Histoire de la Corse et des Corses

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« Histoire de la Corse et des Corses »

ARRIGHI Jean-Marie

JEHASSE Olivier

(Tempus/Perrin)

Le Lecteur en était resté à « Histoire de la Corse » de Pierre ANTONETTI (Robert Laffont), ouvrage qui se concluait par cette phrase écrite en mars 1983 : « … la conclusion est simple et ne souffre pas de contestation : la Corse est l’une des régions les plus fragiles de France, et son avenir ne peut se concevoir sans la paix civile et la solidarité nationale. » Une affirmation qui a le mérite de la clarté. Pierre ANTONETTI ne concevait pas l’avenir de la Corse hors du cadre national français.

Si le Lecteur effectue ce rappel, c’est en raison du parti pris opposé qui transparaît dans le si conséquent travail de Jean-Marie ARRIGHI et d’Olivier JEHASSE. Une trentaine d’années plus tard, les deux historiens argumentent en effet (et non sans raison, aux yeux du Lecteur) sur ce que fut et reste la spécificité Corse. Ils induisent, eux, une réflexion sur la nécessité de frayer de nouvelles voies : « Ainsi, dans un ensemble globalement très différent de ce qu’était le monde à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’action repensée par les Corses peut laisser espérer une affirmation continuée de leur identité, dans un cadre européen et méditerranéen, celui de leur géographie et de leur histoire. C’est dans ce cadre que pourra s’écrire la nouvelle histoire des Corses. »

Les deux partis pris indiquent très clairement que l’Histoire n’est pas un matériau neutre, une longue liste d’événements observés de manière prétendument objective. Les deux ouvrages suivent pourtant des cheminements identiques, depuis la préhistoire méditerranéenne jusqu’à l’époque contemporaine. Mais les objectifs des auteurs divergent, ce que démontrent très clairement les deux citations. « L’Histoire de la Corse » (publiée en 1973 et revisitée en 1983) s’inscrit dans une perspective républicaine à la française. « L’Histoire de la Corse et des Corses », au contraire, et à la lumière de l’Histoire récente, met en exergue cette identité qui a survécu aux aléas de cette Histoire.

Le Lecteur s’est passionné pour l’ouvrage de Jean-Marie ARRIGHI et Olivier JEHASSE. Avec le recul, il lui paraît en effet plus en rapport avec les évolutions qui se sont produites au cours de ces trente dernières années. Il se sent beaucoup plus proche de la perspective dont les deux auteurs esquissent les contours au terme de leur démonstration. D’autant plus qu’il observe la lente et inexorable agonie des vieux Etats/Nations, sans pour autant être en mesure d’imaginer, lui, les formes de construction politique qui pourraient leur succéder.

Il n’est qu’une question, certes anecdotique, sur laquelle il n’a pas obtenu de réponse satisfaisante, celle de l’émergence puis de la structuration de la langue corse. Ce qui va l’obliger à entreprendre d’autres recherches. Mais cela compte peu à l’égard de la globalité d’un ouvrage qui décille les regards et dont la lecture devrait non seulement être recommandée aux Corses mais aussi à toutes celles et à tous ceux qui fréquentent cette Île et qui désirent peut-être mieux connaître celles et ceux qui y résident en permanence, tant il est vrai que leur propre Histoire éclaire sur ce qu’ils deviennent dans le grand chaos de notre monde. La Corse s’est construite sous la férule, tantôt acceptée, tantôt rejetée, des puissances méditerranéennes qui se succédèrent sur l’Île. De Rome à Gênes, jusqu’à cette France qui tenta de l’intégrer sur un mode évidemment jacobin. Forgeant les unes et les autres une identité de captation ou (et) de résistance. Mettant à jour les contradictions internes à une société qui ne connut que de brèves périodes d’autonomie. Mais qui peut se glorifier du court intermède paoliste, véritable préambule à la naissance des états modernes articulés, entre autres, autour de la démocratie, du suffrage universel et de la séparation des pouvoirs.