Les paroles s’envolent, les écrits tagués sur ton mur et les photos de ta bouille de face ou de profil restent sur les serveurs de Facebook. Et même si tu as grogné, par statut interposé, que t’étais pas du tout, mais alors pas du tout content, Facebook en fera bien ce qu’il voudra – même s’il s’en fout plus qu’il n’en veut, en fait. Dire qu’il y a des gens qui persistent à chercher un sens dans cette forêt bordée d’incohérences, qu’ils en sont eux-mêmes des paradoxes vivants. Ils s’en prennent dès le petit matin à un fonctionnaire qui pose trop de questions qui ne le regardent pas, et après avoir pointé au boulot ils se calent sur leur fauteuil en cuir et remplissent docilement leur fiche sur le dernier site de rencontres en vogue. Ils font les gros yeux, plissent le front et montrent les dents parce que leur voisine de bureau a répété au reste de l’étage leur week-end pourri, et à la pause de midi, ils parlent fort au téléphone et exhibent sur la toile leur grosse colère et leurs derniers selfies. Ils pestent chaque soir en rentrant chez eux contre les caméras qui se multiplient dans les rues, et s’adonnent à une sextape la nuit tombée (alors que tout le monde sait comment ça finit au petit matin). Ils postent un statut pour protéger leur intimité, dont ils font quand même une piqûre de rappel en fin d’année à coup de « j’ai passé une super année, merci d’y avoir contribué! ».
Le problème, c’est qu’on pense que ce qui nous touche de près et surtout de loin nous appartient ; et que ne pas pouvoir le maîtriser ça nous rend fous. On est des accrocs aux titres de propriété et aux pronoms possessifs, et tout ce qui est à moi, si tu poses ne serait-ce que les yeux dessus, j’te pète les dents (sauf si tu sors ta carte bleue visa). On a été nourri aux publicités qui duraient plus longtemps que les dessins animés le dimanche matin, si bien qu’on a fini par se prendre pour des commerciaux zélés qui se foutent bien de savoir si « je » est un autre, tant qu’il se vend bien ; même sur le marché des pièces détachées. Dire qu’au Moyen-âge les hommes qu’on achetait sur le marché rêvaient de bomber sur nos murs le nom de cette jolie liberté qu’ils n’avaient jamais vue que sur la pointe des pieds. Dire qu’aujourd’hui on se colle des chaînes aux pieds, du poids dans le sac à dos, pour ne pas la croiser quand elle nous fait déjà du pied sous la table, qu’on se pavane le long des trottoirs virtuels du monde tard le soir pour réussir à monnayer des miettes de notre solitude ; juste parce qu’on n’a jamais appris à nous aimer tout seuls. Alors on cherche, dans les yeux de nos voisins de palier et les likes de pouces qu’on n’a jamais effleurés, un morceau de « je » dont on pourrait être fiers face au miroir de la salle de bain et qu’on pourrait assumer dans la rue piétonne le samedi après-midi.
Le monde est un gros LOL, quand on le regarde trotter de l’autre côté de l’écran. Et on rirait volontiers à gorge déployée si on était autre chose que ces smileys qui ne savent jamais que sourire bêtement sans jamais réussir à desserrer les dents. Dire qu’il y a des meufs que ça fait kiffer de pointer du doigt tous les faux pas du monde et la paille de votre œil qui ne vous avait jamais gênée jusque-là, juste parce que ça leur évite de se prendre leurs poutres et de remplir le constat qui traîne depuis des plombes dans la boîte à gants. Mais si vous voulez mon avis, ces meufs-là ne sont rien que des grosses menteuses qui écrivent comme elles ne sont pas foutues de vivre. Elles font de longs plaidoyers pour défendre la cause de vagabonds dont elles n’ont jamais osé croiser le regard la nuit. Elles enfilent des perles autour de la corde de pendus qu’elles n’ont jamais su consoler quand ils étaient encore en vie. Elles parlent d’allégories comme elles en sont revenues depuis longtemps, de douleur comme elles l’ont laissée dans la forêt l’hiver dernier, d’amour comme elles quittent leur mec sur le canapé du salon le temps de noircir une page de mots en vrac pour ne rien dire de mieux. Elles crient sur du papier qu’elles jettent avec leurs bouteilles de whisky vides à la mer, comme elles ne disent jamais rien derrière leur sourire poli quand elles te croisent dans la vie.
Notice biographique
Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture. C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle. Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis, au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/