Chronique « J’ai tué Abel »
Scénario de Serge Le Tendre, dessin de Guillaume Sorel,
Public conseillé : Adultes/ Grands adolescents
Style : Contes épique (et historique)
Paru chez Vents d’ouest, le 2 septembre 2015, 64 pages couleurs, 15.50 euros,
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L’histoire
3e année du règne du grand roi Nebudnedzar. Hamor, chef respecté et très pieu d’un petit clan de bergers nomades suit la tradition. Pour honorer Yahvé, il sacrifie une chèvre lors du mariage entre sa fille Anatu et Anazu. Avant la fin de la cérémonie, Kingu l’officier débarque. Il ordonne à Hamor de le suivre au palais royal. Comme tous les chefs de clan, Hamor est sommé de venir s’agenouiller devant la statue du roi, promu au statut de Dieu.
Mais Hamor refuse de se conduire en idolâtre et va parler au roi à la place, ne craignant pas pour sa vie. Devant ce comportement inédit, le chef de guerre redouté impose à Hamor de rester à ses cotés. Il aura comme but de trouver pourquoi ce roi haineux et détesté traverse les âges sans trouver la mort ?
Ce que j’en pense
“J’ai tué Abel” inaugure une nouvelle collection chez Vents d’ouest. Chaque tome, confié à des duos d’auteurs confirmés, doit mettre en scène les meurtres qui ont changé l’histoire, en se positionnant du côté de l’assassin.
A contrario d’Isabelle Dethan avec “j’ai tué Philippe II de Macédoine”; Legalli et Héloret avec “J’ai tué François Ferdinant”, Serge Le tendre (scénario) et Guillaume Sorel (au dessin) faussent la donne. Ici, pas de documentation certifié, car ils ont choisi de traiter du “premier meurtre de l’histoire humaine”, définit comme tel par les trois grandes religions monothéistes.
Un parti-pris osé, mais qui leur laisse beaucoup de liberté, à commencer par… ne pas raconter l’histoire d’Abel et Caïn… Enfin, presque, car Serge Le Tendre dépasse le cadre du récit biblique pour se recentrer sur le rapport entre Hamor, pieux berger nomade et Nebudnedzar, roi babylonien terrible et effrayant.
Bien entendu, les histoires ont un rapport entre elles, mais je vous laisse en découvrir le secret en fin d’album…
Avec cette relation complexe entre Hamor et le roi Nebudnedzar, Serge nous offre un récit dense, souvent violent et sombre, parfois sensuel, qui ne m’a pas laissé indifférent. Car ces deux héros portent en eux tout les germes de la contradiction. Le roi est le “mal incarné”, tandis qu’Hamor refuse de faire couler le sang ou toute autre mauvaise action pour ne pas offenser Yahvé.
Témoin silencieux de la cruauté sans limite du monarque, Hamor s’interroge (et nous avec). Son inaction n’est-elle pas un forme d’acceptation et même de complicité ? Mais si Nebudnedzar recherche la mort, pourquoi l’offrir à Hamor tandis que tant d’hommes souhaiteraient le tuer ? Jouant constamment sur le rapport tendu entre les deux hommes, Le Tendre nous gâte avec un récit profondément humain.
Coté dessin, j’ai eu un grand plaisir à retrouver Guillaume Sorel. Depuis quelques années, cet “ogre-dessinateur” est sur tous les fronts. Avec du fantastique bien sur (“Hôtel particulier” chez Casterman, “Le Horla” chez Rue de Sèvres), et même l’illustration (“Alice au pays des merveilles” chez Rue de Sevres), le voici dans un registre “inédit” pour lui, en s’attaquant à l’épopée antique (babyloniene pour être précis).
Même si le sujet diffère, pas de doutes, on bien Chez Guillaume. Grands paysages torturés, dessin aiguisé, presque violent, “bannières rouges” et “chairs terreuses” qui claquent sur des ciels azuréens, si vous aimez l’univers de Sorel, vous allez être servis !
Coté décorum, Guillaume est dans son élément. Il met en images les cités babylonienes avec une majesté. Ses grande cases immersives m’ont fait plonger dans ce conflit mortel, sur fond de civilisaton antique. Grandiose !
Petite cerise sur le gâteau, Guillaume en profite pour laisser libre cours à son goût pour la beauté féminine. Les femmes sont belles, sensuelles et tentatrices. Qui lui reprochera les scènes de danses ou d’amour ? Pas moi !
Pour résumer, avec un premier tome qui “casse le cadre” de la collection, Serge Le Tendre et Guillaume Sorel nous embarquent dans un condensé de symboles et d’émotions fortes. Porté par une imagerie grandiose, venez vous immiscer dans la relation forte et complexe entre Hamor, le pieux berger et Nebudnedzar, le roi terrible.