A peine sorti, notre roman du jour fait déjà beaucoup parler. Logique, voilà trois longues années qu'on attendait de pouvoir retrouver une histoire signée Jean-Christophe Grangé. Enfin, les fans, et les moins fans, aussi, semble-t-il, peuvent se lancer dans le premier volet de ce qui sera un diptyque, "Lontano", paru en ce début septembre, aux éditions Albin Michel. Un roman dans lequel on retrouve la patte Grangé, presque un retour aux sources, avec des univers a priori complètement éloignés les uns des autres mais qui vont entrer en collision dans des circonstances forcément violentes et mystérieuses, on est dans un thriller ! Ici, c'est l'Afrique qui donne le ton, faisant planer au-dessus du roman (et, vraisemblablement, de sa suite à venir) un parfum de mystère envoûtant et angoissant. Et puis, il y a la question du groupe et de l'appartenance. Avec, au premier rang, le groupe le plus fort et symbolique : la famille, comme vous l'aurez sans doute deviné, à travers la citation-titre de ce billet.
Dans la famille Morvan, je voudrais le père, Grégoire. A près de 70 ans, l'homme reste un patriarche redouté et un homme d'influences. Sa carrière, tortueuse, habile, roublarde, en a fait un des personnages les plus redoutés, à défaut d'être respecté, et des plus troubles de la Ve République (dont le parcours n'est pas sans rappeler celui d'un certain Christian Prouteau).
Depuis ses premiers pas dans la police, où il a joué les espions pour les mouvements maoïstes, jusqu'à un poste de préfet hors-carde, en passant par la Françafrique et les sales petites affaires hexagonales avec les dictateurs du continent, Grégoire Morvan a été de tous les (mauvais) coups de la politique contemporaine. L'éminence grise de tous les présidents en activité.
Un homme qui a ses idées, mais qui a su se détacher de tous les courants idéologiques pour ne privilégier qu'une seule ambition : la sienne. Collectant des dossiers sur tout et tout le monde (au point d'être surnommé "le Pasqua de gauche"), il a assuré ses arrières pour longtemps et fait la pluie et le beau temps, tout en restant soigneusement dans l'ombre...
Il sait tout, souvent avant tout le monde, agit toujours par anticipation pour régler les plus épineux problèmes, c'est-à-dire ceux qui pourraient le toucher, jouant de ses relations parmi le haut du panier de la barbouzerie pour appliquer une raison d'Etat toute personnelle. Raciste, arrogant, violent, déterminé et sûr de mener des combats justes, voilà Grégoire Morvan.
Dit comme ça, on n'a pas l'impression de parler de quelqu'un de très sympathique, n'est-ce pas ? Et c'est le cas... En plus d'être ce marionnettiste à sang froid qui fait et défait les réputations et organise quelques discrètes éliminations, il est aussi un père de famille tyrannique qui mène les siens avec une poigne d'acier, selon un système de valeurs gravé dans le marbre, auquel personne ne doit échapper.
A ses côtés, sa femme, Maggie, apparaît comme son exact contraire. Ancienne hippie, qui a gardé de cette époque bénie ses habitudes vestimentaires et alimentaires, au grand dame de sa famille, elle subit ce mariage qui n'en finit pas. Personne ne comprend d'ailleurs pourquoi elle demeure, stoïque, depuis si longtemps, aux côtés d'un homme, certes puissant, mais qui la traite aussi mal...
Et puis, il y a les enfants. Le cadet, Loïc, est un homme d'affaires en charge de gérer les questions africaines de la famille Morvan. En clair, de s'assurer du bon fonctionnement d'une société minière basée en République Démocratique du Congo, dont Grégoire a reçu des parts en remerciement d'un coup d'éclat : l'arrestation d'un tueur en série surnommé "l'Homme-Clou", au début des années 1970.
Quant à Gaëlle, la plus jeune des trois enfants, elle se rêve actrice mais, à 29 ans, sa carrière est loin d'avoir décollé. Pour dire même les choses clairement, cette carrière est en rade, malgré ses efforts pour courir les castings et essayer de persuader les producteurs de lui trouver le rôle qui lui permettra d'enfin se faire remarquer...
