La Maladroite d'Alexandre Seurat [1% Rentrée littéraire]
Présente-t-on encore La Maladroite, aux éditions du Rouergue, qui a tant sensation sur la blogosphère ? Intriguée par ce que l'on présentait comme une chronique de l'innocence bafouée, séduite par les louanges glanées de blog en blog (je vous invite à jeter un œil au récapitulatif des billets qui lui sont déjà dédiés), je l'ai acheté lors de ma pause déjeuner lors de mon dernier jour de boulot - j'ai la chance de travailler à côté de deux librairies... alors quand c'est trop calme au comptoir de la bibliothèque, je file le midi alimenter mes lectures... J'ai donc lu l'ouvrage dans l'après-midi du vendredi, tout en devant faire bonne figure devant mes lecteurs. Un pur exercice de stoïcisme.
Qu'est-ce qu'il prend à la gorge, ce livre... La Maladroite donne la parole aux témoins d'un drame : la disparition de la petite Diana, dont les parents étaient suspectés de maltraitance. La grand-mère, la tante, l'institutrice, les directrices d'école... leurs paroles se succèdent pour reconstituer, par bribes, les souvenirs, les suspicions, les émotions liés à cette enfant couverte de bleus. Maladroite, Diana l'est socialement : elle se précipite vers les adultes pour les câliner, parce qu'ils représentent des parenthèses heureuses qu'ils semblent ouvrir dans sa vie. Mais maladroite, c'est aussi l'excuse, sans cesse ressassée pour expliquer toutes ses blessures. Plusieurs adultes ne sont pas dupes, d'autres laissent la part du doute, et le livre nous montre tout le faisceau de responsabilités qui ont mené à la disparition de Diana - je ne spoile pas, le livre commence par ça.
Dans cet ouvrage, deux voix se détachent du reste : celle de la première institutrice, qui ouvre le livre, et qui voit Diana dans ses cauchemars, avec sa grosse tête un peu étrange. Elle aurait aimé faire davantage, elle se sent responsable. La deuxième voix est celle du frère, qui a souvent servi d'alibi aux parents, et qui a partagé leur secret. Il était petit, il ne savait pas que ce n'était pas normal. Comment, après, comprendre, se pardonner ?
On l'aura compris : La Maladroite est un livre très émotionnel et, en tant que tel, il touche au but. Mais j'ai eu pour ma part beaucoup de mal avec cette histoire, car elle m'a rappelé des souvenirs : ma mère travaille dans le social, et j'ai parfois eu vent de ces terribles affaires. Le livre d'Alexandre Seurat est très fortement inspiré de l'affaire de la petite Marina qui a défrayé la chronique en 2009. A la suite de ma lecture, j'ai lu quelques articles de l'époque, et d'autres écrits lors du procès en 2012 : le ton, l'incompréhension face à la brutalité des sévices, certaines déclarations de la petite, tout y était. Et je me suis surprise, un peu honteuse, à me demander : quelle est la différence entre le pathos des articles de presse, et le drame à peine déguisé que nous a servi le livre ? Peut-être est-ce l'angle choisi : celui des témoins, devenus des sortes de victimes collatérales ou bourreaux subsidiaires - souvent un peu des deux à la fois.
Mais pour quel message ? Le livre, c'est le message, déclare l'auteur dans l'intéressante interview menée par LéaTouchBooks. Peut-être aurais-je préféré qu'il déclare qu'il n'y en avait pas. Qu'il dise qu'il voulait montrer les paradoxes dans lesquels nous sommes empêtrés, interroger la question de la barbarie ou celle de la responsabilité, ou que sais-je... Mais faut-il alors y chercher un message ? Alexandre Seurat ne sait-il pas qu'il faut être très prudent quand on déchaîne les émotions humaines ? Je ne sais pas... Je crois que j'aurais rêvé d'un livre encore plus nuancé, où il serait par exemple impossible d'accuser qui que ce soit (alors qu'ici le médecin scolaire ou l'assistante sociale font parfois preuve de mauvaise volonté ou d'indifférence). Ainsi La Maladroite serait peut-être moins proche de l'affaire dont il a été inspiré, mais il poserait de manière plus troublante encore l'énigme du mal et de l'opposition à la barbarie. J'ai aussi beaucoup aimé le portrait de la mère de Diana au début du livre. Dommage que par la suite, les parents disparaissent totalement derrière le voile de respectabilité qu'ils ont tendu entre eux et le monde.
Je crains que mes interrogations n'apparaissent comme du mauvais esprit. Si c'est le cas, c'est peut-être bien ce qui me gêne dans un tel livre : il serait attendu du lecteur qu'il soit choqué, compatisse, mais s'il ose remettre en question l'émotion qu'on lui sert, si brute, il ferait alors partie des suspects, peut-être des monstres. Une sorte de prise d'otage par l'émotion... C'est à ce genre de dérapages auxquels je pense, quand je dis plus haut qu'il s'agit d'être prudent lorsqu'on sollicite autant l'émotion humaine... Mais cela, c'est la réception de l'ouvrage qui nous le dira plutôt que l'ouvrage lui-même. Celui-ci aura en tout cas le mérite d'avoir sollicité bon nombre de questions et ouvert bien des pistes.
En conclusion, La Maladroite est un premier roman qui n'est pas vraiment un roman... mais n'en est pas moins prometteur. Alexandre Seurat a un style épuré et efficace, et il ne craint visiblement pas de s'aventurer sur des terrains dangereux. Je serai curieuse de découvrir le prochain sujet auquel il s'attaquera.
Défi premier roman.