Chronique de Milan, par Clémence Tombereau…

Par Chatquilouche @chatquilouche

Il commence aujourd’hui un roman – à moins que le roman ne le commence, lui, l’auteur, tout dépend du point de vue.  La première phrase, l’accroche comme on dit, est une sacrée farceuse :  il arrive qu’elle surgisse en un éclair, frénétique, impétueux, parfait ; d’autres fois elle se plaît, la fourbe, à être triturée, modifiée, allongée, transcendée jusqu’à sa fin.

L’accroche est malheureusement primordiale.  Elle est un cri primal trafiqué.  Elle est la première impression, la plus subtile, celle qui fera qu’on se fie ou non à l’auteur.  Elle est un fil du rasoir.  On s’y casse la gueule sans peine.  Sans elle, impossible de plonger dans le texte.  Sa fadeur conduira le lecteur exigeant à refermer aussitôt le livre, en soupirant d’ennui avant d’aller en chercher un autre.  Il y en a tant.  Tant d’amis en devenir, tant de livres non encore lus, en attente, patients, toujours prêts à se faire aimer ou détester par nous.

Cette phrase d’accroche là, il l’a en tête depuis longtemps.  Il l’a tournée et retournée encore.  Il l’a ornée de simplicité qui a nécessité des heures ; il fait tout pour que cela ne se voie pas.  Du naturel.  Du coulant de source.  Une évidence.  La première phrase doit taper.  Un coup sec inoubliable.  Un coup dans le ventre afin que le lecteur ait le souffle un peut coupé et doive reprendre de l’air avant de continuer.  Elle est un vœu pieux.  La première phrase parfaite est juste une raclure qu’on ne parvient jamais vraiment à attraper.

Elle est là.  Majuscule, phrase, point.  C’est parti pour l’aventure folle.  Ces mots-là ont une telle charge sur les épaules qu’on les sent prêts à s’effacer, s’effondrer et disparaître à jamais, donnant alors la sincère impression de n’avoir jamais, non jamais, vraiment existé.  Ils se doivent d’être à toute épreuve, solidement ancrés sur leurs lettres, pareils à des insectes impossibles à déplacer.  Des tiques agressives sur le cuir de la page.

Les lettres se font racines, creusent le sol, s’engouffrent profondément dans les méandres du monde et de la page blanche pour qu’en surface tout cela se maintienne.  La première phrase ressemble aux palais vénitiens, à la façade sublime, mais dont les fondations se battent pour maintenir le tout, dans des eaux plus que troubles.

Notice biographique

Clémence Tombereau est née à Nîmes et vit actuellement à Milan.  Elle a publié deux recueils, Fragments et Poèmes, Mignardises et Aphorismes aux éditions numériques québécoises Le chat qui louche, ainsi que plusieurs textes dans la revue littéraire Rouge Déclic (numéro 2 et numéro 4) et un essai (Esthétique du rire et utopie amoureuse dans Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier) aux Éditions Universitaires Européennes.  Récemment, elle a publié Débandade (roman) aux Éditions Philippe Rey.

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)