Et puis, il y a l'aîné, que j'ai gardé pour la fin, car il est le personnage central du livre : Erwan. Lui a choisi de devenir flic. Comme son père, aurait-on envie de dire, de prime abord, avant de comprendre que c'est tout le contraire. Le voilà à la Brigade Criminelle, au prestigieux 36, quai des Orfèvres, à la tête d'un groupe. Un des meilleurs policiers de sa génération.
Une réputation, qu'il n'a pas cherchée, mais qu'il va pouvoir mettre à l'épreuve lorsque son père, toujours aussi bien informé, lui confie une mission pas encore officielle, mais ce sera bientôt fait, soyez-en sûrs. Une enquête qui demande discrétion et efficacité, parce qu'elle va se dérouler dans un milieu très délicat : une école militaire, près de Brest, où l'on forme les pilotes de chasse.
Un des élèves a été retrouvé mort dans un bunker, éparpillé façon puzzle, après qu'un Rafale eut lancé sur ledit bunker un missile lors de manoeuvres. Mais que faisait ce garçon cet endroit, précisément ce jour-là ? L'école allait faire sa rentrée et les nouveaux, dont la victime faisait partie, était en train de subir le traditionnel bizutage...
Cette activité, jamais vraiment innocente, aurait-elle pu tourner au drame ? Et le missile est-il une coïncidence, un hasard ou un belle occasion de camoufler d'autres faits inavouables ? Voilà toutes les questions qui se présentent à Erwan, qui sait pertinemment qu'il va se retrouver face à des interlocuteurs tout sauf coopératifs. L'armée n'a pas changé et reste la Grande Muette...
Entre son père, qui semble, comme toujours, en savoir plus long qu'il ne veut bien le dire, ces marins taciturnes, brutaux et déterminés à ne rien lâcher face à ce civil, Erwan entame une enquête bien délicate. Mais, ce qu'il va découvrir dans le Finistère n'est que la première étape d'une enquête dont il ne sortira certainement pas indemne.
Et, tout en essayant de comprendre ce qui a bien pu se passer dans ce bunker, l'aîné de la fratrie va bientôt devoir s'occuper des affaires familiales ce qui, il le sait, n'est jamais une bonne nouvelle. Chez les Morvan, on lave le linge sale en famille et, quand il est sale, ce n'est pas juste une petite tache par-ci, par-là, mais le genre de saleté tenace qui ne part pas facilement et sent franchement mauvais...
Je vais être franc, je vais très peu parler de l'enquête qui débute avec la mort du soldat Wissa Sawiris, le jeune élève de l'école de Kaerverec, car l'un des grands intérêts du roman, c'est qu'on ne sait d'abord rien de rien et qu'il va falloir à Erwan et ses hommes, se démener pour essayer de mettre à jour des pistes, parfois bien embarrassantes...
Longtemps, ce seront les événements qui précéderont l'enquête. Aussi, comme je sais que vous n'aimez pas en savoir trop, alors, je reste discret, mais il va s'en passer de belles durant ces presque 800 pages, à partir de la mort de ce jeune homme. Mais, vous l'avez sans doute compris avec le début de ce billet, on ne s'éloigne jamais vraiment de la famille Morvan, dans son ensemble.
Voilà pourquoi je vais surtout parler de ce clan, ce n'est pas moi qui le dit, c'est écrit en toutes lettres. Car, "Lontano", c'est autant l'histoire de l'enquête d'Erwan et de ses développements que celle d'une famille en train de se lézarder et dont le patriarche vieillissant redoute plus que jamais de voir resurgir quelques-uns de ses vilains petits secrets.
En effet, si vous avez l'impression d'une image idyllique de la famille Morvan, après ma courte présentation, oubliez-la ! L'emprise de Grégoire sur les siens est telle qu'il a détruit son petit monde au point de susciter haine et rejet de la part de tous ses enfants. Quant à son épouse, elle fait contre mauvaise fortune, bon coeur, dirait-on.
J'ai évoqué Loïc, le golden boy. Mais, le garçon est au bord du gouffre. Alcoolique dès l'adolescence, tombé dans la drogue à l'entrée dans l'âge adulte, il carbure à la cocaïne. Une dépendance qui n'est pas sans conséquence : sa femme, la belle Sofia, une Italienne qui lui a donné deux enfants, demande le divorce. Une idée inacceptable pour Grégoire qui exige de Loïc qu'il règle la question, et vite.
