Souvenirs de lecture 23 : Carole Declercq
Nous avons tous de ces lectures qui nous ont profondément touchés, qui sont comme des madeleines de Proust : on se souvient d'où on était quand on les lisait, quel temps il faisait. Il m'a semblé intéressant de savoir quelles lectures avaient marqué les auteurs que nous lisons et en quoi elles avaient influencé leur désir d'écrire. Aujourd'hui c'est Carole Declercq qui me fait l'honneur de répondre à mes questions. Je la remercie pour son temps précieux, sa gentillesse et sa disponibilité.
LLH : Quel livre lu dans votre adolescence vous a le plus touché et pourquoi ?
Le premier, très classique, Boule de Suif, de Maupasssant. Je suis depuis restée amoureuse de son écriture précise, concise, incisive, pleine d'ironie rentrée. Évidemment mon âme pleine d'empathie a pleuré avec Elisabeth Rousset quand, à la fin de la nouvelle les bien pensants lui tournent le dos, après le sacrifice de son corps, et mastiquent, en faisant craquer les os, leur volaille. Quelle cruauté ! Quelle noirceur ! Depuis Maupassant est devenu un auteur que je relis très régulièrement. C'est un besoin. Ainsi que son maître à penser, Flaubert. En règle générale, j'aime les auteurs dits classiques parce qu'ils écrivent admirablement, ils sont pour moi des étoiles lointaines, des modèles absolus. Je n'aime pas ce que devient la littérature aujourd'hui. Elle ne respecte absolument pas la beauté et les possibilités de notre langue. Je suis pessimiste. Les grands écrivains se sont éteints avec le XXème siècle. Je tombe parfois sur des textes intéressants mais j'ai rarement envie d'aller plus loin.
LLH : En quoi ce livre a-t-il eu une influence sur votre désir d'écrire ?
CD : Je ne peux pas dire que Maupassant, Flaubert ou Merle aient eu une quelconque influence sur mon désir d'écriture. Ils restent des modèles inabordables même si je me sens plus proche de Merle par la proximité de l'époque.
Plus simplement, j'ai toujours aimé écrire. On ne s'explique pourquoi on se saisit un jour d'un stylo, d'une feuille et hop ! C'est parti. L'écriture est un besoin et il est très frustrant car la réalité se rappelle constamment à vous.
Je me revois, relativement jeune (mes années collège et lycée), noircissant des cahiers de tout et n'importe quoi, de ce que je ne trouvais pas dans la réalité. Je me souviens avoir reconstitué une famille virtuelle sur le modèle de celle de l'Esprit de famille, le roman-récit fleuve de Janine Boissard. Sans doute était-ce lié au fait que je suis fille unique ! Ou encore une espèce de roman picaresque, fourre-tout dont l'action se passait au XVIIIème siècle, qui est l'une de mes périodes historiques favorites avec le XXème siècle. Ces écrits naïfs ont disparu.
Je suis revenue vers l'écriture en 2011, par la littérature jeunesse. Mon fils, en 6ème, avait décrété qu'il voulait écrire un petit livre avec les petits personnages favoris de ses jeux. Pour l'encourager, je l'ai imité. J'ai continué. Lui a arrêté (mais l'orthographe est impeccable maintenant !! Je conseille fortement ce genre d'exercices aux mamans qui ont un peu de temps : l'écriture à quatre mains). Ma fille a repris le flambeau et écrit à son tour, avec je trouve beaucoup de sérieux et de concentration pour une demoiselle de douze ans. Il n'y a bien que mon mari et mes chats qui n'écrivent pas (quoique mes chats, à la faveur de la nuit... C'est tellement intelligent, un chat !!)
LLH : Quelles sont vos dernières lectures coups de coeur ?
CD : Je continue d'explorer la littérature anglo-saxonne. Forster est définitivement mon écrivain favori. Côté USA, claque énorme avec A l'Est d'Eden (je n'avais lu que les Raisins de la colère avec ses merveilleux chapitres intermédiaires qui décrivent le lynchage programmé des petits exploitants agricoles des années trente dans un style charnel, ancré dans la terre). J'ai adoré le personnage d'Adam, notamment : j'aime quand les personnages masculins ont beaucoup de fragilité, de sensibilité. Dans un pays qui s'est construit (et continue de se construire) sur le mode de la violence, je trouve cela d'une modernité absolue. Je viens de terminer Tendre est la nuit, de Fitzgerald. Idem : un merveilleux héros, sensible, qui se sacrifie pour sa femme malade, folle, s'oublie lui-même et passe à côté de ce qui aurait pu le rendre heureux. Le jumeau de Gatsby.
Biographie
aux éditions Terra Nova. C'est très exigeant en termes de préparation mais j'ai gardé mes réflexes scolaires et je suis une personne calme et studieuse. Je suis heureuse d'avoir renoué avec l'écriture et j'espère pouvoir trouver le temps de continuer à écrire.
Encore un grand merci à Carole Declercq pour sa gentillesse et sa disponbilité. Le titre de l'excellent roman de Carole apparaît en couleur et dispose d'un lien intégré vous permettant d'accéder à ma chronique d'un simple clic. Un conseil : foncez !!!!