Journal 1942/1944

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« Journal 1943/1944 »

GIONO Jean

(Gallimard/La Pléiade)

Jusqu’au terme de la guerre, jusqu’à la Libération de Manosque (et sa prochaine incarcération), Jean Giono n’en démordra pas. Il restera installé au-dessus de la mêlée, se refusant de condamner l’abomination nazie et se contentant d’établir de temps à autre un parallèle entre Hitler et Staline. « Seuls vivent ceux qui ne font pas la guerre, aucune guerre. » Soit donc, et jusqu’au bout, une proclamation pacifiste. Alors qu’au tour de lui, le monde s’écroule, qu’il devient évident que le nazisme sera vaincu, que sa nature profonde ne peut plus être dissimulée. Quand Giono écrit le 2 janvier 1944 : « Je lui dis que je m’en fous, que je me fous des Juifs comme de ma première culotte ; qu’il y a mieux à faire sur terre qu’à s’occuper des Juifs. » !L’aveuglement absolu. Même si Giono a profité de sa notoriété (et de ses relations) pour protéger quelques juifs qui vivaient dans son environnement. Oh, certes, il n’est aucun parallèle qui puisse être établi avec l’immonde canaille de Céline. Mais il y a dans ces propos-là une indifférence qui fait mal. Un homme comme Giono, au moment où il écrit ces lignes, ne peut ignorer la réalité de la Shoah. Mais il s’englue dans ce qu’il croit être « sa » cohérence. Au point de ne voir dans les Résistants que des « Terroristes ». (« J’apprendrai à la Margotte que les terroristes ont obligé les ouvriers à cesser le travail » Jeudi 8 juin 1944).

Septembre 1944. L’arrestation de Giono est imminente. « C’est paraît-il le commissaire de la République, Aubrac, qui de passage s’est étonné que je ne sois pas encore arrêté. Il a dit : « Giono n’est pas encore arrêté ? Qu’est-ce que vous attendez ? » Indignation de W. qui veut donner sa démission et tout de suite, il m’envoie prévenir. » (Jeudi 6 septembre 1944). Malgré cette sorte d’aveu qu’il formule le 29 août 1944 : « Il faut voir clairement et reconnaître que j’ai eu tort de croire au pacifisme. Cela n’est pas fait pour l’homme. » Ou bien faut-il se contenter de l’avant-dernier paragraphe qui conclut le Journal ? « Besoin plus que jamais de solitude, de montagne, de silence et de paix. Rien de ce que je vois ne peut me faire aimer l’homme et la société, et le tumulte vain des entreprises où se dévore inutilement l’énergie et la force. Rien de ce qui crée n’est valable. Pour moi en tout cas, je serais au comble du bonheur dans une hutte montagnarde du plus solitaire Valgaudemar. A des kilomètres de tout civilisé, journal, radio ou quoi que ce soit de semblable. »

Au cours de ces deux années, l’œuvre n’est pas mise en sommeil. Giono piétine certes. Giono se montre très critique à l’égard de ses premiers romans. Mais il travaille. En particulier sur « Les deux cavaliers de l’orage ». Et puis il éclaire a posteriori le Lecteur sur ce qu’il tenta de faire avec son Journal. « Ceci n’est pas un journal. C’est simplement un organisme de travail. Ma vie n’est pas toute représentée. Non pas que je ne le veuille pas. Mais comme je l’ai dit : ici je fais des gammes, je romps ma phrase, j’essaye de servir la vérité au plus près… » Une vérité sur laquelle Giono ne s’interrogera pas. Du moins dans ce qui ne fut pas un Journal.