Gaëlle, sous couvert de sa carrière d'actrice dans l'impasse, a gagné son indépendance, rejetant l'aide financière paternelle dès qu'elle a pu. Mais, pour faire enrager un peu plus ce père et lui montrer qu'il n'a plus prise sur elle, elle gagne sa vie en se prostituant aux plus offrants, bien loin des canons moraux du clan Morvan.
Enfin, Erwan, lui aussi, se la joue rebelle. Car, sa carrière de flic est aux antipodes de celle de son père. Lui mène une quête de justice avec intégrité, loin des ambitions paternelles. Malgré tout, le sang qui coule dans ses veines, tout comme cette colère immonde qui frappe les trois enfants Morvan, le poussent à parfois se montrer violent. A sortir des sentiers battus et à piétiner les procédures...
Non, Erwan n'est pas un flic modèle, mais il est diablement efficace dans son boulot. Lui seul, indépendamment de cette encombrante filiation, doit pouvoir éclaircir le drame de Kaervedec, quitte, pour cela, à déclencher un beau scandale pouvant éclabousser l'armée... On n'est pas là pour faire dans le détail. Pourtant, la vérité sera toute autre. Et les éclaboussures plus importantes encore.
"Lontano", c'est le roman de la révolte de trois enfants contre un père qui les a étouffés toute leur enfance et à qui, désormais, ils veulent rendre la monnaie de sa pièce. Erwan, que la manie du secret de Grégoire exaspère, surtout quand elle l'entrave dans son boulot, et Gaëlle, qui a décidé de l'affronter sans se soucier des conséquences, sont les meneurs de ce mouvement.
Déboulonner la statue paternelle, cette statue du Commandeur qui étend son ombre sur tout un pays et même au-delà, voilà l'objectif de ces enfants qui en ont assez de la férule que leur impose cet homme odieux, effrayant. Dangereux. Et cette quête si particulière va venir s'entremêler avec l'enquête centrale.
Pour ce retour aux sources, avec une intrigue plus classique que ses précédents romans, Jean-Christophe Grangé nous emmène à la rencontre de différents groupes humains qu'on ne s'attend pas à voir fonctionner sur les mêmes principes. C'est certainement le cas, mais l'on se rend bien compte, que ce soit avec l'école militaire, puis, par la suite, dans des milieux plus qu'interlopes, que les mécanismes, eux, ne varient pas vraiment.
L'effet d'entraînement permet aux individus rassemblés de transgresser règles et tabous, soit pour asseoir une autorité, soit pour rejeter les systèmes dominants. Pardon de ne pas entrer plus dans les détails, en dehors de l'école militaire, ce serait aller un peu loin. Tout juste puis-je vous prévenir que ce roman va vous emmener dans des univers pour le moins glauques et dérangeants.
La tonalité du roman est particulièrement sombre et une bonne partie de l'histoire se déroule de nuit, dans des endroits où l'on a moyennement envie d'aller traîner (enfin, là, je parle pour moi, évidemment). Une atmosphère qui m'a rappelé le "Versus", d'Antoine Chainas, qui, dans le genre, est ce que j'ai lu de plus glauque.
Comme si Erwan, dans son épopée émancipatrice, devait s'enfoncer à chaque pas un peu plus dans l'horreur, d'une part, mais aussi dans les recoins les plus obscurs de l'âme humaine. Qui suis-je pour juger de ce qui est sale ou pervers ? Après tout, je regarde moi-même tout cela à travers le prisme d'un système de valeurs qu'on m'a inculqué.
Ici, partout, on voit des personnages en train de se chercher, de poursuivre accomplissement et épanouissement, jusqu'à choisir la voie de la violence ou de l'avilissement. Indépendamment, ils sont certainement des gens charmants, pas forcément tous, mais une majorité, mais que le ralliement au groupe transforme complètement.
Il y aurait énormément à dire, en levant le voile sur les épisodes-clés de "Lontano". Mais je suis déjà long et je n'ai pas encore évoqué l'autre aspect fort du roman : l'Afrique. Sous ses aspects politiques, économiques, religieux, géographiques, elle est là, du début à la fin, hantant l'intrigue de manière longtemps inexplicable.
