Cher Chat,
Deux mois déjà que je laisse décanter mes idées. Deux mois à me reposer sur mes lauriers, l’inspiration en papillote. Au secours ! J’étuve ! Je ne vous ferai pas mariner un jour de plus. Il est grand temps que le Chat Qui Louche fasse de nouveau recette.
Et si on se farcissait la rentrée ? Al dente ! Elle est bien sur toutes les langues ! Pourtant, peu semblent s’en lécher les babines. N’êtes vous pas, le Chat, de ceux qui auraient préféré rallonger la sauce ?
Permettez donc que j’enfile mon tablier d’enseignante afin de me lancer dans cette nouvelle course à l’échalote. Une rentrée, c’est toujours gratiné ! C’est donc l’occasion d’en faire tout un plat.
En effet, sur mon billot s’étalent différents ingrédients : effervescence, enthousiasme, projection, mais aussi remise en question, appréhension puisqu’il me faudra de nouveau passer à la casserole même si je bous déjà d’impatience. Pas de réchauffé possible pour l’enseignant qui ne baigne jamais plus d’une année dans le même jus de cuisson !
Alors, comment me cuisinera-t-on en ce début d’année ? Si je ne suis pas adepte de viandes attendries, je redoute un peu cependant le gibier coriace. Seront-ils tendres, saignants, trop crus, à point ou trop cuits ? Et puis, surtout, saurais-je rouler dans la farine ceux qui font grise mine à l’idée de fatiguer ma salade ? Ayant quelques années de pratique derrière moi, puis-je avancer avec certitude que c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ? La motivation scolaire n’est malheureusement pas toujours un plat à la carte. Certains de mes élèves resteront en carafe même si j’ai pas mal de bouteilles dans le métier. Il n’existe donc pas, selon moi, de recette miracle qui ferait lever la pâte à coup sûr.
Cependant, certains reconnaissent les bienfaits d’une cuisine familiale relevée. Nous sommes deux enseignants à faire bouillir la marmite de mon foyer. Nous avons toujours espéré que nos enfants nourriraient des ambitions studieuses. Nous faisons notre beurre dans l’éducation, nos enfants en seront-ils la crème ? Il s’avère qu’à l’aube de ce mois de septembre, ma fille et son père font leur rentrée à l’université ; mon fils et moi au collégial. Ont-ils pensé qu’il leur en cuirait s’ils crachaient dans notre soupe ou est-ce que le fait de mettre les p’tits plats dans les grands depuis toujours les motive vraiment à se mettre à table ?
Et à l’inverse, est-on condamné à boire le bouillon de sept heures si nos parents n’envoient pas la sauce ? J’en connais pourtant qui ont un joli coup de fourchette alors que leur mère cuisinait sous vide. J’en connais d’autres qui ont eu envie de mettre les bouchées doubles parce qu’écœurés du fastfood.
Et puis, ça peut très bien baigner dans l’huile sans qu’on invente le fil à couper le beurre. Les études de cycles supérieurs, si elles invitent à des menus plus diversifiés, des repas parfois plus riches, ne garantissent pas le plaisir de la table. À vouloir le beurre et l’argent du beurre pour nos petits, on ne les sort pas forcément de l’auberge.
À bien y réfléchir, je me fous que mes enfants soient de grandes huiles et je ne me battrai pas à couteaux tirés pour qu’ils deviennent ce que j’aimerais qu’ils soient.
Après tout, tant que ça ne tourne pas au vinaigre, on peut bien leur laisser faire leur propre popote.
Notre véritable mission est peut-être simplement que nos enfants soient motivés à faire leur rentrée quelque part. Si nous sommes nous-mêmes tout sucre, tout miel à la perspective de la rentrée, il se peut que l’enthousiasme cristallise le reste de la famille. Il restera à nous sucrer la bouche, histoire d’offrir quelques encouragements bien confits à nos petits. Vous verrez… la mayonnaise pourrait bien prendre !
Sur ce, je ne beurrerai pas plus épais. Il est temps pour moi d’aller mettre la viande dans le torchon.
Demain, c’est ma rentrée littéraire au Chat Qui Louche !
Sophie
Notice biographique
Sophie Torris est d’origine française, Québécoise d’adoption depuis dix-sept ans. Elle vit à Chicoutimi, y enseigne le théâtre dans les écoles et l’enseignement des arts à l’université. Elle écrit essentiellement du théâtre scolaire et mène actuellement des recherches doctorales sur l’impact de la voix de l’enfant acteur dans des productions visant à conscientiser l’adulte. Elle partage également une correspondance épistolaire avec l’écrivain Jean-François Caron sur le blogue In absentia. (http://lescorrespondants.wordpress.com)