Lettre à un paysan… Fabrice Nicolino

CVT_Lettre-a-un-paysan-sur-le-vaste-merdier-quest-dev_4842Suite de mes lectures sur l’agriculture industrielle. Le nouvel essai de Fabrice Nicolino se présente sous la forme d’une lettre écrite à un paysan fictif, appelé Raymond.

Nicolino rappelle brièvement les débuts de l’agriculture industrielle, les premiers tracteurs, les pesticides, le rôle pas innocent de l’INRA (je ne me remets pas du coup des vaches à hublot !!), le pouvoir grandissant de la FNSEA, et puis surtout, les technocrates se mettent à décider, à calculer et contrôler le monde paysan. Ce dernier fait figure de dinosaure face à l’agriculture américaine, qui sert de modèle. Progrès, rentabilité deviennent une obsession au détriment des bêtes et des gens. Remembrement, attaques répétés contre le bocage, premiers élevages intensifs. Et le désastre perdure jusqu’à aujourd’hui. Les grandes multinationales, le pouvoir politique et la FNSEA ont achevé leur mission : la campagne s’est vidée, les petits paysans sont devenus des esclaves, les végétaux sont utilisés à d’autres fins que de nourrir (les agrocarburants, entre autres) et partout dans le monde, les terres agricoles sont convoitées, achetées, transformées dans les pays les plus pauvres.

L’agriculture s’est déshumanisée, les bêtes sont devenus des outils-machines, et tout cela a pu se produire car une immense majorité d’agriculteurs a accepté ce système, et souhaite le maintenir tel quel. Seuls les paysans qui se sont convertis au bio s’en sortent. Humainement et financièrement. Et à mes yeux, seuls ceux-là méritent d’être aidés.

L’essai de Nicolino a le mérite de rappeler l’essentiel et d’inciter à la réflexion. Si tous les gens réduisaient leur consommation de viande et faisaient l’effort d’acheter local et bio, l’agriculture industrielle serait obligée de plier, et notre vie en serait transformée…

Le billet de l’écrivain-naturaliste Yves Paccalet

Violences paysannes : ça suffit !

Posted on by Yves Paccalet

2 septembre 2015

Il fut un temps où « agriculture » et « harmonie » étaient synonymes. Hésiode rédigeait Les Travaux et les jours, Virgile composait Les Bucoliques, Bernardin de Saint-Pierre ou Jean-Jacques Rousseau célébraient l’union de la nature et du laboureur. On appréciait la douceur des campagnes et la paix des hameaux. On entonnait « Il pleut, bergère ! » ou « La Chanson des blés d’or »…

Je sais, bien sûr, que la réalité quotidienne était différente, et la vie au village pénible et incertaine : je l’ai connue dans mon enfance. J’ai labouré à la sueur de mon front et mangé mon pain sec. Mais un certain bonheur d’exister s’était emparé des esprits. La civilisation rurale (une année bonne et l’autre non) avait trouvé son point d’équilibre, depuis que les hommes avaient inventé l’agriculture et l’élevage, il y a 10 000 ans, lors de la révolution néolithique.

C’est fini. Cette civilisation s’effondre… Happés par le tourbillon de l’agriculture industrielle et de l’accroissement perpétuel des rendements, les paysans ne maîtrisent plus leur outil de travail. Ils courent derrière une impossible utopie productiviste, devenus les serfs taillables et corvéables de l’agroalimentaire et de la grande distribution. La douceur millénaire des « fils de la terre » a fait place à la colère éruptive de ceux qui n’ont plus que le statut d’« exploitants agricoles ». La violence gagne les prés, les champs, les routes et les villes. Nos provinces ne semblent plus que brutalités, tracteurs dans les rues, lisier devant les préfectures, destructions de centres d’impôts, saccages de grands magasins ou de fast-foods, menaces et voies de fait.