Oh, ce n'est pas qu'on ne voit pas les liens, évidemment, la première scène du roman se déroulant au Congo. Et, par la suite, l'influence africaine va se révéler omniprésente, insidieuse, menaçante... Un piège qui se referme. Ce qu'il va ressortir de cette affaire va certainement conditionner ce que l'on trouvera, au printemps prochain, dans la deuxième partie. Je parierais d'ailleurs que l'Afrique y jouera encore un rôle plus important que dans "Lontano".
Un dernier mot sur l'écriture. Je l'ai trouvé très dure, très violente. La narration s'adapte aux personnages qu'elle suit, comme si on était dans leur tête. Et comme les Morvan ne sont pas franchement des anges, ni des personnalités calmes et apaisées, forcément, on leur ressent. La précision vaut pour Grégoire, en particulier, car sa façon de s'exprimer suscitera l'antipathie chez pas mal de lecteurs. Une antipathie accompagnée d'un frisson, car il vaut mieux l'avoir avec que contre, celui-là !
Mais, une fois ce parti pris accepté, même s'il grattouille et dérange (je pense au racisme de ce personnage qui suinte sans cesse, écoeurant), on se lance dans une aventure prenante et convaincante. Un Grangé de très bonne facture, qui ne lésine pas sur l'action et les rebondissements. Jusqu'à, parfois, en faire un peu trop.
Une scène, en particulier, qui voit un hallucinant déferlement de violence s'abattre. Le passage est un peu too much, on le verrait plus dans un film made in Tarantino que dans ce genre de thriller. Rien de bien grave, d'autant que ce côté complètement démesuré colle finalement assez bien avec la mégalomanie du personnage de Grégoire.
J'ai dévoré "Lontano" en trois jours, je crois des lecteurs qui ont été happés, comme moi, d'autres qui peinent. Difficile, donc, de voir dans ce billet quelque chose d'universel, il n'en a de toute manière pas l'ambition. Mais, j'ai retrouvé avec plaisir le thriller façon Grangé, j'ai été bousculé, déboussolé, surpris, aussi, jusqu'à un dénouement gigogne qui tient vraiment en haleine.
Et j'attends maintenant la suite avec impatience. Parce que je pense qu'elle confirmera parfaitement la tonalité de ce billet : ce diptyque est avant tout une affaire de famille. "Lontano" est le préambule, l'ouverture d'une boîte de Pandore que Grégoire Morvan a soigneusement tenue fermée pendant longtemps. Et ça va barder !
Dans la famille Morvan, je voudrais le père, Grégoire. A près de 70 ans, l'homme reste un patriarche redouté et un homme d'influences. Sa carrière, tortueuse, habile, roublarde, en a fait un des personnages les plus redoutés, à défaut d'être respecté, et des plus troubles de la Ve République (dont le parcours n'est pas sans rappeler celui d'un certain Christian Prouteau).
Depuis ses premiers pas dans la police, où il a joué les espions pour les mouvements maoïstes, jusqu'à un poste de préfet hors-carde, en passant par la Françafrique et les sales petites affaires hexagonales avec les dictateurs du continent, Grégoire Morvan a été de tous les (mauvais) coups de la politique contemporaine. L'éminence grise de tous les présidents en activité.
Un homme qui a ses idées, mais qui a su se détacher de tous les courants idéologiques pour ne privilégier qu'une seule ambition : la sienne. Collectant des dossiers sur tout et tout le monde (au point d'être surnommé "le Pasqua de gauche"), il a assuré ses arrières pour longtemps et fait la pluie et le beau temps, tout en restant soigneusement dans l'ombre...
Il sait tout, souvent avant tout le monde, agit toujours par anticipation pour régler les plus épineux problèmes, c'est-à-dire ceux qui pourraient le toucher, jouant de ses relations parmi le haut du panier de la barbouzerie pour appliquer une raison d'Etat toute personnelle. Raciste, arrogant, violent, déterminé et sûr de mener des combats justes, voilà Grégoire Morvan.
