Nous serons des héros


Nous serons des héros de Brigitte Giraud aux éditions Stock (Rentrée littéraire 2015)


Nous serons des héros
    Olivio vit avec ses parents dans un Portugal sous le joug de la dictature de Salazar. Son père est docker et opposant au régime. Un soir il ne rentre pas à la maison. Sa mère lui explique que son père a trouvé du travail sur un cargo. Olivio part à la campagne chez sa tante pour passer quelques jours. Quand sa mère vient le chercher c'est pour partir directement en France sans espoir de retour. Du Portugal, le jeune garçon n'emporte qu'un chat découvert dans des décombres suite à un cyclone et l'image de son père. Dans le train qui les emmène vers leur nouveau pays, sa mère lui explique que ce dernier est mort dans les geôles de Salazar.
    C'est une nouvelle vie qui commence pour la mère et son fils. Ils sont d'abord hébergés par des amis portugais, réfugiés en France depuis quelques temps. Commence pour Olivio, l'apprentissage d'une nouvelle langue, d'un nouveau pays. Très vite Max entre dans leur vie. Max est pied-noir lui aussi a dû s'arracher à l'Algérie. C'est dans ce contexte qu'Olivio va devoir se construire, dans un pays inconnu, avec un beau-père avec lequel il ne se sent pas à l'aise. Il va faire la rencontre d'Ahmed un jeune algérien avec qui il va nouer une amitié particulière, ils deviennent inséparables, leurs jeux hésitent entre violence et sensualité. Avec Océano, le chat, rapporté du Portugal, souvenir d'une enfance envolée, Ahmed est le seul réconfort d'Olivio.
   Nous serons des héros est le roman de l'exil et du déracinement. Olivio arraché à son pays, à tout ce qu'il connaissait doit se réinventer une nouvelle vie. Il a perdu tous ses repères. Au fil des années l'image du Portugal, comme celle de son père devient de plus en plus floue. Quand à l'âge de 14 ans, après la Révolution des Oeillets, l'adolescent retourne au Portugal pour les vacances, il ne reconnaît plus rien, se sent comme un étranger.
    "Tout m'échappait de ce lieu qui m'avait vu grandir, on m'avait sans doute caché trop de choses, si bien que la peur me prenait quand je marchais simplement sur le trottoir et que je levais la tête vers les fenêtres aux persiennes fermées. Tout se passait à l'intérieur, et moi j'errais dehors, à essayer de ressentir, de reconnaître ce qui m'était familier, mais tout demeurait hors de portée."
    L'image de son père est celle d'un héros de la résistance à la dictature, comment se construire quand on est un petit garçon effacé, frêle à l'ombre d'un tel géant. La présence de Max, homme autoritaire, n'est pas là pour arranger les choses, pour lui un garçon se doit d'être viril, sportif, bricoleur, tout le contraire d'Olivio. Ce roman est aussi celui du passage à l'adolescence, cet autre exil qu'est l'arrachement à l'enfance, à l'innocence, l'apprentissage du monde des adultes. Un passage d'autant plus difficile pour Olivio qu'il ne correspond pas à l'image qu'a la sociéte de ce que doit être un garçon.
    "J'étais celui qu'on ignore, ou qu'on bouscule dans le couloir, celui à qui on met une tape sur la nuque dans le vestiaire du gymnase, celui qui agace. Je ne me faisais pas remarquer, j'aurais préféré ne pas avoir à me mesurer. Mais l'école est l'endroit du spectacle, la salle de classe comme un théâtre. J'évitais de lever la main mais les professeurs m'interrogeaient, me donnaient parfois en exemple . Et là je me sentais fléchir, je savais que les autres garçons n'aimaient pas les bonnes réponses, encore moins les compliments. Leur vengeance s'opérait en cours d'éducation physique. C'était discret et efficace, c'était féroce..."
    En nous racontant l'histoire à travers les yeux d'Olivio, en utilisant le "je", Brigitte Giraud nous plonge dans l'intimité de ce garçon en construction,  à la recherche de son identité. Une belle réussite.
Ma chronique sur Avoir un corps de Brigitte Giraud ici .