À l’heure où j’écris ce texte, les « paysans en colère » convergent vers Paris avec leurs bétaillères et leurs tracteurs (on parle de plus de mille). Ils promettent de « tout ravager dans la capitale » si on ne les écoute pas. Qui, « on » ? Nous… Nous tous ! L’État, les régions, les départements, les communes, nos impôts, notre porte-monnaie…

Existe-t-il encore des paysans calmes ? Maîtres de leurs nerfs ? Prêts à discuter plutôt qu’à faire peur et à détruire ? Je sais que oui. Mais ces agriculteurs-là sont inaudibles, perdus dans le vacarme et les vociférations des enragés… J’ignore quels sont les plans des manifestants pour demain, mais je les soupçonne. Pour qu’on les entende enfin (autrement dit, qu’on leur attribue davantage de subventions, lesquelles iront droit dans la poche des plus gros), ils vont bloquer le périphérique, menacer le ministère de l’Agriculture, saccager celui de l’Écologie (ils l’ont déjà fait sous Dominique Voynet : aucun d’eux n’a été inquiété). Ils vont brûler des pneus (merci, la pollution aux particules fines ; bien la peine qu’on veuille réduire le diesel !). Ils vont hurler leur haine des écolos, qui les empêchent de polluer à leur guise et réduisent leur chiffre d’affaires : qu’importent la mort des rivières, les pesticides dans l’assiette, les marées vertes sur les côtes, les nitrates dans l’eau du robinet, les gaz à effet de serre, la stérilisation des sols, le pompage effréné des nappes phréatiques et tant d’autres catastrophes environnementales, pourvu qu’on ne gêne pas la production des denrées et qu’on n’affecte pas les récoltes !

Pauvres campagnes, métamorphosées en usines à fabriquer du blé, de la viande ou d’autres matières premières alimentaires ou industrielles ! Malheureuses terres agricoles, défoncées à grands coups d’engins monstrueux et avides de pétrole ! Tristes champs sans bornes, ni haies, ni insectes, ni oiseaux, et qui absorbent à eux seuls 70 % des eaux douces disponibles…

À l’heure où j’écris ces lignes, non seulement les paysans de Bretagne et d’ailleurs marchent sur Paris, mais les éleveurs de moutons de Savoie séquestrent (à Bramans) trois personnalités du parc national de la Vanoise : son président, Guy Chaumereuil ; son directeur, Emmanuel Michau ; et l’un de ses gardes, Franck Parchou. Les preneurs d’otages se disent excédés par les attaques de loups contre leurs troupeaux. Ils exigent que le préfet de la Savoie décide que soient sur-le-champ abattus cinq de ces prédateurs, s’il le faut en allant les traquer jusqu’au cœur du parc national. Ces éleveurs « en colère » violent trois fois la loi : en séquestrant des personnes ; en réclamant qu’on « prélève » (une litote pour dire « massacre ») des sujets d’une espèce protégée (les loups le sont, notamment par la Convention européenne de Berne, dont la France est signataire) ; et en demandant qu’on aille fusiller ces animaux à l’intérieur d’un sanctuaire de la nature, créé il y a plus d’un demi-siècle par et pour l’ensemble de la nation française.

Imposer par la force son point de vue et ses intérêts corporatistes aux dépens de l’intérêt général :  nous en sommes là. Nombre de paysans pensent qu’un bon coup de poing vaut mieux qu’un long discours. Je le sais pour avoir failli me faire casser la figure il y a deux ans, à Lanslebourg, près de Bramans, lorsque j’y avais présenté ma « Pétition pour la Vanoise ». (Je rappelle qu’on peut encore la signer.)

Tuer, détruire, séquestrer, massacrer, saccager : on jurerait que les agriculteurs n’ont plus que ces mots à la bouche. Mais de tels dénis de démocratie ne sont plus supportables. Pour paraphraser Nicolas Sarkozy quand il parlait d’environnement, je dirais que les violences paysannes, ça commence à bien faire ! Les agriculteurs et les éleveurs ne sont pas les seuls à souffrir des monstrueux excès du libéralisme dans la sphère de l’économie et de l’égoïsme dans la sphère du cœur. Je rappelle surtout qu’ils ont d’autres solutions que de casser des vitrines à Paris ou la gueule des responsables de parcs naturels. Ces solutions sont économiquement et écologiquement adaptées, et immédiatement praticables. Elles ont un nom : le « bio ». L’agriculture et l’élevage « bios », sains, beaux, bons et durables…

Je ne perds pas espoir. Ces dernières années, le « bio » a fait un bond en France, en Europe et dans le monde. Je rêve qu’un jour prochain, grâce aux progrès d’une pratique agricole apaisée, rentable et apte à faire bien vivre des paysans débarrassés de toute pulsion de violence, de prise d’otages ou de carnage parmi les loups, un nouveau Virgile puisse composer Les Bucoliques du XXIe siècle.