Dit comme ça, on n'a pas l'impression de parler de quelqu'un de très sympathique, n'est-ce pas ? Et c'est le cas... En plus d'être ce marionnettiste à sang froid qui fait et défait les réputations et organise quelques discrètes éliminations, il est aussi un père de famille tyrannique qui mène les siens avec une poigne d'acier, selon un système de valeurs gravé dans le marbre, auquel personne ne doit échapper.
A ses côtés, sa femme, Maggie, apparaît comme son exact contraire. Ancienne hippie, qui a gardé de cette époque bénie ses habitudes vestimentaires et alimentaires, au grand dame de sa famille, elle subit ce mariage qui n'en finit pas. Personne ne comprend d'ailleurs pourquoi elle demeure, stoïque, depuis si longtemps, aux côtés d'un homme, certes puissant, mais qui la traite aussi mal...
Et puis, il y a les enfants. Le cadet, Loïc, est un homme d'affaires en charge de gérer les questions africaines de la famille Morvan. En clair, de s'assurer du bon fonctionnement d'une société minière basée en République Démocratique du Congo, dont Grégoire a reçu des parts en remerciement d'un coup d'éclat : l'arrestation d'un tueur en série surnommé "l'Homme-Clou", au début des années 1970.
Quant à Gaëlle, la plus jeune des trois enfants, elle se rêve actrice mais, à 29 ans, sa carrière est loin d'avoir décollé. Pour dire même les choses clairement, cette carrière est en rade, malgré ses efforts pour courir les castings et essayer de persuader les producteurs de lui trouver le rôle qui lui permettra d'enfin se faire remarquer...
Et puis, il y a l'aîné, que j'ai gardé pour la fin, car il est le personnage central du livre : Erwan. Lui a choisi de devenir flic. Comme son père, aurait-on envie de dire, de prime abord, avant de comprendre que c'est tout le contraire. Le voilà à la Brigade Criminelle, au prestigieux 36, quai des Orfèvres, à la tête d'un groupe. Un des meilleurs policiers de sa génération.
Une réputation, qu'il n'a pas cherchée, mais qu'il va pouvoir mettre à l'épreuve lorsque son père, toujours aussi bien informé, lui confie une mission pas encore officielle, mais ce sera bientôt fait, soyez-en sûrs. Une enquête qui demande discrétion et efficacité, parce qu'elle va se dérouler dans un milieu très délicat : une école militaire, près de Brest, où l'on forme les pilotes de chasse.
Un des élèves a été retrouvé mort dans un bunker, éparpillé façon puzzle, après qu'un Rafale eut lancé sur ledit bunker un missile lors de manoeuvres. Mais que faisait ce garçon cet endroit, précisément ce jour-là ? L'école allait faire sa rentrée et les nouveaux, dont la victime faisait partie, était en train de subir le traditionnel bizutage...
Cette activité, jamais vraiment innocente, aurait-elle pu tourner au drame ? Et le missile est-il une coïncidence, un hasard ou un belle occasion de camoufler d'autres faits inavouables ? Voilà toutes les questions qui se présentent à Erwan, qui sait pertinemment qu'il va se retrouver face à des interlocuteurs tout sauf coopératifs. L'armée n'a pas changé et reste la Grande Muette...
Entre son père, qui semble, comme toujours, en savoir plus long qu'il ne veut bien le dire, ces marins taciturnes, brutaux et déterminés à ne rien lâcher face à ce civil, Erwan entame une enquête bien délicate. Mais, ce qu'il va découvrir dans le Finistère n'est que la première étape d'une enquête dont il ne sortira certainement pas indemne.
Et, tout en essayant de comprendre ce qui a bien pu se passer dans ce bunker, l'aîné de la fratrie va bientôt devoir s'occuper des affaires familiales ce qui, il le sait, n'est jamais une bonne nouvelle. Chez les Morvan, on lave le linge sale en famille et, quand il est sale, ce n'est pas juste une petite tache par-ci, par-là, mais le genre de saleté tenace qui ne part pas facilement et sent franchement mauvais...
Je vais être franc, je vais très peu parler de l'enquête qui débute avec la mort du soldat Wissa Sawiris, le jeune élève de l'école de Kaerverec, car l'un des grands intérêts du roman, c'est qu'on ne sait d'abord rien de rien et qu'il va falloir à Erwan et ses hommes, se démener pour essayer de mettre à jour des pistes, parfois bien embarrassantes...
