Chronique « Bagdad Inc. »
Scénario de Stephen Desberg, dessin de Thomas Legrain, couleurs de Benbk,
Public conseillé : Ado-adulte
Style : Polar
Paru chez Le Lombard, le 11 septembre 2015, 80 pages couleurs, 14.99 euros,
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L’histoire
Charlene van Evera n’a pas été épargnée par la vie. Sa mère, engagée dans l’armée pour payer ses études, ne revint jamais complètement du Koweit et se suicida deux semaines après. Charlene entra, elle aussi, dans l’armée pour y poursuivre de brillantes études juridiques. Après le trauma du 11 septembre, la jeune femme s’installa dans ses attributions de juge avocate et gagna affaires et respects.
Avec un amoureux sérieux, sa vie semblait prendre une meilleure tournure, quand un vol banal lui enleva l’être aimé…
Le président Georges W. Bush fait une allocution sur le porte-avion “USS Abraham Lincoln”.Il affirme haut et fort que “La mission a été accomplie !”
Pendant ce temps-là, à Bagdad, un groupe de militaires investit un “refuge de terroristes”. Sur place, ils découvrent un cadavre, un membre arraché, le corps gravé d’obscénités anti-islamiques.
Si personne ne sait exactement ce que le américains sont venus faire en Irak, Charlene, elle, sait pourquoi on l’a envoyé : enquêter sur ce meurtre.
Ce que j’en pense
Stephen Desberg est un des vieux routards du polar en BD. Navigant entre séries contemporaines et historiques (IR$, Sherman, Rafales, Miss Octobre, Le dernier livre de la jungle, Cassio, Golden dogs…), il impose un style réaliste et documenté qui part d’un point de vue réel. Pour autant, ses séries à succès sont souvent distrayantes et s’étirent facilement sur de nombreux épisodes.
Avec “Bagdad Inc.”, il semble prendre son propre contre-pied. Histoire unique, récit dur, sombre, la découverte de cet « autre Desberg” justifie à lui seul la lecture de l’album.
Sur un ton beaucoup plus personnel, “Bagdad Inc.” est une plongée dans l’économie de la guerre en Irak. En colère, Stephen balance tout, et sert son discours par des arguments de poids.
Visiblement anti-militariste et anti-impérialisme américain, il brosse le portrait de Charlene van Evera. Cette fille de militaire (par sa mère) et militaire elle même est une jeune femme maltraitée par la vie et complètement désillusionnée. Belle, intelligente, brillante, la demoiselle se retrouve dans une enquête sous haute tension. A elle de trouver le meurtrier en série parmi les milliers de miliciens américains…
Entre enquête poisseuse et découverte des habitudes peu ragoûtantes des militaires en pays occupés, Stephen en rajoute une couche sur l’administration Bush. Qu’est ce qui pousse les américains dans cette guerre ? Et qu’est-ce que les miliciens viennent y faire individuellement ?
Même sil ne répond pas à ces questions, il lève le voile sur des agissements politiques bien tordus et des habitudes humaines encore pires, nous rappelant que nous ne sommes que des animaux… avides de pouvoirs et de violence.
Coté dessin, Stephen a embarqué dans l’aventure Thomas Legrain. Ce dessinateur se pose en “disciple de l’école Van Hamme” et ça se voit. Son goût pour le réalisme et les décors méticuleux est particulièrement mis à profit dans ce thriller militaire.
Après “Mortelle Riviera”, “L’agence” et la série “Sisco”, ce jeune dessinateur est comme un poisson dans l’eau. Grandes cases panoramiques, décors soignées et personnages “typés”, Thomas s’en sort très bien dans ce genre très codifié. Personnages graphiquement intéressants, lisibilité maximale, le résultat est honnête et réussi.