très présent et la mise-en-place tout en retenu, le récit nous envahit.
La mise-en-couleur, elle aussi, est particulièrement sobre. Camaïeux de gris et couleurs peu saturées, les planches se font discrètes et obsédantes.
Pour résumer, le duo de « Les Folies Bergère » revient avec un conte pour adultes, sombre et envoûtant. Noir, si noir, beau et moche à la fois, Zidrou nous remet face à nos contradictions et nous rappelle que la beauté est tout, sauf extérieure…
Si vous voulez commencer la rentrée avec une bd coup de poing, lisez « Bouffon ».
Cette chronique est partagée par Yaneck Chareyre des « Chroniques de l’invisible ». Voici sa version, par ici.
Cet article fait parti de « La BD de la semaine », hébergé sur « Un Amour de BD » cette semaine.