Les super héros sont américains. Par essence, par origine, par habitude. Très peu, pour ne pas dire personne, ont été en mesure de mettre sur pieds un univers super héroïque capable de rivaliser avec les décennies de gloire de Marvel ou Dc. Simplement trouver un titre, une série qui passionne le lectorat depuis des décennies, s'avère presque impossible. Mais en marge des super héros classiques en spandex, l'Italie a des idées...
La maison d'édition Sergio Bonelli propose ainsi depuis 50 ans les aventures d'un héros particulier, au nom bien étrange : Za-Gor-Te-Nay, ce qui signifie, dans un dialecte algonkin (dialecte d'une tribu indienne imaginaire) l'esprit à la hache. Tout un programme. Après avoir perdu ses parents dans sa prime jeunesse, Zagor a consacré sa vie à la défense de la paix et de l'ordre dans la forêt de Darkwood, un lieu imaginaire, inventé par Guido Nolitta (en fait le pseudo de Sergio Bonelli himself), situé dans les États-Unis orientaux. Les extraordinaires prestations athlétiques de Zagor, ses aventures, le charme de son costume et son hurlement de bataille (un caractéristique "AAHHYAAKK!") ont fait croire aux Indiens qu'il s'agit d'un demi-dieu envoyé par Manitou. Même si la plupart des aventures se passe dans une ambiance western, Nolitta y a aussi inséré beaucoup d'éléments fantastiques, effroyables et policiers. C'est ainsi que nous pouvons sauter sans discordance des rivalités entre tribus, des guerres entre blancs et peaux-rouges, à l'apparition d'extra-terrestres venus du fin fond du cosmos, ou la présence de monstres mutants effrayants. Chez Zagor, l'aventure est multiple et se conjugue à toutes les sauces. C'est ce qui fait le charme de la série, son attrait sans pareil. Notre héros est entouré d'un cast de personnages secondaires assez savoureux. Tout d'abord, son inséparable partenaire: le petit homme au grand ventre, gourmand, hypersympathique mexicain Don Cico Felipe Cayetano Lopez y Martinez y Gonzales, plus simplement connu de tout le monde comme Cico. Et encore, Tonka, sakem des Mohawks et frère de sang de Zagor; l'empoté détective Bat Batterton, le chercheur de trésors Digging Bill, le marin Fishleg, le "guitariste-pistolero" Guitar Jim et beaucoup d'autres. Qui dit amis dit aussi ennemis. Zagor a livré à la justice des centaines de hors-la-loi, parmi lesquels le plus dangereux de tous: Hellingen, un savant génial mais fou dont les projets pour la conquête du monde (et, certaines fois, de l'univers entier) ont été toujours éventés par notre héros. Parmi les autres ennemis, le vampire Rakosi, le druide Kandrax, l'"alter ego" SuperMike, l'esprit du mal Wendigo. Bref, rien à envier au X-Men ou à Daredevil, notre Esprit à la Hache!
Zagor est une série qui a donc plus de 50 ans. Régulièrement publiée chaque mois, en noir et blanc (une collection historique en couleurs et grand format est en ce moment proposée avec un important quotidien italien), elle est une des fers de lance de l'écurie Bonelli, dont les autres best-sellers s'appellent Tex (le cow-boy), et Dylan Dog. Il est difficile pour le lecteur français d'aujourd'hui de se faire une idée, car il n'y a plus d'adaptation Vf en kiosque, ni en librairie. J'ai contacté il ya deux ans Clair de Lune, qui traduit Tex, en offrant mes services pour ranimer Zagor, mais j'ai essuyé un refus type assez froid et fort décevant. Même constat d'échec chez d'autres éditeurs qui auraient pu tenter l'aventure, avec un peu de moyen et d'ambition. Du coup vous ne pourrez vous rabattre que sur d'anciennes mais très bonnes aventures, proposées sur un mensuel petit format et noir et blanc (encore plus petit que l'original italien) du nom de Yuma. Aux éditions Lug, puis Semic. Ou bien prendre des cours pour lire la langue de Dante, si ce n'est pas déjà le cas. Étant pour ma part parfaitement bilingue, je ne peux que vous encourager à vous jeter sur la Vo, qui elle est en bonne santé et vient de fêter un demi-siècle d'existence. Mais pourquoi lire Zagor, me direz-vous? En quoi ce titre est-il proche de ce que nous pouvons trouver dans les comics américains, pourquoi souvent les lecteurs de l'esprit à la hache ne dédaignent pas non plus d'acheter Spider-Man et consorts? Tout d'abord, pour ses valeurs hautement nobles et chevaleresques de l'héroïsme désintéressé que le personnage professe. Son combat est destiné à être perdu dans les grandes largeurs. L'histoire nous enseigne que si Zagor est un des ardents défenseurs de la paix et d'une existence sereine entre indiens et nouveaux colons qui débarquent sur les terres vierges américaines (le récit est situé, grosso modo, aux alentours de 1830-1840), son combat connaîtra une issue tragique, et les peaux-rouges finiront par être défaits, destinés aux sinistres réserves, qui sont autant de prisons déguisées. Sans tenir compte des massacres, règlements de compte, et autres épisodes cruels qui marqueront leur cohabitation impossible avec l'homme blanc, venu se servir sans vergogne. Zagor est une utopie historique qui résiste depuis des années face à la crise du secteur et aux ventes trop souvent en berne, et continue, après plus de cinq décennies, d'afficher une vitalité enviable qui lui permet de rester parmi les personnages les plus facilement identifiables et appréciables du public italien, mais aussi brésilien, ou croate, des pays où il rencontre un franc succès. La France peut rougir d'aveuglément.
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