Lorsqu’elle rencontre L. à une soirée, Delphine de Vigan, ou plutôt son double littéraire, est complètement épuisée. Son précédent roman, Rien ne s’oppose à la nuit (2011) a rencontré un succès foudroyant . La proximité permanente avec les foules, l’exposition médiatique, les nombreux trajets, l’ont extrêmement fragilisée. De plus, depuis quelques temps, elle reçoit des lettres de menace qui l’accusent d’avoir sali sa famille en révélant ses secrets.
L. , de prime abord, semble être la femme que Delphine aurait toujours voulu être, élégante et belle à tout heure, semblant être si sûre d’elle que « rien dans son apparence, ni dans son comportement ne trahissait quelque inquiétude ou incertitude au sujet d’elle-même ». Une femme parfaite donc, aux yeux d’une maladroite comme l’écrivain. Mais le miroir va se briser lentement, laissant entrevoir un personnage trouble, colérique et manipulateur.
La rencontre avec L. tombe à point nommé pour Delphine. En effet, ses deux grands enfants quittent l’appartement familial pour faire leurs études. François Busnel, son compagnon, est fort occupé par son métier et s’envole souvent en reportage à l’étranger. Delphine est bien entourée mais une sorte de flottement s’installe doucement pendant lequel L. , l’air de rien, en profite pour se rapprocher, puis s’imposer jusqu’à tout tenter pour isoler complètement l’écrivain de son entourage.
L. est d’une écoute extraordinaire et d’une grande empathie. Peu à peu, elle devient indispensable, et ce, jusqu’à se permettre d’intervenir dans le processus de création . Car cette femme étrange est persuadée de pouvoir aider Delphine à écrire ce fameux livre qu’elle porte en elle.
L. pense que la seule voie possible pour Delphine est d’écrire sur son vécu car, affirme-t-elle, il ne reste rien des personnages de fiction, s’ils n’ont aucun lien avec le réel.
J’ai lu ce livre comme on lit un polar. D’ailleurs, la référence est claire, les citations de Stephen King en exergue des chapitres en attestent. Il y a une sorte d’oppression dans ce roman. C’est à la fois une enquête sur l’art de l’écriture mais aussi l’histoire d’une emprise. Cette fameuse L. existe t-elle vraiment ou n’est-elle que le double maléfique et destructeur de l’auteur ? Ce double qui juge sans cesse et qui sabote l’ envie d’écrire? D’ailleurs, son compagnon, qui s’inquiète pour elle, ne se demande-t-il pas « s’il n’y a pas quelqu’un qui prend possession d’elle »?
On se pose énormément de questions en lisant ce roman car il est très difficile de démêler le vrai du faux. Avec un énorme talent, Delphine de Vigan se joue sans cesse de nous pour mieux nous inciter à la réflexion.
Un roman fort et troublant qui ne vous lâche pas facilement après l’avoir refermé !
« Peut-être est-ce cela d’ailleurs une rencontre, qu’elle soit amoureuse ou amicale, deux démences qui se reconnaissent et se captivent » « L. m’était devenue nécessaire, indispensable. Elle était là. Et peut-être avais-je besoin de cela : que quelqu’un s’intéresse à moi de manière exclusive. N’abritons-nous pas tous ce désir fou ? « Toute écriture de soi est un roman »Delphine de Vigan : (biographie présentée par JCLattès)
Delphine de Vigan est notamment l’auteur de No et moi, Prix des Libraires 2008, adapté au cinéma par Zabou Breitman, des Heures souterraines (2009), adapté pour Arte par Philippe Harel, et de Rien ne s’oppose à la nuit (2011), Prix Fnac, Grand prix des lectrices de Elle et Prix Renaudot des lycéens. Ses livres sont traduits dans le monde entier.Classé dans:RENTRÉE LITTÉRAIRE 2015, roman français