ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE DEUXIEME TOME D'UNE TRILOGIE.
"Les Gaugau, les Gaulois !!", s'exclameraient de fameux pirates de bande-dessinée à ma place... Oui, on va retourner en Gaule, six siècles avant notre ère. Et, plus précisément, nous allons découvrir la suite de la vie de Bellovèse, jeune prince fougueux que nous avons pu découvrir dans "Même pas mort", premier volet de la trilogie de Jean-Philippe Jaworski "Les Rois du Monde" (en grand format aux Moutons Eléectriques). Contrairement au premier tome, qui évoquait toute l'enfance de Bellovèse jusqu'à ce qu'on lui coupe les cheveux, cérémonie marquant son entrée dans l'âge adulte, ce second volet se concentre sur quelques jours très importants de sa vie et de celle de sa famille. Un épisode ramassé, dense, mais un véritable concentré de violence car on s'y étripe allègrement la plupart du temps ! Et l'on retrouve la patte Jaworski, que ce soit dans le fond ou dans la forme, pour une lecture dont on sort étourdi, épuisé et content de ne pas avoir pris quelques horions perdus au passage...
Neuf années ont passé depuis la mort de Sacrovèse, le père de Bellovèse et de Ségovèse. Neuf années au cours desquelles la famille de Bellovèse s'est scindée : les deux jeunes guerriers ont suivi leur oncle, Ambigat, le haut roi, pourtant responsable de la mort de Sacrovèse ; Danissa, leur mère, elle, voue une haine farouche à cet homme et n'a plus vu ses deux fils depuis des années.
Il faut dire que nombreux sont ceux qui comprennent difficilement le choix de Bellovese, particulièrement. Pourquoi s'allier avec celui qui a tué son père ? L'époque est farouche, ce genre de conflit se règle plutôt dans le sang, habituellement. Mais Bellovèse, suivi par Ségovèse, ont choisi de rester fidèles au haut roi et de l'accompagner dans ses campagnes.
Les deux frères ont même fait leur trou au sein de la cour des Bituriges, au Gué d'Avara, et sont membres à part entières des héros qui l'entourent et combattent à ses côtés. Ils sont d'ailleurs auprès d'Ambigat alors que celui-ci se dirige vers Autricon, la capitale des Carnutes, pour participer aux célébrations religieuses qui vont marquer l'entrée dans la période estivale.
Mais, Ambigat, roi vieillissant, est en position délicate. Depuis des mois, les calamités s'abattent sur le royaume dont il est le souverain : intempéries à répétition qui ont nettement amputé les récoltes, des épidémies qui ont frappé bétails et populations, le pillage des troupeaux survivants... Jusqu'à la mort de ses enfants, qui laissent penser que le haut roi lui-même est dans le collimateur des dieux.
D'ailleurs, le temps, en cette veille d'été, est exécrable, il pleut, encore et encore. Et la grogne monte parmi les vassaux du haut roi, au point, peut-être de remettre en cause son rang et son pouvoir. Lors de ces cérémonies, dans une ville où, naguère, de rudes combats eurent lieu, lors de la guerre des Sangliers, Ambigat va jouer gros.
A ses côtés, ses héros sont méfiants. Ils ont conscience que cette réunion de guerrier ne sera pas une sinécure. Mais, Bellovèse le premier, ignore encore à quel point ces journées vont marquer son existence. Car lui qui a su refouler sa colère et sa rancoeur, sa soif de vengeance vis-à-vis de l'homme qui a fait tuer son père, il va devoir cette fois choisir clairement un camp.
Les célébrations à Autricon vont tourner à la fête sanglante, les clans vont se déclarer ouvertement et Ambigat va pouvoir mesurer l'ampleur de son impopularité. Le vieux monarque va devoir défendre son trône dans des journées décisives. Mais aux côtés de qui choisira de se battre Bellovèse ? Car, indépendamment de sa fidélité et de ses propres aspirations, il va se retrouver face à d'autres enjeux.
Des enjeux familiaux extrêmement forts. Déjà brouillé avec sa mère, le guerrier pourrait bien voir ses relations avec le père de son épouse, Comnertos, un Sénon, être remise en cause. Pire, encore, sans doute, pour le puissant guerrier, son propre frère, Ségovèse, avec qui il a tout connu, pourrait lui aussi se détourner...