Longtemps, ce seront les événements qui précéderont l'enquête. Aussi, comme je sais que vous n'aimez pas en savoir trop, alors, je reste discret, mais il va s'en passer de belles durant ces presque 800 pages, à partir de la mort de ce jeune homme. Mais, vous l'avez sans doute compris avec le début de ce billet, on ne s'éloigne jamais vraiment de la famille Morvan, dans son ensemble.
Voilà pourquoi je vais surtout parler de ce clan, ce n'est pas moi qui le dit, c'est écrit en toutes lettres. Car, "Lontano", c'est autant l'histoire de l'enquête d'Erwan et de ses développements que celle d'une famille en train de se lézarder et dont le patriarche vieillissant redoute plus que jamais de voir resurgir quelques-uns de ses vilains petits secrets.
En effet, si vous avez l'impression d'une image idyllique de la famille Morvan, après ma courte présentation, oubliez-la ! L'emprise de Grégoire sur les siens est telle qu'il a détruit son petit monde au point de susciter haine et rejet de la part de tous ses enfants. Quant à son épouse, elle fait contre mauvaise fortune, bon coeur, dirait-on.
J'ai évoqué Loïc, le golden boy. Mais, le garçon est au bord du gouffre. Alcoolique dès l'adolescence, tombé dans la drogue à l'entrée dans l'âge adulte, il carbure à la cocaïne. Une dépendance qui n'est pas sans conséquence : sa femme, la belle Sofia, une Italienne qui lui a donné deux enfants, demande le divorce. Une idée inacceptable pour Grégoire qui exige de Loïc qu'il règle la question, et vite.
Gaëlle, sous couvert de sa carrière d'actrice dans l'impasse, a gagné son indépendance, rejetant l'aide financière paternelle dès qu'elle a pu. Mais, pour faire enrager un peu plus ce père et lui montrer qu'il n'a plus prise sur elle, elle gagne sa vie en se prostituant aux plus offrants, bien loin des canons moraux du clan Morvan.
Enfin, Erwan, lui aussi, se la joue rebelle. Car, sa carrière de flic est aux antipodes de celle de son père. Lui mène une quête de justice avec intégrité, loin des ambitions paternelles. Malgré tout, le sang qui coule dans ses veines, tout comme cette colère immonde qui frappe les trois enfants Morvan, le poussent à parfois se montrer violent. A sortir des sentiers battus et à piétiner les procédures...
Non, Erwan n'est pas un flic modèle, mais il est diablement efficace dans son boulot. Lui seul, indépendamment de cette encombrante filiation, doit pouvoir éclaircir le drame de Kaervedec, quitte, pour cela, à déclencher un beau scandale pouvant éclabousser l'armée... On n'est pas là pour faire dans le détail. Pourtant, la vérité sera toute autre. Et les éclaboussures plus importantes encore.
"Lontano", c'est le roman de la révolte de trois enfants contre un père qui les a étouffés toute leur enfance et à qui, désormais, ils veulent rendre la monnaie de sa pièce. Erwan, que la manie du secret de Grégoire exaspère, surtout quand elle l'entrave dans son boulot, et Gaëlle, qui a décidé de l'affronter sans se soucier des conséquences, sont les meneurs de ce mouvement.
Déboulonner la statue paternelle, cette statue du Commandeur qui étend son ombre sur tout un pays et même au-delà, voilà l'objectif de ces enfants qui en ont assez de la férule que leur impose cet homme odieux, effrayant. Dangereux. Et cette quête si particulière va venir s'entremêler avec l'enquête centrale.
Pour ce retour aux sources, avec une intrigue plus classique que ses précédents romans, Jean-Christophe Grangé nous emmène à la rencontre de différents groupes humains qu'on ne s'attend pas à voir fonctionner sur les mêmes principes. C'est certainement le cas, mais l'on se rend bien compte, que ce soit avec l'école militaire, puis, par la suite, dans des milieux plus qu'interlopes, que les mécanismes, eux, ne varient pas vraiment.
