Otages intimes de Jeanne Benameur

Par Krolfranca

Titre : Otages intimes

Auteur : Jeanne Benameur

Editeur : Actes sud

Date de parution : août 2015

192 pages

Prendre un livre de Jeanne Benameur c’est entrer dans l’intimité des êtres, au plus profond de leur corps, dans leur chair.

Cette fois, il s’agit d’un photographe de guerre, qui a été pris en otage, et qui vient d’être libéré. Comment vit-il son retour à la vie normale ?

Petite citation, extraite de la page 187 :

« C’est un livre aux phrases courtes, simples. Et Enzo se disait que cet homme travaillait les mots comme lui, le bois. Il devait les sentir d’abord, savoir bien d’où ils venaient, suivre leur trajet à l’intérieur de lui-même avant de les écrire sur le papier. »

Je pense que Jeanne Benameur fait exactement cela pour écrire. Chaque mot est pesé, chaque mot est à sa place, et les courtes phrases nous enveloppent comme si elles faisaient des kilomètres. De grandes couvertures chaudes, épaisses qui nous apportent chaleur et émotion. Phrases brèves mais qui font écho à tant de choses profondément enfouies qu’elles résonnent longtemps.

On lit trois lignes et les images surgissent immédiatement. La petite musique se fait entendre. On sait qu’on lit du Jeanne Benameur. On reconnaît la respiration de ses mots. Quelques lettres sur le papier et des grosses bouffées de vie.

Que dire de ce roman-là ? Qu’il est dans la veine de tous les autres, qu’il va loin, que ses mots nous pénètrent sans effort, que nos yeux sont souvent humides.

Des phrases nous touchent personnellement :

« Elle se sent comme ce banc. Sa couleur première, elle la perd lentement et aucune main ne viendra plus rien y changer. »

D’autres touchent notre conscience sociale, politique, humaniste :

« Non, il a compris que les combattants sont toujours des objets. Comme lui a été un objet d’échange. Ca maintenant, c’est indélébile. Tatoué à l’intérieur. La vie n’est sacrée pour personne dans les guerres. On parlera toujours du nombre des tués. Tant qu’on n’a pas vu leurs visages, on ne sait rien.

Et lui, il est là pour ça.

Il continuera à regarder les visages.

La vie ne vaut que comme ça. »

Et puis Jeanne Benameur c’est aussi l’insoutenable servi avec douceur :

« Elle aussi a attendu un enfant. Les coups reçus et le reste, tout le reste, tout ce qu’elle a raconté à l’avocate qui l’écoutait dans le bureau de cette ville inconnue, tout cela a eu raison de la vie qui essayait de venir en elle. Elle n’a plus de larmes. »

Jeanne Benameur c’est l’art de la suggestion et de l’introspection. Pas facile de suggérer l’intime ! Et pourtant, quelle réussite !