Dans cette atmosphère tendue et électrique, les alliances font se faire et se défaire, au-delà des appartenances tribales, des liens du sang, au gré des ambitions des uns et des autres. Pas de quartier, c'est au combat, et alors que tous les coups sont permis ou presque, qu'on va régler ses comptes et essayer de se concilier la faveur des dieux...
Comme lors du premier tome, c'est Bellovèse qui est le narrateur de ce second volet. Il poursuit son récit au marin ionien auquel il s'adressait déjà dans "Même pas mort". On ne sait toujours pas pourquoi il est en cette compagnie, ce sera, on peut l'imaginer, un des axes du tome suivant, mais il se dévoile dans un épisode qui s'avérera douloureux, à plus d'un titre.
"Chasse royale"... Le titre de ce deuxième tome est à prendre à double sens. En effet, le roman s'ouvre sur une formidable scène de chasse au cerf, dans les forêts carnutes, histoire de donner le ton et le rythme de ce que sera tout le livre. On est déjà à bout de souffle, couvert de boue, en rogne, on se chambre, on se cherche, la tension grimpe...
Mais, la cible de cette partie de chasse improvisée est une bête si majestueuse, un impressionnant dix-cors, qu'elle ne peut être chassée que par le haut-roi lui-même. Une chasse royale, donc. Sans oublier, mais, là, je m'avance, avec la symbolique très puissante que véhicule cet animal : Cerumnos, qui incarne la puissance masculine, est une divinité importante du panthéon gaulois et est souvent représenté par un cerf...
Or, "Chasse royale" est un livre qui fait exploser toutes les jauges de testostérone. Du mâle, du vrai, du costaud, du bagarreur, du courageux, il y en a au centimètre carré. Des bêtes à concours, pourrait-on dire, du genre qu'on a pas trop envie de retrouver en face de soi dans une bagarre, vous voyez... Et tout le livre est consacré à une violente guerre de clans pour le trône de haut-roi des Bituriges.
En somme, une autre chasse royale, organisée par les ennemis d'Ambigat, où, cette fois, c'est lui qui sera la bête traquée... "Chasse royale" est un roman au rythme d'enfer, se déroulant sur une période de quelques jours, quasiment sans temps mort, avec une hallucinante succession de combats tous plus violents et sanglants les uns que les autres.
Âmes fragiles, gare à vous, on ne fait pas de quartier, dans ce roman, on s'écharpe à qui mieux-mieux, on s'étripe les yeux dans les yeux entre vieilles connaissances, on se fait payer comptant les rivalités anciennes, ou roule des mécaniques avant de se rentrer dans le lard... Une sauvagerie qui, pourtant, n'efface pas tout sentiment.
Bellovèse, dans ce contexte, doit donc choisir et agir en conséquence. Doit-il faire payer la note à Ambigat pour la mort de Sacrovèse, en y ajoutant quelques intérêts pour les années passées depuis ? Ou bien, doit-il encore une fois laisser cette histoire de côté pour faire front, aux côtés du haut-roi, face à une rébellion qui ne donne pas forcément tous les gages de confiance ?
Et si, après tout, tout cela n'avait aucune importance pour un garçon qui ne se sent lié à rien, ni personne ? L'impression qu'on a, renforcée par la dernière partie du livre, est que Bellovèse est d'abord un guerrier solitaire qui a choisi de marcher d'abord pour lui-même. Attention, cela ne fait pas de lui un opportuniste ou un traître, non.
Mais, simplement, un homme qui, lorsqu'il doit faire un choix, ne le fait pas par rapport à tel système d'alliance, à telle hiérarchie. Non, c'est un affectif, vraiment, comme on le voit, dans sa relation avec son mentor, Sumarios, tout au long de ce récit, ou avec son frère. Egoïste, oui, certainement, mais comme le sont ceux qui sont persuadés d'avoir un destin et d'agir pour l'accomplir.
Bellovèse a un destin, lequel, lui-même l'ignore encore. Mais, il attend son heure, sans faire de vague, agissant selon son instinct et choisissant ses engagements avec soin. Lors des événements d'Autricon, un autre élément va toutefois entrer en compte dans ses actes : une impressionnante colère, qui menace de le submerger. La colère, et la douleur aussi.
