Promenons-nous dans les bois de Bill Bryson

Par Folfaerie

Je dois cette excellente découverte à Keisha, comme d’habitude, qui avait chroniqué le bouquin sur son blog. En plus d’être très drôle, ce récit m’a rappelé un tas de souvenirs, presque aussi mémorables que les aventures de Bryson. Moi aussi je suis randonneuse, et moi aussi j’ai connu mille et unes péripéties dues à un manque de préparation et une propension à croire que la rando, c’est facile. Quand j’avais une vingtaine d’années, après quelques années de préparation  (rando tous les dimanches à Fontainebleau, hum…), j’avais décidé que nous étions mûres pour notre première rando en autonomie sur plusieurs jours : nous avions choisi le GR Stevenson dans son intégralité. Bien évidemment, beaucoup de choses ne se sont pas déroulées comme prévu. Malgré une préparation soigneuse et la lecture des cartes IGN, nous avons eu droit à presque tout : étapes de longueur inégale, mal de dos à cause de sacs trop lourds (ça c’est le grand classique, vous avez emmené plein de trucs qui vous ont semblé utiles au moment du départ, et qui vous empoisonnent finalement la vie tout au long du parcours!), impossibilité de se ravitailler en certains lieux dépourvus de la moindre épicerie locale, aucun sens de l’orientation, arrivée dans des gîtes déjà complets,  montage de la tente en catastrophe au milieu de nulle part alors que le ciel déverse des trombes d’eau… sans compter une course-poursuite due à une vache qui n’a pas apprécié que l’on traverse son pré. En prime, on a pris une bonne décharge électrique en franchissant la clôture en catastrophe !

Vous pensez bien  que je me suis plus ou moins reconnue dans le personnage de Bryson. Lui et Katz, son pote bedonnant, et alcoolo de surcroît, deux quadras un peu timbrés qui ont le culot de vouloir se frotter à l’Appalachian trail, un sentier de 3500 km environ (personne ne s’accorde sur sa longueur exacte) qui traverse plusieurs états.

Il y a plein de passages désopilants et cocasses, de l’achat du matériel dans une boutique spécialisée en passant par l’arrivée dans les refuges bondés, la crainte de rencontrer des ours et la compagnie forcée d’autres randonneurs tout aussi timbrés, l’impression que l’on va s’écrouler sous le poids du sac et mourir sur le sentier, l’obsession pour la crème glacée et le hamburger (bah oui, les fruits secs et les céréales, on finit par s’en lasser :-). Bryson avait deux obsessions : rencontrer un ours et éviter le coin qui a servi de cadre au roman Délivrance.

Et peut-être qu’il pleut aussi, une pluie glaciale, oblique, impitoyable, avec des grondements de tonnerre et des éclairs qui dansent sur les hauteurs avoisinantes. Peut-être qu’une troupe de scouts déprimants vient de vous dépasser au petit trot. Peut-être que vous avez froid, faim, et que vous sentez si mauvais que vous vous incommodez vous-même. Peut-être que votre seule envie est de vous allonger par terre et de faire le lichen : pas vraiment mort, mais totalement inerte pendant très très longtemps.

La fatigue, la faim, le froid, le découragement sont souvent balayés par la beauté des paysages, par les surprises révélées par la nature, un sous-bois recouvert de neige qui scintille sous le soleil, le voisinage d’un animal sauvage venu s’abreuver à la même source que vous. Bryson est capable de descriptions pleines de poésie et de ferveur émerveillée.

J’ai progressé à travers la clairière où la couverture neigeuse était-légèrement-moins profonde. ..
Mais tout était d’une beauté éblouissante. Chaque arbre portait un épais manteau blanc,  chaque souche, chaque rocher arborait un coquet bonnet blanc cotonneux; et il y avait ce calme parfait, immense, que l’on ne trouve nulle part ailleurs que dans une forêt après une grosse chute de neige.

Et puis il y a aussi le mauvais côté des choses. Bryson constate avec regret que le sentier est parfois suraménagé (ses descriptions sont hallucinantes !), que ses compatriotes n’aiment la nature que vue de leurs voitures, que certaines villes battent tous les records en nombre d’hôtels et de centres commerciaux, et que la plupart des américains rencontrés sont de gros amateurs fast-food incapables de faire plus de 100m à pied sur un trottoir à tel point que certaines villes sont hostiles aux piétons, comme le découvrira Bryson, à ses dépens bien sûr.

L’auteur nous parle aussi d’écologie. on s’image la nature américaine encore sauvage et préservée, surtout le long d’un sentier de grande randonnée. Que nenni. Le constat est amer, la nature résiste comme elle peut sous les coups de boutoir du citoyen, de l’administration, du businessman. Et les plus stupides sont ceux chargés de veiller justement sur les parcs !

Ici dans les Smokies, pas très loin de l’endroit où Katz et moi progressions maintenant, le Park Service a décidé en 1957 de revendiquer l’Abrahams Creeks, un affluent de la Little Tennesse River, pour y développer la truite Arc-en-ciel.
Dans ce but, des biologistes ont balancé des quantités extravagantes d’un poison appelé roténone sur une trentaine de kilomètres de cours d’eau.
En quelques heures des dizaines de milliers de poissons morts flottaient à la surface comme autant de feuilles d’automne – quel moment de gloire cela a dû représenter pour un naturaliste!
Parmi les 31 espèces de poissons qui ont été anéantis ce jour la il y avait un poisson chat, noturus bayleyi que les scientifiques n’avaient jamais vu auparavant.
Ainsi les biologistes du Park Service ont accompli la prouesse originale de découvrir et d’éradiquer dans le même mouvement une nouvelle espèce de poisson.

Bref, un gros coup de coeur, un vrai bonheur de lecture qui m’a fait beaucoup rire, et que je recommande sans la moindre hésitation, que vous soyez randonneur ou non.

PS : Robert Redford en a réalisé l’adaptation ciné (pas de date de sortie en France pour le moment).