L'effet d'entraînement permet aux individus rassemblés de transgresser règles et tabous, soit pour asseoir une autorité, soit pour rejeter les systèmes dominants. Pardon de ne pas entrer plus dans les détails, en dehors de l'école militaire, ce serait aller un peu loin. Tout juste puis-je vous prévenir que ce roman va vous emmener dans des univers pour le moins glauques et dérangeants.
La tonalité du roman est particulièrement sombre et une bonne partie de l'histoire se déroule de nuit, dans des endroits où l'on a moyennement envie d'aller traîner (enfin, là, je parle pour moi, évidemment). Une atmosphère qui m'a rappelé le "Versus", d'Antoine Chainas, qui, dans le genre, est ce que j'ai lu de plus glauque.
Comme si Erwan, dans son épopée émancipatrice, devait s'enfoncer à chaque pas un peu plus dans l'horreur, d'une part, mais aussi dans les recoins les plus obscurs de l'âme humaine. Qui suis-je pour juger de ce qui est sale ou pervers ? Après tout, je regarde moi-même tout cela à travers le prisme d'un système de valeurs qu'on m'a inculqué.
Ici, partout, on voit des personnages en train de se chercher, de poursuivre accomplissement et épanouissement, jusqu'à choisir la voie de la violence ou de l'avilissement. Indépendamment, ils sont certainement des gens charmants, pas forcément tous, mais une majorité, mais que le ralliement au groupe transforme complètement.
Il y aurait énormément à dire, en levant le voile sur les épisodes-clés de "Lontano". Mais je suis déjà long et je n'ai pas encore évoqué l'autre aspect fort du roman : l'Afrique. Sous ses aspects politiques, économiques, religieux, géographiques, elle est là, du début à la fin, hantant l'intrigue de manière longtemps inexplicable.
Oh, ce n'est pas qu'on ne voit pas les liens, évidemment, la première scène du roman se déroulant au Congo. Et, par la suite, l'influence africaine va se révéler omniprésente, insidieuse, menaçante... Un piège qui se referme. Ce qu'il va ressortir de cette affaire va certainement conditionner ce que l'on trouvera, au printemps prochain, dans la deuxième partie. Je parierais d'ailleurs que l'Afrique y jouera encore un rôle plus important que dans "Lontano".
Un dernier mot sur l'écriture. Je l'ai trouvé très dure, très violente. La narration s'adapte aux personnages qu'elle suit, comme si on était dans leur tête. Et comme les Morvan ne sont pas franchement des anges, ni des personnalités calmes et apaisées, forcément, on leur ressent. La précision vaut pour Grégoire, en particulier, car sa façon de s'exprimer suscitera l'antipathie chez pas mal de lecteurs. Une antipathie accompagnée d'un frisson, car il vaut mieux l'avoir avec que contre, celui-là !
Mais, une fois ce parti pris accepté, même s'il grattouille et dérange (je pense au racisme de ce personnage qui suinte sans cesse, écoeurant), on se lance dans une aventure prenante et convaincante. Un Grangé de très bonne facture, qui ne lésine pas sur l'action et les rebondissements. Jusqu'à, parfois, en faire un peu trop.
Une scène, en particulier, qui voit un hallucinant déferlement de violence s'abattre. Le passage est un peu too much, on le verrait plus dans un film made in Tarantino que dans ce genre de thriller. Rien de bien grave, d'autant que ce côté complètement démesuré colle finalement assez bien avec la mégalomanie du personnage de Grégoire.
J'ai dévoré "Lontano" en trois jours, je crois des lecteurs qui ont été happés, comme moi, d'autres qui peinent. Difficile, donc, de voir dans ce billet quelque chose d'universel, il n'en a de toute manière pas l'ambition. Mais, j'ai retrouvé avec plaisir le thriller façon Grangé, j'ai été bousculé, déboussolé, surpris, aussi, jusqu'à un dénouement gigogne qui tient vraiment en haleine.
Et j'attends maintenant la suite avec impatience. Parce que je pense qu'elle confirmera parfaitement la tonalité de ce billet : ce diptyque est avant tout une affaire de famille. "Lontano" est le préambule, l'ouverture d'une boîte de Pandore que Grégoire Morvan a soigneusement tenue fermée pendant longtemps. Et ça va barder !