Une douleur qu'il n'a sans doute pas ressentie à la mort de son père, mais qui, cette fois, va rejaillir telle un geyser. "La douleur, c'est de la force", disait une des leçons de Sumarios, bien retenue par Bellovèse, qui va s'ingénier à en faire une démonstration éclatante. Mais à quel prix ? Peut-être celui de se retrouver, à un moment ou à un autre seul au milieu de tous, entre le marteau et l'enclume...
N'oublions pas que nous sommes dans un roman de fantasy, Jean-Philippe Jaworski y tient, jouant sur des dimensions historiques, mais aussi sur les légendes qui entourent le personnage de Bellovèse. La magie, les croyances religieuses tiennent une grande place dans ce roman. Le rôle des druides, qui n'est pas juste religieux, mais aussi éminemment politique, est l'une des clés du récit.
Eh oui, on a beau être investi d'un pouvoir divin, on n'en est pas moins un humain ambitieux que le pouvoir terrestre attire comme l'aimant, la limaille de fer... Il n'y a pas que les têtes couronnées que certains verraient volontiers valser, lors de cette fête estivale. Le pouvoir que représente le rôle de druide principal est sans doute aussi important que celui de haut-roi.
Mais, la dimension fantasy ne se trouve pas que dans cette lutte d'influence. On la retrouve dans la scène de chasse initiale, déjà évoquée, qui n'est pas sans rappeler une autre scène forestière, présente dans le premier tome. Cette longue scène est empreinte d'une ambiance tout à fait particulière, à la fois sombre, menaçante et pourtant, presque onirique. Comme si cette forêt n'appartenait pas vraiment à notre monde.
Cette forêt des Carnutes, dont le nom évoque un univers aussi particulier que celui de Brocéliande, par exemple, est, avec Autricon, le cadre principal de "Chasse Royale". Et il s'y passe effectivement de drôles de choses. Plus exactement, on y fait d'étranges rencontres... Bellovèse va y trouver un terrain de jeu à sa dimension et la dernière partie du roman est vraiment impressionnante.
Bellovèse y apparaît alors comme un héros hors norme, un guerrier hors pair, mais ça, on le savait déjà. Il ajoute à son arc des cordes qui n'ont rien de qualités communes chez ses camarades ou adversaires. Alors, qui est vraiment Bellovèse ? Quel pouvoir incarne-t-il et à quel but va-t-il l'utiliser ? Il est encore tôt pour le dire.
D'autant que ce deuxième tome s'arrête à un moment très particulier. Il laisse le lecteur, déjà éprouvé par tout ce qu'il vient de traverser aux côtés de ces hommes, lessivés, crottés, blessés, ensanglantés, les nerfs, certainement, en piètre état après avoir côtoyé d'aussi près et aussi longtemps le danger et la mort, dans une incertitude intolérable ! Que va-t-il advenir de Bellovèse ? Patience, il faudra...
Un dernier mot, avant de conclure. On retrouve dans "Chasse Royale" l'une des marques de fabrique du style Jaworski, ce décalage entre la langue si puissante, riche et évocatrice de la narration et le langage des personnages, rude, pour ne pas dire grossier. Ce sont des guerriers, qu'on a devant nous, et ils s'expriment comme tels. Oreilles chastes, soyez prévenues !
Certes, on peut trouver que ce décalage flirte avec l'anachronisme, tant ces échanges semblent contemporains. Mais, après tout, même à huit siècles de distance, on imagine pas ces guerriers hirsutes se faire des ronds-de-jambe et des politesses. Alors, cela fonctionne et ce langage de charretiers vient renforcer encore la violence de l'action, la tension qui préside au récit et le côté si viril de cet épisode.
Ce deuxième tome est un jalon important dans le destin de Bellovèse. Sans doute ne le mesure-t-on pas encore complètement, faute d'appréhender l'ensemble de son histoire. Lorsque l'on comprendra tout, il me paraît évident que ces quelques jours, autour d'Autricon, prendront une dimension tout à fait particulière dans l'accomplissement de cette destinée extraordinaire.
Mais, cela, ce sera pour le troisième tome, dans lequel bien des réponses devraient nous apparaître. A commencer par le sort qui attend Bellovèse alors que nous le laissons pour quelques mois, mais aussi, concernant la situation politique de cette Gaule celtique, sur le point d'imploser... Et, enfin, on saura comment Bellovèse a pu ainsi se confier à un marin ionien et où il se rend...