Après avoir lu Un océan d'amour, le premier tome des Vieux fourneaux et Max Winson, la suite logique était que je lise Le Singe de Hartlepool. Pourtant, j'ai mis un petit moment avant de le lire. Bizarrement hésitante, j'étais assez sceptique et peu motivée à le lire. Je m'y suis finalement résolue : verdict.
1814, un navire français échoue sur les cotes de l'Angleterre. A son bord, un signe déguisé avec un costume napoléonien et un enfant ; ce sont les deux seuls survivants du naufrage. Lorsque les habitants de Hartlepool découvrent les débris du bâtiment, ils commencent par se réjouir du sombre destin du bateau avant de chercher des survivants. Trouvé avec son costume de Napoléon, le petit singe survivant du naufrage est capturé en attente d'être jugé. En effet, les villageois de Hartlepool n'ont pas remarqué qu'il s'agissait d'un signe et non pas d'un homme, et se contentent de soupçonner une opération d'espionnage de la part des français...
C'est avec beaucoup de justesse que Wilfrid Lupano et Jérémie Moreau abordent ici le sujet du racisme et de l'ignorance. L'humour est très présent : les situations sont cocasses et souvent tellement absurdes qu'elles font rire, les personnages sont des caricatures d'eux-mêmes, prétentieux et idiots au possible, emportés et irréfléchis, les dialogues sont savoureux. Mais ces quelques notes d'humour sont vites contrebalancées par les tons assez ternes de la coloration, les couleurs un peu grises. Certes, elles servent à nous transporter dans une autre époque, mais elles sont aussi là selon moi pour mettre l'accent sur le pathos de l'histoire.
Les personnages qu'ils ont imaginés sont quant à eux très hauts en couleur. Le maire du village est bête et emprunt d'une fierté mal placée, il cède aux jugements hâtifs et ne voit dans cette histoire qu'une opportunité pour vanter ses mérites auprès de la couronne. L'ancien combattant est sénile, plein d'un héroïsme très mal placé lui aussi. Enfin, le groupe des enfants est quant à lui très agréable à suivre. Certains d'entre-eux se révèlent bien plus réfléchis et sensés que les adultes, et font preuve de beaucoup plus d'humanité. Le petit Charly, fils du médecin de passage dans la ville, est notamment un des personnages les plus intéressants et constructifs du récit puisque son identité, révélée à la fin de l'histoire, enrichira notre réflexion et la portée de cette légende. Tous les personnages sont en tout cas très bien esquissés et ont une personnalité réussie. Ils illustrent cette légende à la perfection.
Enfin, la documentation à la fin de l'album, écrite par Pierre Serna et illustrée par Jérémie Moreau, complète et approfondit nos questionnements. Elle nous renseigne notamment sur la légende du singe de Hartlepool -et si c'était une histoire vraie ?- et la façon dont notre civilisation a considéré les primates au fur et à mesure des siècles. Sommes-nous si différents d'eux ? Bref, Le Singe de Hartlepool est une excellente bande-dessinée sur le racisme, la bêtise et l'ignorance, et elle nous invite avec subtilité à réfléchir à notre condition, à la façon dont on considère les primates et les animaux en général. A lire absolument !
En nous racontant une histoire pathétique et pleine de tristesse, Lupano et Moreau ont créé une bande-dessinée intelligente, bien documentée et au ton juste. Le Singe de Hartlepool est une triste légende mais elle a encore beaucoup de chose à nous apprendre.